La responsabilité du propriétaire de navire (établissement de crédit) sous la nouvelle loi n°2008-757 du 1er aout 2008-10-02 relative à la responsabilité environnementale

La responsabilité du propriétaire de navire (établissement de crédit) sous la nouvelle loi n°2008-757 du 1er aout 2008-10-02 relative à la responsabilité environnementale

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Explorer : # responsabilité environnementale # pollution marine # propriétaire de navire # Établissement de crédit

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La vocation d’un établissement de crédit n’est nullement celle de gérer des navires, toutefois l’évolution des législations maritimes en général et la législation en matière de pollution et de responsabilité en particulier ainsi que le développement des structures de financements on fait que l’établissement de crédit soit, dans certaines circonstances, directement responsable en cas de pollution. En effet la structure de financement d’un navire impose la création d’une société ad hoc. La société ad hoc, propriété de l’établissement de crédit, est propriétaire du navire. Par conséquent, les règles en matière de responsabilité du propriétaire du navire lui sont opposables, même si dans les faits, le navire est exploité et entièrement géré par l’affréteur coque nue.

Avant d’aller plus loin, définissons le sens donné dans cette note au propriétaire du navire.

Propriétaire du navire : il s’agit de la société ad hoc filiale de l’établissement de crédit et propriétaire / fréteur coque nue du navire.

Il n’est connu qu’en matière d’affrètement coque nue, toutes les obligations sont transférées à l’affréteur coque nue. Les obligations du propriétaire du navire se limitent à la fourniture à l’affréteur d’un navire en bon état de navigabilité au lieu et au jour prévu par la charte.

Toutefois, en matière de pollution marine par hydrocarbure, et afin de faciliter les actions en réparation, la convention relative à la responsabilité civile signée le 29 novembre 1969 à Bruxelles (CLC 1969 : Civil Liability Convention)(1) telle que modifiée en 1992 prévoit dans son Article 3 que « Le propriétaire du navire au moment de l’événement ou, si l’événement consiste en une succession de faits, au moment du premier de ces faits, est responsable de tout dommage par pollution causé par le navire et résultant de l’événement (...) ». « Aucune demande de réparation de dommage par pollution ne peut être formée contre le propriétaire autrement que sur la base de la présente convention ». Il s’agit de ce que l’on appelle la canalisation de responsabilité. Par conséquent, en cas de pollution seul le propriétaire du navire, fréteur coque nue, c’est-à-dire plus précisément, la personne au nom de laquelle le navire est immatriculé, voit sa responsabilité engagée.

Dans le même Article III. §4 il est stipulé qu’aucune demande de réparation de dommage de pollution, qu’elle soit ou non fondée sur la présente Convention, ne peut être introduite contre :

c)- Tout affréteur (sous quelque appellation que ce soit, y compris un affréteur coque nue) amateur ou amateur-gérant du navire ;

Mais l’immunité ainsi attribuée à l’affréteur n’est pas d’un caractère absolu. Car, la "faute inexcusable" personnelle permet de mettre en jeu la responsabilité de l’armateur non-propriétaire et de l’affréteur, en effet, aucune demande en réparation du dommage par pollution, fondée ou non sur ses dispositions, ne peut être intentée contre lesdits armateurs non-propriétaire, affréteur, à moins que le dommage ne résulte de leur fait ou de leur omission personnelle, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement. »

Il ressort clairement de cette disposition que la société ad hoc appelée en réparation des dommages causés par une pollution par hydrocarbure ne peut échapper à sa responsabilité en transférant contractuellement sa responsabilité sur l’affréteur coque nue. Cependant, la société ad hoc se garde le droit d’une action récursoire contre l’affréteur exploitant du navire.

La récente loi N° 2008-757, du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale ne fait que confirmer la tendance du législateur à canaliser cette responsabilité sur le propriétaire du navire même si ce dernier est loin de son exploitation.

Ce texte transpose en droit français la directive n°2004/35/CE du Parlement et du Conseil du 21 avril 2004. Il vise à créer un nouveau régime de responsabilité dont l’objet est de protéger l’intégrité du milieu naturel en l’absence même de victimes indemnisables.

Cette loi consacre le principe du pollueur/payeur grâce auquel il appartiendra désormais à l’exploitant dont l’activité a causé ou pourrait causer un dommage à l’environnement, de financer les mesures de prévention ou de réparation. Principe qui doit être mis en perspective avec l’un des autres aspects essentiels de ce texte, à savoir la reconnaissance de la possibilité pour les collectivités territoriales de se constituer partie civile en cas de dommage environnemental, qu’elles subissent un préjudice direct ou indirect. En effet, il était jusqu’à présent admis que cette possibilité de se constituer partie civile ne bénéficiait qu’aux "seules collectivités propriétaires des biens affectés ou exerçant sur ceux-ci une compétence particulière relative à la protection de l’environnement". Désormais, cette distinction n’a plus lieu d’être.

Le texte donne par ailleurs, une définition de l’exploitant au nouveau Titre VI. Art L 160-1 « L’exploitant s’entend de toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui exerce ou contrôle effectivement, à titre professionnel, une activité économique lucrative ou non lucrative. » Cette définition suppose que le propriétaire non exploitant d’un actif ne se rend pas responsable en cas de pollution causé par cet actif. Cependant, l’Art L. 218-18 prévoit que le Propriétaire d’un navire, peut voir sa responsabilité engagée.

En effet, « Les peines prévues à la présente sous-section sont applicables soit au propriétaire, soit à l’exploitant ou à leur représentant légal ou dirigeant de fait s’il s’agit d’une personne morale, soit à toute autre personne que le capitaine ou responsable à bord exerçant, en droit ou en fait, un pouvoir de contrôle ou de direction dans la gestion ou la marche du navire ou de la plate-forme, lorsque ce propriétaire, cet exploitant ou cette personne a été à l’origine d’un rejet effectué en infraction aux articles L. 218-11 à L. 218-17 et L. 218-19 ou n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’éviter. » Il ressort de cet Article qu’une filiale d’un établissement de crédit spécialement créée pour les besoins d’une opération de financement peut être responsable s’il s’avère qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour éviter qu’une pollution survienne.

Par ailleurs, l’Art 161-3 de la loi du 1er août 2008n’exclut pas la possibilité d’une limitation de responsabilité sur la base de la Convention de Londres du 19 novembre 1976. En effet, l’Article 161-3 précise que « Le présent titre s’applique sans préjudice du droit pour un propriétaire de navire de limiter sa responsabilité en application de la convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes et, à compter de son entrée en vigueur sur le territoire de la République française, de la convention de Strasbourg du 4 novembre 1988 sur la limitation de la responsabilité en navigation intérieure. » Malheureusement, l’Art 3 (b) de la Convention exclut de son champ d’application les dommages dus à une pollution par hydrocarbure, ce qui de mon avis exclut toute possibilité de limitation de responsabilité.

Il faut rappeler également qu’aucune limitation de responsabilité n’est prévue par aucune Convention internationale. La seule limitation possible est celle issue de la CLC, et qui concerne la responsabilité civile.

La doctrine maritime ne s’est pas encore prononcée sur l’apport de cette loi. Les tribunaux quant à eux, ne connaîtront pas de ces litiges avant au moins le mois de janvier 2008, date d’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2008.

Avant de clore cette note, évoquons brièvement deux conventions qui entreront bientôt en vigueur et qui confirment deux tendances du législateur : celle de vouloir plus sanctionner ainsi que d’élargir les personnes susceptibles d’être poursuivies.

La limitation de responsabilité du propriétaire du navire transportant des substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD/HNS) 3 mai 1996.

Cette convention n’est pas encore entrée en vigueur, mais contient un système de responsabilité du Propriétaire du navire tout à fait similaire à celui de la CLC.

Le concept de responsabilité adoptée par la Convention SNPD doit, à l’image de la CLC, sa cohérence à l’entremise du principe de limitation de responsabilité autorisée par l’assurance et le principe de la responsabilité objective canalisée. La responsabilité est en effet rattachée au propriétaire du navire par une disposition (Article 7§1) proche de l’Article 3 de la CLC. Il s’agit d’une responsabilité de plein droit qui joue du seul fait qu’un dommage de pollution est causé.

La convention a d’ailleurs repris les mêmes dispositions sur la canalisation de responsabilité que la CLC modifiée par le Protocole de 1992 et dès lors la responsabilité des personnes citées par l’Article 7§5 ne peut être engagée qu’en cas de faute inexcusable. De même, la Convention prévoit une limitation de responsabilité dont le propriétaire est dépourvu en cas de faute dolosive ou inexcusable, comme dans la CLC amendée.

La limitation de responsabilité dans la Convention de 2001 sur la pollution par les soutes (Bunker Convention).

Le 23 mars 2001, une nouvelle convention a été adoptée sous les auspices de l’OMI (Organisation Maritime Internationale) dans le domaine de la responsabilité pour pollution par hydrocarbures et plus précisément sur la responsabilité pour dommages de pollution causés par les hydrocarbures de soute des navires. Cette convention n’est pas encore entrée en application mais sa mise en chantier ne va pas tarder. Elle entrera en vigueur le 21 novembre 2008 (www.imo.org) après sa ratification par la Sierra Leone.

Il s’agit de l’International Convention on Civil Liability for Bunker Oil Pollution Damage, rédigée, sur le modèle de la CLC de 1969. Elle retient le système de responsabilité de plein droit du propriétaire du navire pour les dommages de pollution causés par les soutes de son navire mais cette responsabilité, à l’opposé de ce qu’il vaut pour la CLC, n’est pas canalisée. Ceci ne signifie en rien que le propriétaire ne peut pas être poursuivie, en effet, le juge souhaitant impérativement trouver une personne capable d’indemniser les victimes et de réparer les dommages causés par une pollution, peut condamner le propriétaire du navire (filiale d’un établissement de crédit)(2).

Sur la base de ces éclaircissements, il convient de rester toujours vigilant dans la rédaction des clauses en matière d’opération de financement de navire . Egalement, et au-delà d’une simple révision des clauses du contrat de prêt, il est impératif pour les établissements de crédit de bien choisir l’armateur (le client) et le navire à financer. Il en va de la sécurité juridique de l’opération de financement liée à la vie du propriétaire du navire, ainsi qu’à l’image de l’établissement de crédit.

1- La CLC est entrée en vigueur le 15 juin 1975. La France a ratifié cette convention par un décret du 26 juin 1976 et elle a, par une loi du 26 mai 1977, introduit en droit français interne les dispositions reprises de la Convention de 1969.

2- Dans l’affaire Erika, les juges ont cherché à condamner par tous les moyens la société Total, seule ayant les ressources financière nécessaires pour réparer un dommage. En effet, les juges ont pris la Société Total comme bouc émissaire.

La Convention de 1976 sur la pollution stipule qu’en cas de pollution par les hydrocarbures de navire, la responsabilité est canalisée sur le propriétaire du navire.

Dès lors, si le fréteur n’a pas également la casquette de propriétaire, il ne peut être tenu de réparer les dommages en vertu de la Convention susvisée. En revanche, il semble que la responsabilité de l’enlèvement des déchets d’hydrocarbure peut bien être imputée à celui qui sera considéré comme responsable "direct" de cette pollution.

Par exemple, si un navire pétrolier s’échoue et déverse sa cargaison d’hydrocarbure, seul le propriétaire du navire sera tenu de réparer les dommages (aux victimes) résultant de cet événement. Cependant le fréteur non-propriétaire ou l’affréteur ou encore le propriétaire de la cargaison, peut lui, être condamné à enlever les déchets d’hydrocarbures sur les côtes. Il ne s’agit pas ici de réparer un dommage, mais simplement d’enlever les déchets.

Bellabas Okba

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