Nuisances sonores et prescription de l’action personnelle.

Par Christophe Sanson, Avocat.

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Explorer : # nuisances sonores # troubles anormaux de voisinage # prescription de l’action personnelle # indemnisation des préjudices

A quelle date doit-être fixé le point de départ du délai de la prescription quinquennale de l’action personnelle (art. 2224 Code civ.) quand il s’agit de nuisances sonores ?
Dans un arrêt du 20 mai 2021, la Cour d’appel de Bordeaux a rejeté la fin de non-recevoir soulevée en défense par les gestionnaires d’un camping bruyant et affirmé que « les nuisances sonores [étant] des faits successifs et distincts les uns des autres », toutes les nuisances sonores engendrées dans les cinq années précédant l’introduction du recours contentieux peuvent être prises en compte et donner lieu à réparation.

Arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour d’appel de Bordeaux du 20 mai 2021.

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Sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, la Cour a ainsi confirmé le jugement de première instance en ce qu’il avait condamné les gestionnaires d’un camping municipal à faire cesser toutes nuisances sonores et à indemniser le préjudice moral subi par des riverains.

Voilà qui devrait rassurer les victimes de nuisances sonores liées à des comportements qui auraient tardé à agir en justice pour faire cesser ces nuisances.

I. Présentation de l’affaire.

1. Faits

Les époux B. étaient propriétaires d’une maison située à 150 mètres d’un camping, exploité par la SARL H. sur un terrain appartenant à la commune.

En 2008, la SARL H. avait fait installer une terrasse et y organisait des soirées et animations deux fois par semaine en période estivale.

Se plaignant des nuisances sonores générées par l’organisation de ces soirées, les époux B. avaient formulé des demandes orales auprès de la mairie dès 2008.

En l’absence d’amélioration, ils avaient été contraints d’adresser un premier courrier de plainte à la mairie, le 16 juillet 2013.

Face à la persistance des nuisances, les époux B. avaient finalement assigné la SARL H., en août 2016, devant le Tribunal de grande instance de Périgueux.

2. Procédure.

Les époux B. demandaient la condamnation de la SARL H. à réaliser des travaux d’insonorisation et à indemniser leur préjudice, sur le fondement de la jurisprudence prétorienne des troubles anormaux de voisinage.

Par jugement du 19 décembre 2017, le Tribunal avait constaté l’existence d’un trouble anormal de voisinage et avait ordonné à la SARL H. de faire cesser le trouble en se conformant à la législation en vigueur.

La SARL H. avait également été condamnée aux entiers dépens et à payer aux époux B. la somme de 3 000 euros en réparation de leur préjudice moral et 1 500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile.

Les époux B. avaient toutefois été déboutés de leurs demandes relatives à la réalisation de travaux d’insonorisation et à la réparation de leur préjudice matériel.

Le 8 février 2018, la SARL H. avait interjeté appel du jugement auprès de la Cour d’appel de Bordeaux et demandé aux juges :
- d’admettre une fin de non-recevoir fondée sur la prescription de l’action des époux B. dont l’action portait, selon elle, sur des faits remontant à plus de dix ans ;
- d’admettre une fin de non-recevoir fondée sur l’application de l’article L112-16 du Code de la construction et de l’habitation et de la circonstance selon laquelle l’exploitation du camping serait antérieure à la construction de la maison des époux B [1] ;
- de constater l’absence de trouble anormal de voisinage ;
- de condamner les époux B. à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Les époux B. avaient, quant à eux, demandé à la Cour de confirmer le jugement de première instance.

3. Décision du juge.

La Cour d’appel de Bordeaux a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la SARL H. et confirmé le jugement de première instance en toutes ses dispositions.

La Cour a également condamné la SARL H. à payer aux époux B. la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

II. Observations.

A. La reconnaissance du caractère distinct de chaque nuisance sonore successive pour écarter la fin de non-recevoir fondée sur la prescription de l’action personnelle.

L’article 2224 du Code civil déclare que :

« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

En l’espèce, les époux B. avaient assigné la SARL H. en 2016 et celle-ci soutenait que les nuisances invoquées avaient commencé en 2008, date de construction de la terrasse, et étaient donc couvertes par la prescription de cinq ans de l’action personnelle, le délai pour agir ayant largement expiré.

Or, la Cour d’appel a relevé que les dates prises en compte par la SARL H. étaient erronées et que, bien que des demandes orales avaient été formulées auprès de la mairie en 2008, le premier courrier de plainte n’avait été émis qu’au mois de juillet 2013.

Plus encore, les juges ont considéré que « les nuisances sonores [étaient] des faits successifs et distincts les uns des autres » et que dans le cas d’une assignation signifiée le 1er août 2016, « seuls les faits antérieurs au 1er août 2011 [étaient] prescrits ».

Cette solution favorable aux époux B. apparaît comme un élargissement des possibilités de recours des riverains victimes de nuisances sonores.

En effet, en affirmant le caractère distinct des nuisances sonores émanant d’un même établissement, les juges considèrent qu’un nouveau délai de cinq ans court à compter de chaque nouveau trouble.

Les voisins d’établissements bruyants ne pourront donc pas se voir opposer la prescription quinquennale de leur action, au seul motif qu’il y a plus de cinq années, ils se seraient plaints d’une nuisance, dès lors que les nuisances auront persisté dans les cinq années précédant leur action en justice.

B. La prise en compte de la date de demande de permis de construire lors de l’examen de la règle de l’antériorité.

L’article L112-16 du Code de la construction (dont le contenu modifié figure désormais à l’article L.113-8 du même code), prévoyait à l’époque des faits que :

« Les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales ou commerciales, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions ».

Cet article énonçait la règle dite « de l’antériorité », selon laquelle la pré-occupation d’un lieu peut exonérer l’auteur de nuisances sonores de sa responsabilité pour troubles anormaux de voisinage.

A l’appui de son appel, la SARL H. soulevait une fin de non-recevoir fondée sur ces dispositions et invoquait la circonstance selon laquelle la maison des époux B. avait été construite après l’ouverture du camping en 1994.

La Cour d’appel a cependant rappelé qu’un moyen tiré de la règle de l’antériorité relève du fond du dossier et « ne [saurait] être invoqué au soutien [d’une] fin de non-recevoir ».

Ensuite, lors de l’examen au fond, les juges ont rejeté le moyen soulevé par la SARL H. au motif que le permis de construire produit par les époux B. avait été accordé le 7 novembre 1980, soit près de 15 années avant la date d’ouverture du camping.

Il est donc rappelé que la date à prendre en compte lors de l’examen de la règle de l’antériorité n’est pas celle de la construction ou de l’entrée dans la maison à partir de laquelle sont subies les nuisances sonores, mais bien celle de la demande de permis de construire.

Plus encore, les juges rappellent que l’exonération en cas de pré-occupation suppose que l’activité soit exercée en conformité avec les dispositions règlementaires en vigueur, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

C. La reconnaissance de troubles anormaux de voisinage indépendamment du respect des normes règlementaires.

La SARL H., pour demander la réformation du jugement de première instance, soutenait que son activité respectait les valeurs maximales fixées par les arrêtés préfectoraux et municipaux en vigueur.

Cependant, la Cour d’appel a rappelé qu’en matière de troubles anormaux de voisinage, pour déterminer le respect ou non des normes règlementaires, il convenait de rechercher si l’émergence dépassait la valeur limite fixée par l’article R. 1334-33 du code de la santé publique (aujourd’hui article R 1336-7 du Code de la santé publique).

Les juges ont ainsi rappelé que « la réalité du trouble subi [était] indépendante du caractère licite de l’activité qui en [était] à l’origine ».

En l’espèce, les mesurages acoustiques avaient révélé que l’émergence dépassait le seuil fixé à 25 dB (A) quant au bruit mesuré à l’intérieur des bâtiments d’habitation.

Enfin, les juges ont rappelé que la jurisprudence des troubles anormaux de voisinage commandait un cas de responsabilité sans faute, et que l’auteur des nuisances ne saurait s’en exonérer en alléguant l’absence d’intention de nuire ou l’absence de faute, pas plus que le respect des normes réglementaires en vigueur.

Conclusion

Dans son arrêt du 20 mai 2021, la 2ème chambre de la Cour d’appel de Bordeaux a manifesté sa volonté de protéger le droit des riverains à obtenir la cessation des nuisances sonores et l’indemnisation des préjudices subis, en considérant que les nuisances étaient distinctes les unes des autres, de sorte que la circonstance que les premières nuisances aient commencé il y a plus de cinq années ne saurait utilement priver les victimes de leur droit d’ester en justice.

La Cour d’appel a réaffirmé ensuite le caractère objectif de la jurisprudence des troubles anormaux de voisinage, qui pourra être caractérisée même en l’absence de toute faute de la part de l’auteur des nuisances.

Enfin, les juges ont rappelé que l’anormalité du trouble était caractérisée dès lors que l’émergence dépassait les seuils fixés, et que leur auteur ne saurait invoquer le respect des valeurs maximales fixées par la voie règlementaire, pour s’exonérer de sa responsabilité.

Christophe Sanson,
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

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Notes de l'article:

[1Règle de l’antériorité figurant aujourd’hui à l’article L. 113-8 du Code de la construction et de l’habitation.

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