En effet, pour être licite et opposable au salarié une convention de forfait en jours doit être prévue, outre par une convention individuelle, par un accord collectif dont les stipulations garantissent le respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires.
La Cour de cassation a eu à plusieurs reprises l’occasion d’affirmer le caractère illicite et inopposable des dispositions relatives aux conventions de forfait prévues par certaines conventions collectives de travail s’appliquant à un grand nombre de salariés, le plus souvent cadres. Pour invalider ces dispositions, la Cour retient souvent que celles-ci ne sont pas « de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours ».
Ainsi en est-il en dernier lieu des dispositions de l’accord national relatif aux entreprises de bâtiments [2]
De la même manière, ont été considérées comme inopposables les dispositions relatives au forfait jour des conventions collectives de l’industrie chimique [3], du commerce de gros [4], des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils dite SYNTEC [5], des cabinets d’experts-comptables [6], des Ingénieurs, Assimilés et Cadres employés dans les entreprises de travaux publics [7], du notariat [8].
Or, l’inopposabilité de la convention de forfait jour permet au salarié d’obtenir un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées.
La question est alors de déterminer comment établir la preuve des heures supplémentaires accomplies ?
Le salarié doit fournir des éléments suffisants pour étayer sa demande [9], et non nécessairement la preuve de l’accomplissement des heures supplémentaires. Il est préférable d’établir un tableau récapitulatif des heures effectuées, et de tenter de justifier par quelques éléments de preuve de la réalité des horaires allégués. Concrètement, quels sont ces éléments ?
Ils sont de nature variée, et dépendent de la nature de l’emploi occupé par le salarié. Par exemple, un cadre amené à effectuer de nombreux déplacements pourra ainsi justifier par la production de ses billets de train ou avion, ou péages, des horaires de départ et d’arrivée, tandis qu’un cadre sédentaire sera peut être tenu à un contrôle d’accès par badge qui peut servir autant au contrôle de sécurité qu’à l’enregistrement des temps de présence.
Quelques illustrations jurisprudentielles récentes, en 2014 et 2015, permettent d’appréhender la diversité des éléments pouvant être retenus par les magistrats, jurisprudence récente qui ne doit pas occulter une jurisprudence plus ancienne mais toujours d’actualité [10].
les courriels et les captures d’écran : en pratique, ces éléments apparaissent souvent dans le cadre soit d’une négociation de rupture, soit d’un contentieux prud’homal.
L’argument souvent opposé par l’employeur que les captures d’écrans et les courriels ne permettent pas à eux seuls d’établir l’exactitude de l’heure effective qui y est mentionnée, l’heure d’envoi d’un courriel pouvant se réserver inexacte en cas de réglage inadapté de l’horloge de l’ordinateur, a été rejetée par la Cour de cassation.
Ces éléments, produits par le salarié, sont de nature à instaurer une discussion sur l’ampleur du travail accompli par le salarié, et l’employeur ne peut donc pas pour faire écarter une demande en paiement d’heures supplémentaires se contenter de lui opposer un tel argument : pour échapper à une condamnation, il doit apporter au juge ses propres éléments contredisant l’affirmation du salarié [11].
les copies d’agenda électronique : elles peuvent également constituer un élément de nature à établir l’amplitude de travail d’un salarié. Les juges ne manquent pas cependant d’analyser son contenu et de vérifier si les tableaux produits par le salarié sont cohérents par rapport à l’agenda [12].
des attestations de proches : ainsi ont été admises comme des éléments de nature à étayer une demande en paiement des heures supplémentaires, des attestations d’une colocataire, ou d’un ami [13].
des attestations d’autres salariés, relatant les heures de travail de fait obligatoires dans l’entreprise [14].
Les juges devront ensuite se prononcer au regard des justificatifs d’horaires que l’employeur est tenu de fournir. Si l’employeur ne transmet pas les décomptes horaires obligatoires, les juges se prononceront en fonction des éléments de preuve apportés par le salarié.
Le fait que le salarié n’ait rien réclamé pendant l’exécution du contrat ne vaut pas renonciation de sa part au paiement des heures supplémentaires [15].
Au regard de ces derniers développements jurisprudentiels, à l’occasion de la rupture d’un contrat de travail, qu’elle qu’en soient les modalités (rupture conventionnelle ou amiable, ou encore licenciement contesté), les parties au contrat auront tout intérêt à s’interroger sur l’opposabilité d’une convention de forfait jours et sur l’éventuel droit au paiement des heures supplémentaires effectuées.