Le Conseil d’Etat dans le viseur du Conseil constitutionnel.

Par Jean-Marc Le Gars, Avocat.

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Explorer : # constitutionnalité # État d'urgence # impartialité judiciaire # recours juridictionnel

Le Conseil constitutionnel vient de rendre une décision qui, au-delà du cas d’espèce, remet en cause l’impartialité du Conseil d’Etat, juge des décisions administratives qu’il prend ou auxquelles il participe.

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Le Conseil constitutionnel a été saisi par le Conseil d’Etat, le 20 janvier 2017, d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit, d’une part, des onzième à quatorzième alinéas de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2016 prorogeant l’état d’urgence et, d’autre part, du paragraphe 2 de cette même loi du 19 décembre 2016.
Ces dispositions déterminent les conditions dans lesquelles les assignations à résidence décidées dans le cadre de l’état d’urgence peuvent être renouvelées au-delà d’une durée de douze mois.
Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 16 mars 2017 (décision n° 2017-624 QPC).

On retiendra que le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur le dispositif qui subordonne la prolongation d’une assignation à résidence au-delà de douze mois à une autorisation préalable du juge des référés du Conseil d’État.
Le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions attribuent en réalité au Conseil d’État la compétence d’autoriser, par une décision définitive et se prononçant sur le fond, une mesure d’assignation à résidence sur la légalité de laquelle il pourrait devoir se prononcer ultérieurement comme juge de dernier ressort.
Le Conseil constitutionnel a jugé que, dans ces conditions, la partie des dispositions contestées qui prévoient l’autorisation préalable du Conseil d’État pour prolonger une mesure d’assignation à résidence au-delà de douze mois méconnaît le principe d’impartialité et le droit d’exercer un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789.

Selon cette disposition : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». C’est là, pour le Conseil constitutionnel, l’affirmation du droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif. Le Conseil constitutionnel a considéré que les principes d’indépendance et d’impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles. Il a donc censuré les dispositions dont il était saisi qui ne respectaient pas pleinement ces principes.

Il n’est pas indifférent de noter que le Conseil constitutionnel a relevé d’office le grief tiré de ce qu’en prévoyant que la décision de prolonger une assignation à résidence au-delà de douze mois est prise après autorisation du juge des référés du Conseil d’État, alors même que la contestation de cette décision est susceptible de relever du contrôle juridictionnel du Conseil d’État, les dispositions contestées méconnaissaient l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qui garantit le droit à un recours juridictionnel effectif.
A travers cette décision, c’est tout l’équilibre actuel de la juridiction administrative qui pourrait être remis en cause.

Depuis que les tribunaux administratifs ont quitté le giron du ministère de l’intérieur pour le ministère de la Justice, c’est le Conseil d’État, en la personne de son vice-président et de son secrétaire général, assistés d’une véritable administration centrale, créée à cette fin, qui administre la juridiction administrative, les personnels des juridictions et les magistrats administratifs.
Le Conseil constitutionnel ne l’ignore pas, lui qui est présidé par un ancien membre du Conseil d’État, Laurent Fabius, et qui compte parmi ses membres Michel Pinault, celui-là même qui était secrétaire général du Conseil d’Etat au moment du transfert au Conseil d’Etat de la gestion des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, le 1er janvier 1990.

Est-il encore possible de concilier la décision prise par le Conseil constitutionnel le 16 mars 2017, et le mode de fonctionnement du Conseil d’Etat dans ses attributions administratives qui peuvent donner lieu à un contentieux administratif relevant de son propre ordre de juridiction comme les marchés, la situation de ses personnels, voire même celle des magistrats administratifs ?

Affaire à suivre.

Jean-Marc Le Gars
Avocat au barreau de Nice
le-gars.jean-marc chez orange.fr

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