Le crédit souscrit pour alimenter une assurance-vie est-il rompu en cas de résiliation de l’assurance-vie ? Non ; pour la Cour de cassation [2], les deux contrats sont distincts, d’autant que le client, en tant qu’emprunteur averti, n’avait pas à recevoir de mise en garde de l’établissement de crédit.
Il ne peut donc cesser de rembourser son crédit, quel que soit son choix à l’égard du contrat d’assurance déficitaire.
1. L’union du crédit et de l’investissement financier, une formule toujours risquée.
Sur les conseils d’un salarié de la Compagnie d’assurance, un client, investisseur et emprunteur, souscrit un contrat d’assurance-vie investi en actions, puis des crédits dont il dépose les fonds dans cette assurance-vie. L’emprunteur cesse ensuite de régler les mensualités des crédits, et déclare renoncer à son assurance-vie.
Il assigne alors l’établissement de crédit et la compagnie d’assurance, principalement pour réclamer la nullité des contrats de crédits, principalement, sur la base de leur caractère indivisible. Subsidiairement, il recherche leurs responsabilités civiles respectives, pour faute et pour défaut de mise en garde.
Ses demandes sont rejetées par la Cour d’appel de Paris, puis par la Cour de cassation.
2. Un « lien » ne lie pas assez les contrats pour en faire un ensemble indivisible.
L’indivisibilité d’un ensemble contractuel permet de souder ensemble des contrats : si l’un vient à rompre, l’autre peut être judiciairement résilié. C’est une mesure protectrice des emprunteurs, bien utile.
En l’espèce, la Cour de cassation relève que les crédits litigieux présentent une « motivation financière autonome » : réaliser des plus-values en cas de hausse de la Bourse.
De plus, aucun élément de fait ne montre que les parties aux contrats ont souhaité réaliser un ensemble contractuel indivisible. L’intention commune de créer un tel ensemble contractuel n’est pas démontrée. Dans la situation examinée, plusieurs contrats de crédits ont été souscrits par le client, certains étant postérieurs à l’ouverture de l’assurance-vie.
Ainsi, l’emprunt « en lien » financier avec le contrat d’assurance-vie n’est pas suffisant pour lier juridiquement les deux contrats. Ceux-ci ne forment pas une même opération économique, dans le sens déduit par la jurisprudence de l’article 1134 du Code civil.
Ceci, alors même lorsque l’opération est proposée dans son ensemble par un conseiller financier, salarié de la Compagnie d’assurance, à l’occasion d’un démarchage financier. Au fil d’un schéma reproduit industriellement et vendu à plusieurs clients.
3. Pas de devoir de mise en garde au bénéfice des emprunteurs avertis.
Un emprunteur averti ne mérite pas une mise en garde. Telle est bien la règle du droit positif.
Or, le Juge qualifie l’investisseur comme « averti », en raison de sa pratique financière active.
La souscription des crédits après l’ouverture du contrat d’assurance-vie, de même que l’alimentation mixte de celui-ci, tant par des deniers personnels que par les fonds des crédits, s’ajoute aux opérations d’investissements que l’emprunteur réalisait seul avant ses échanges avec la banque et l’assureur.
Le client confesse son objectif de réaliser des profits financiers, via le contrat d’assurance-vie. Ce qui fait de lui, pour la Cour d’appel comme pour la Cour de cassation, un client « averti ». Il disposait des informations sur le risque créé par le schéma dans lequel il est entré.
Par voie de conséquence, l’établissement de crédit ne lui devait pas de devoir de mise en garde, pour les crédits souscrits. Sa qualification d’averti le prive du bénéfice de cette protection, et de toute réparation civile au titre du préjudice contractuel sur le fondement de l’article 1147 du Code civil et de la perte d’une chance de ne pas souscrire le crédit (en l’espèce, notons que les montants réclamés semblent sans rapport avec ce fondement juridique). La charge de la preuve de la bonne exécution de cette obligation de mise en garde incombe à la banque et non à l’emprunteur, mais elle n’a pas à jouer, dans ce cas.
Sur ces deux fondements, l’absence d’indivisibilité et l’exclusion de la mise en garde, l’emprunteur-investisseur est débouté ; il n’obtiendra aucun remboursement de ses pertes financières.
Un litige mêlant crédit et assurance offre un troisième angle d’analyse : le devoir de conseil, qu’il soit dû par la banque ou par l’assureur.
4. Le devoir de conseil de la banque à l’égard de l’investisseur.
Le devoir de conseil face aux risques d’un canevas d’investissement avantageux seulement en cas de hausse des marchés d’actions, est indispensable à la protection des consommateurs, y compris ceux qui sont « avertis » en matière de crédits.
Il s’impose à l’établissement de crédit, lorsqu’il vend dans le cadre d’un schéma financier global. En effet, dans ce cas, celui-ci agit également comme Prestataire de services d’investissement (PSI), au sens de l’article L. 531-1 du Code monétaire et financier.
Ces PSI peuvent être des sociétés de gestion ou des entreprises d’investissement, mais également des établissements de crédit, agréés à cet effet par l’ACPR après avis de l’AMF.
Ils sont débiteurs d’une obligation de conseil, qui découle de l’article L. 533-12 II du Code monétaire et financier. L’obligation de conseil, en matière de placement –ou d’investissement- vise à orienter le choix du client, à agir dans un sens déterminé.
L’intérêt du client est au centre de cette obligation : « […] les prestataires de services d’investissement agissent de manière honnête, loyale et professionnelle, en servant au mieux les intérêts du client » [3].
Leurs prestations comprennent la « fourniture de conseil en investissement » [4], ce qui inclut l’octroi d’un crédit ou d’un prêt à un investisseur pour lui permettre d’effectuer une transaction.
A défaut d’appliquer ces dispositions, l’établissement engage sa responsabilité civile et doit réparer le préjudice du client par des dommages et intérêts. Ainsi l’a jugé la Cour de cassation, pour un investissement « dont la nature était manifestement inadaptée à la situation [des clients] [ …] assorti d’un prêt […] accentuant les risques d’une opération périlleuse » [5].
Ainsi, en négligeant l’information détaillée sur les produits financiers, sur les possibilités d’évolution financière négative, sur l’inadéquation avec la situation et les objectifs du client, par exemples, la banque/PSI engage sa responsabilité [6].
A l’inverse, dès lors que les informations sont délivrées mettant le client en situation d’en comprendre la portée et l’impact en risques, le devoir de conseil est accompli [7].
4. Le devoir de conseil de l’assureur.
Ce devoir de conseil de l’assureur trouve également sa place, dans une telle opération.
Les sociétés d’assurance, pour commercialiser leurs offres, doivent également être agréées [8].
Leur obligation d’information et de conseil sont posées par le Code des assurances [9]. L’obligation de conseil de l’assureur est renforcée pour les contrats d’assurance-vie investis en actifs risqués [10].
L’ACPR a précisé les mesures à prendre pour exercer ce devoir de conseil en assurance, avec la Recommandation n°2013-R-01, du 8 janvier 2013, entrée en vigueur le 1er octobre 2013.
Les principes du devoir de conseil sont plutôt clairs. Il implique d’approfondir l’analyse des actes réalisés par la banque et par l’assureur, au moment de la souscription des contrats. Il offre un espace juridique plus large que les concepts d’indivisibilité et de devoir de mise en garde, mis en échec dès lors que l’investisseur pratique les opérations financières, comme le fait assurément un client privé ou patrimonial. Son application aux différentes situations individuelles nécessite donc un minutieux examen.
Autant d’éléments qui ont le mérite de poser clairement les enjeux et les diligences de chaque partie, clients privés coutumiers des placements et professionnels financiers, lors des décisions d’investissement.
L’arrêt du 5 novembre 2013 de la Cour de cassation complète donc utilement l’approche juridique de l’ensemble « assurance-vie / crédits » ; il rejoint la décision de la 1ère Chambre civile, en date du 16 janvier 2013 [11], dans un litige aux contours très proches.
Ces schémas d’investissement couplant crédit et assurance restent sensibles, financièrement comme juridiquement ; ils sont fortement critiqués, à ce titre. Ceux qui les proposent et ceux qui les souscrivent doivent les pratiquer avec beaucoup de précautions.
A défaut, les uns comme les autres risquent bien de voir disparaître au lever du jour « l’orbiculaire image », emportant « l’ample fromage ».