Droit de l’UE : l’obésité peut constituer un "handicap" au sens de la Directive 2000/78.

Par Thibault Saint-Martin, Elève-avocat.

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Explorer : # discrimination # handicap # obésité # directive 2000/78

La Cour de justice de l’Union européenne a récemment rendu une décision reconnaissant que l’obésité pouvait constituer un handicap au sens de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

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Transposée en France notamment par la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations [1] (on retrouve aujourd’hui l’interdiction des discriminations en matière d’emploi à l’article 1132-1 du Code du travail), la Directive 2000/78 sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail [2] soulève encore des questions d’interprétation. C’est à l’une d’entre elles qu’a répondu la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt Fag og Arbejde (FOA) contre Kommunernes Landsforening (KL) du 18 décembre 2014 [3].

Interrogée par une juridiction danoise par la voie du renvoi préjudiciel en interprétation [4], la Cour de Luxembourg était invitée à préciser les contours de l’obésité en tant que motif de discrimination professionnelle.

Les faits de l’espèce étaient les suivants : pendant 15 ans, Monsieur Kaltoft a été assistant maternel pour le compte de la ville de Billund au Danemark. Suite à une baisse du nombre d’enfants à garder, il fut licencié, sans que la ville ne précise pourquoi c’était lui qui était licencié parmi l’ensemble des assistants maternel de la ville. Soutenu par une organisation syndicale, Monsieur Kaltoft, s’estimant victime d’une discrimination en raison de son obésité (avérée selon les critères de l’OMS), a demandé devant les juridictions danoises la reconnaissance de la discrimination, et des dommages-intérêts en réparation.

Préférant surseoir à statuer, la juridiction danoise a posé 4 questions préjudicielles à la Cour de justice, afin de l’éclairer sur la solution du litige :

- « 1) Est-il contraire au droit de l’Union, tel qu’il trouve expression, par exemple, à l’article 6 TUE sur les droits fondamentaux, que, sur le marché du travail, de manière générale ou plus particulièrement pour une administration publique en qualité d’employeur, il soit procédé à une discrimination fondée sur l’obésité ?
- 2) Une éventuelle interdiction en droit de l’Union de toute discrimination fondée sur l’obésité est-elle directement applicable aux rapports entre un ressortissant danois et son employeur, ce dernier étant une administration publique ?
- 3) Si la Cour constate une interdiction dans l’Union de la discrimination sur le marché du travail fondée sur l’obésité, soit générale, soit plus particulièrement pour une administration publique en qualité d’employeur, l’appréciation de la question de savoir s’il y a eu méconnaissance d’une éventuelle interdiction de la discrimination fondée sur l’obésité doit-elle résulter d’une charge de la preuve partagée, de sorte que, dans un cas où l’existence d’une telle discrimination peut être présumée, l’application effective de cette interdiction exige que la charge de la preuve incombe à l’employeur visé par une plainte ou agissant en qualité de partie défenderesse à une procédure contentieuse (voir dix-huitième considérant de la Directive 97/80/CE du Conseil du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe, JO L 14, p. 6) ?
- 4) L’obésité peut-elle être considérée comme constituant un handicap relevant de la protection de la Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16) et selon quels critères faut-il apprécier si l’état d’obésité d’une personne a concrètement pour effet qu’elle doit bénéficier de la protection conférée par cette directive contre la discrimination fondée sur un handicap ? [5] »

Suivant les conclusions de son avocat général, la Cour de justice a répondu négativement à la première question, ce qui a eu pour conséquence de rendre les questions 2 et 3 sans objet. En effet, la Cour de justice a estimé que « le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il ne consacre pas de principe général de non-discrimination en raison de l’obésité, en tant que telle, en ce qui concerne l’emploi et le travail » (point 40 de l’arrêt).
Ainsi, aucun texte du droit de l’Union, que ce soit les traités, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ou le droit dérivé, ne consacre un principe autonome d’interdiction des discriminations en raison de l’obésité.

Cependant, encore une fois en suivant les conclusions de son avocat général, la Cour a estimé que l’obésité, si elle n’était pas un motif de discrimination indépendant, pouvait être rattachée à la notion de « handicap », telle qu’énoncée par la Directive 2000/38.
La liste des discriminations interdites en matière d’emploi et de travail inscrite dans la directive est certes exhaustive (point 36 de l’arrêt), mais il reste possible d’en étendre le champ en définissant plus largement certains des motifs énumérés.

C’est la démarche de la Cour avec la notion de handicap, qui après avoir éludé une difficulté procédurale [6], dit que « la Directive 2000/78 doit être interprétée en ce sens que l’état d’obésité d’un travailleur constitue un « handicap », au sens de cette directive, lorsque cet état entraîne une limitation, résultant notamment d’atteintes physiques, mentales ou psychiques durables, dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à la pleine et effective participation de la personne concernée à la vie professionnelle sur la base de l’égalité avec les autres travailleurs ».

Par conséquent, l’obésité qui entraîne pour le travailleur une impossibilité de participer comme les autres travailleurs à la vie professionnelle, constitue un handicap au sens de la Directive 2000/78. Par un mécanisme de rattachement au handicap, les personnes en situation d’obésité sont donc protégée des discriminations dans leur vie professionnelle.

Concrètement, cette interprétation de la Directive 2000/78 va probablement avoir une influence sur le droit français (et les autres droits nationaux dans l’Union), car elle peut s’appliquer à l’article 1132-1 du Code du travail qui en est la transposition sur cet aspect.
Par cette arrêt, la Cour de justice a marqué sa prise en compte d’une problématique grandissante, par une interprétation évolutive de la directive, sans aller vers une approche trop extensive et en posant des critères tenant aux effets de l’obésité du travailleur sur ses possibilités professionnelles. L’avocat général a d’ailleurs anticipé dans ses conclusions sur certaines critiques qui pourraient naître sur les risques d’extension de la notion de handicap, qui pourrait être utilisée pour justifier des problèmes d’addiction à la drogue ou à l’alcool par exemple. S’il reconnaît que ces addictions sont des maladies, il ajoute qu’ « en présence de ces maladies, comme dans le cas des autres maladies, tout employeur peut légitimement attendre de l’employé qu’il recherche le traitement médical adéquat nécessaire pour lui permettre d’accomplir correctement ses obligations en vertu de son contrat de travail » (point 59 des conclusions de l’avocat général).

Ainsi, si elle est une avancée certaine, cette jurisprudence n’ouvre pas pour autant la porte à toutes les revendications.

Thibault Saint-Martin
Élève-avocat

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Notes de l'article:

[1LOI n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

[2Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

[3Affaire C-354/13.

[4Article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

[5Demande de décision préjudicielle présentée par le Retten i Kolding (Danemark) le 27 juin 2013 – FOA, agissant pour M. Karsten Kaltoft/Commune de Billund (Affaire C-354/13).

[6Le gouvernement danois soutenait que la quatrième question était irrecavable car hypothétique. La Cour a rappelé sa jurisprudence sur l’utilisation de l’article 267 TFUE : « dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer. La présomption de pertinence qui s’attache aux questions posées à titre préjudiciel par les juridictions nationales ne peut être écartée qu’à titre exceptionnel, s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées » (point 49 de l’arrêt). En l’espèce, la Cour a estimé que cette présomption de pertinence pouvait s’appliquer.

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