1) La nullité du licenciement du salarié lanceur d’alerte prononcé en violation de la liberté d’expression
A l’époque des faits donc, la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 qui prévoit que le licenciement d’un salarié fondé sur le fait qu’il témoigne ou dénonce, de bonne foi, des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale est nul, n’était donc pas applicable.
Aussi, la cour d’appel avait estimé que le licenciement du directeur administratif et financier était certes dépourvu de cause réelle et sérieuse puisqu’il avait dénoncé les faits en parfaite bonne foi, mais elle avait refusé de prononcer la nullité du licenciement.
La cour d’appel avait ainsi fait une stricte application de la règle selon laquelle il n’y a « pas de nullité sans texte » hors les cas d’atteinte à une liberté fondamentale et avait relevé la loi du 6 décembre 2013 n’était pas applicable au moment des faits.
Pourtant, la chambre sociale, saisie d’un pourvoi formé par le salarié contre cette décision, a estimé, au visa de l’article 10§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, que le licenciement du lanceur d’alerte était nul car prononcé en violation de la liberté d’expression :
« Vu l’article 10 § 1 de la de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Attendu qu’en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ;
Attendu que pour dire qu’il n’y avait pas lieu d’annuler le licenciement et débouter le salarié de sa demande de réintégration, l’arrêt retient que la nullité ne peut être prononcée en l’absence de texte la prévoyant puisque les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail issus de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, n’étaient pas applicables à l’époque du licenciement et que les faits dénoncés par le salarié ne se rattachaient pas à des faits de corruption, ce qui exclut l’application de l’article L. 1161-1 du code du travail ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le licenciement était motivé par le fait que le salarié, dont la bonne foi ne pouvait être mise en doute, avait dénoncé au procureur de la République des faits pouvant être qualifiés de délictueux commis au sein de l’association, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé. »
Ce faisant, la chambre sociale de la Cour de cassation se conforme à l’approche adoptée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 12 février 2008, Guja c. Moldova, n°14277/04).
2) Une protection contre le licenciement conditionnée à la seule bonne foi du lanceur d’alerte
La nullité du licenciement est toutefois soumise à la condition que le salarié qui a dénoncé des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale l’ait fait de bonne foi.
La bonne foi doit ici être interprétée comme la croyance légitime du salarié en la commission desdits faits.
Aussi, le salarié qui dénoncerait une infraction pénale de manière parfaitement mensongère simplement pour se protéger d’un licenciement qu’il sentirait approcher, ne pourrait pas bénéficier de cette solution.
En revanche, la protection s’appliquerait à un salarié qui dénonce de bonne foi des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale même s’il s’avère ensuite que le salarié s’est trompé et qu’aucune infraction n’a finalement été commise.
En effet, l’attendu de principe de l’arrêt du 30 juin 2016 ne laisse aucune place au doute à cet égard puisqu’il est formulé ainsi :
« Attendu qu’en raison de l’atteinte qu’il porte à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ; »
En outre, par cet arrêt la chambre sociale va encore plus loin que son homologue européen puisque contrairement à la Cour européenne des droits de l’Homme, elle ne fait aucune référence à l’intérêt général comme condition d’application de la protection.
Enfin, la chambre sociale ne subordonne pas non plus le bénéfice de cette protection à la nécessité de respecter la graduation de la procédure d’alerte. En effet, pour la Cour de cassation, peu importe que le salarié ait averti sa hiérarchie préalablement à la dénonciation auprès de l’autorité judiciaire ou qu’il ait directement informé le procureur de la République.
De même, si en l’espèce, le directeur administratif et financier avait porté sa dénonciation auprès du procureur de la République, la Cour de cassation, dans son communiqué relatif à l’arrêt, précise que : « Une telle décision est de nature à protéger les lanceurs d’alerte, dans la mesure où, la chambre sociale instaure cette immunité non seulement lorsque les faits sont portés à la connaissance du procureur de la République mais également, de façon plus générale, dès lors qu’ils sont dénoncés à des tiers ».
Par cette décision, la Cour de cassation consacre donc la solution retenue par le législateur dans la loi du 6 décembre 2013 et étend ainsi la protection contre le licenciement à l’ensemble des lanceurs d’alerte, peu important la date des faits ayant donné lieu au licenciement.
Elle fait ainsi primer la liberté d’expression sur toute autre considération et rappelle donc que toute sanction prise en violation de cette liberté fondamentale doit être frappée de nullité.
La Cour de cassation entend d’ailleurs donner une résonance toute particulière à cet arrêt qu’elle publiera au sein de son rapport annuel.
Pour cause, le sujet des lanceurs d’alerte est plus que d’actualité puisque la loi Sapin 2 telle que modifiée par le Sénat qui l’a adoptée le 8 juillet dernier doit passer en commission mixte paritaire prochainement avant d’être votée définitivement.