Obligation pour l’employeur de dénoncer les infractions routières de ses salariés : comment ça marche ?

Par Frédéric Chhum, Avocat, et Marilou Ollivier, Elève-Avocat.

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Explorer : # obligation de dénonciation # infractions routières # sanctions pour l'employeur # conséquences pour le salarié

La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle crée un article L.121-6 du Code de la route qui impose à l’employeur, titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule (« carte grise »), de dénoncer le salarié conducteur en cas d’infraction routière : « Lorsqu’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure.
Le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. »

Cette disposition est entrée en vigueur le 1er janvier 2017 mais pose déjà de nombreuses questions relatives à ses modalités précises d’application. Le présent article tend donc à apporter quelques éclaircissements sur la portée concrète de cette nouvelle obligation qui incombe à l’employeur.

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1) Quelles infractions doit dénoncer l’employeur ?

L’obligation pour l’employeur de dénoncer le salarié conducteur du véhicule ne s’applique qu’aux infractions routières commises à compter du 1er janvier 2017.

Elle ne concerne en outre que les infractions constatées selon les modalités prévues à l’article L.130-9 du Code de la route, c’est-à-dire par des appareils de contrôle automatique homologués (autrement dit, des radars) et visées à l’article R. 121-6 du même Code.

Il s’agit donc des infractions suivantes :

  • Le port d’une ceinture de sécurité homologuée ;
  • L’usage du téléphone tenu en main ;
  • L’usage de voies et chaussées réservées à certaines catégories de véhicules ;
  • L’arrêt, le stationnement ou la circulation sur les bandes d’arrêt d’urgence ;
  • Le respect des distances de sécurité entre les véhicules ;
  • Le franchissement et le chevauchement des lignes continues ;
  • Le non-respect des signalisations imposant l’arrêt des véhicules ;
  • Le non-respect des vitesses maximales autorisées ;
  • Le non-respect des règles relatives aux dépassements ;
  • L’engagement dans l’espace compris entre les deux lignes d’arrêt à un feux de signalisation réservé aux cycles et cyclomoteurs ;
  • Le défaut d’assurance responsabilité civile.

S’ajoutera à cette liste l’infraction de défaut de port d’un casque homologué pour les conducteurs de motocyclettes, tricycles à moteur, quadricycles à moteur ou cyclomoteurs au plus tard le 31 décembre 2018.

2) Quelle procédure de dénonciation ?

Dès lors que la personne morale titulaire du certificat d’immatriculation reçoit un avis de contravention, son représentant légal dispose de 45 jours pour dénoncer le salarié qui conduisait le véhicule au moment où l’infraction a été commise ou, pour établir l’existence d’un vol, d’une usurpation d’identité ou d’un évènement de force majeure (article L.121-6 alinéa 21er du Code du travail).

Concrètement, l’employeur devra remplir :

  • Soit le formulaire papier joint à l’avis de contravention qu’il devra renvoyer par lettre recommandée avec avis de réception ;
  • Soit le formulaire en ligne disponible sur le site internet de l’Agence national de traitement automatisé des infractions (www.antai.fr) mentionné sur l’avis de contravention.

Sur ce formulaire, l’employeur devra indiquer l’identité et l’adresse du salarié qui conduisait le véhicule au moment de la commission de l’infraction ainsi que la référence de son permis de conduire (art. L.121-6 et A 121-2 et 3 du Code de la route).

Si l’identification du salarié conducteur ne semble a priori pas poser de problèmes pour les salariés auxquels est attribué un véhicule dédié, la tâche ne sera pas aussi aisée dès lors qu’il s’agira d’un véhicule dont l’usage est réparti entre plusieurs salariés.
Le cas échéant, il est fortement recommandé à l’employeur de mettre en place des processus rigoureux permettant l’identification des conducteurs (type agenda récapitulant l’ensemble des mouvements des véhicules et l’identité des salariés).

A défaut de parvenir à identifier précisément le conducteur dans le délai de 45 jours, on en revient à l’ancien régime : le représentant légal de la société paie l’amende et aucun retrait de points ne peut être prononcé.

Toutefois, il y a fort à parier que la jurisprudence restreindra cette application des anciennes dispositions aux seuls cas dans lesquels l’employeur démontre se trouver dans l’impossibilité matérielle totale d’identifier quel salarié était au volant au moment où l’infraction a été commise.

D’où la nécessité de faire preuve d’une prudence particulière compte tenu des sanctions qu’encourt l’employeur qui viole son obligation de dénonciation.

3) Quelle sanction pour l’employeur qui ne respecterait pas son obligation de dénonciation ?

Le non-respect de cette nouvelle obligation constitue une contravention de 4ème classe (article L.121-6 alinéa 2 du Code du travail).
Par conséquent, l’employeur qui ne dénonce pas son salarié encourt une peine d’amende pouvant aller jusqu’à 750 euros.

A ce titre, il est important de préciser que cette amende n’est pas mise à la charge de la société elle-même (personne morale) mais à la charge de son représentant (personne physique).

4) Quelles conséquences concrètes pour le salarié/conducteur concerné ?

Le salarié qui a commis une infraction routière ayant donné lieu à dénonciation se verra non seulement mettre à sa charge le montant de l’amende liée à l’infraction mais se verra aussi retirer des points sur son permis de conduire le cas échéant.

A terme, un retrait de points entrainant la perte du permis de conduire peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsque la détention du permis est essentielle à l’exercice des fonctions du salarié.

Or, c’est précisément pour éviter de telles conséquences que s’était répandue, sous l’empire des anciennes règles, la pratique selon laquelle les entreprises demandaient aux salariés de prendre en charge l’amende en contrepartie du silence gardé sur leur identité.

La loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 vise à mettre fin à cette pratique dans le but de renforcer la sécurité routière.

Pourtant, certains émettent déjà l’hypothèse que les entreprises adapteront cette pratique antérieure aux nouvelles règles en vigueur en demandant au salarié de prendre en charge tant l’amende résultant de l’infraction routière que celle résultant de la non-dénonciation (Voir Semaine Sociale, 30 janv. 2017 n°1754 page 5).

5) Quels recours du salarié contre cette dénonciation ?

Comme pour toute infraction routière, le salarié conserve la possibilité de contester les contraventions dont il a fait l’objet en prouvant soit qu’il n’était pas au volant au moment des faits soit que la matérialité des faits qui lui sont reprochés n’est pas établie.

Surtout, le salarié qui a fait l’objet d’une dénonciation mensongère de la part de son employeur peut engager la responsabilité pénale tant de la société que de son représentant légal.

Enfin, le salarié peut toujours établir que ce sont ses conditions de travail qui sont en réalité à l’origine de sa violation du Code de la route (notamment lorsque les cadences imposées conduisent le salarié à commettre des excès de vitesses) afin que l’amende soit totalement ou partiellement mise à la charge de son employeur.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 24 juillet 2017 à 17:37
    par Mat , Le 20 avril 2017 à 17:15

    Bonjour,

    Après plusieurs recherches, je reste sans réponse.

    Quelle date doit être pris en compte ? La date de l’infraction ou celle de l’avais de contravention ? Dans les cas où l’infraction a été commise avant le 01/01/17

    Merci

    • par D.A , Le 28 avril 2017 à 09:56

      Bonjour,

      La date prise en compte est celle de l’avis d’infraction : n’ayant pas dénoncé des salariés ayant commis un excès de vitesse en 2016, alors que nous avions reçu l’avis de contravention en 2017, nous venons de recevoir un avis de contravention pour un montant de 450 € pour non désignation du conducteur...

      Ainsi l’analyse faite ci-dessus n’est pas celle retenue par l’administration et diverge de celles présentées part d’autres personnes sur ce même site.
      Le fait générateur de l’obligation qui pèse sur l’employeur demeure la date de l’avis de contravention.

      cdlt,

      D.A.

    • par Alexandre turries , Le 3 mai 2017 à 21:56

      J’ai reçu, comme bien d’autres, cette nouvelle amende pour non-désignation du conducteur.
      Or, je ne suis pas une personne morale, je suis propriétaire à titre privé de ma voiture et non dans le cadre d’une société ni entreprise ou toute autre personne morale.
      Que puis-je faire ? Que me conseillez-vous ?
      grand merci pour votre réponse.

    • par CHHUM AVOCATS , Le 4 mai 2017 à 12:57

      Cher Monsieur,

      Si vous avez reçu une amende pour un véhicule dont vous êtes propriétaire à titre personnel, vous pouvez contester cette amende.

      En effet, le texte de l’article L.121-6 du Code de la route dispose que
       : « Lorsqu’une infraction constatée selon les modalités prévues à l’article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l’envoi ou de la remise de l’avis de contravention, à l’autorité mentionnée sur cet avis, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu’il n’établisse l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure.
      Le fait de contrevenir au présent article est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. »

      Il vise donc uniquement les infractions commises "avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale".

      Dès lors, en application du principe d’interprétation restrictive de la loi pénale, une infraction commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d’immatriculation est une personne privée (et non une personne morale) ne devrait pas pouvoir donner lieu à une amende au titre de l’article L.121-6.

      Vous pouvez donc contester l’amende sur ce fondement.

      Bien à vous,

      Frédéric CHHUM (AVOCAT Paris et Nantes)

    • par Alexandre turries , Le 4 mai 2017 à 17:47

      Merci pour votre réponse Maître Chumm, et pour votre diligence.
      Je vais donc pouvoir argumenter ma contestation

    • par Tisserant , Le 31 mai 2017 à 14:55

      Bonjour,
      N’ayant pas dénoncé le conducteur du véhicule contrevenant, j’ai reçu un nouvel avis de contravention pour non désignation de conducteur d’un montant forfaitaire de 650 euros.
      Cette contravention est adressée à la société et non au représentant légal, or dans votre article, vous précisez que cette contravention est à la charge du représentant légale. Ce qui n’est pas le cas puisque adressée à la société elle-même.
      Il me semble donc que cette contravention reste à la charge de l’entreprise et non du dirigeant ?
      Tout ceci est encore assez flou.
      Cordialement,

    • bonjour - je suis dans le même cas infraction 23 Octobre 2016 - avis contravention 17 janvier 2017 !!

    • par Jérôme , Le 24 juillet 2017 à 17:37

      Bonsoir Maitre CHHUM,

      Mon entreprise vient de recevoir un contravention avec perte de points, donc, si j’ai bien compris, si je paye l’amende de 45€ sur le Site de ANTAI je recevrai par la suite une contravention majorée pour "non dénonciation de conducteur" ???

      Merci pour votre réponse.

  • Bonjour,

    J’ai appris hier que j’ai été verbalisé pour stationnement très gênant (135€) avec un véhicule de mon entreprise. L’infraction datant du 15 juin, PV du 21juin.
    Mon employeur m’a demandé de lui fournir mes informations afin qu’il me dénonce. Mais je viens de voir ici que pour ce genre d’infraction de stationnement la dénonciation n’est pas obligatoire.
    Je suis salarié dans une grande entreprise et les démarches prennent beaucoup de temps, et ma crainte est que le délais de 45 jours avant majoration de l’amende approche à grand pas.
    La question que je me pose est la suivant, après dénonciation sous 45 jours, paye t-on l’amende majorée (375€....) ou la forfaitaire ?

    Merci d’avance

  • Dernière réponse : 30 juin 2017 à 23:07
    par Jean-Christian Samyn , Le 1er mai 2017 à 21:15

    Quid des infraction constatees avant le 1er janvier , (debut decembre par exemple) mais transmises a l’entreprise apres le 1er janvier ?

    • par Crété , Le 10 mai 2017 à 14:22

      Bonjour,
      Je suis dans le même cas que vous, mais pas de réponses concernant la date d’entrée en vigueur des infractions. DOit-on payer des infractions de 2016 ( Décembre) alors que nous recevons les avis en Avril/Mai 2017, avec de la majoration.
      L’administration ANTAI m’a répondu que si un texte de loi justifie que c’est à partir du 01/01/2017 que les infractions ont été commises et donc non déclarées, alors nous pouvons contester en joignant ce texte. Cher Maître, avez-vous ce texte ? Que dit la loi ? Merci car nous sommes tous dans des impasses avec des grosses sommes d’argent en jeu.
      Cordialement
      V.C.A

    • Bjr,
      l’article L.121-6 mentionne que dans les 45 jours, nous devons indiquer l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait le véhicule.
      Doit on mentionner comme l’impose l’article 530-1 du code pénal mentionné également le n° du permis de conduire avec la date de délivrance comme demandé dans le formulaire de requête en exonération ?
      La loi permet elle d’avoir accès à des données personnelles de vos salariés comme le numéro du permis de conduire ainsi que sa date de délivrance ?
      il s’agit d’un document personnel, le salarié peut il refuser de nous communiquer de telles éléments ?

    • par Seb , Le 30 juin 2017 à 23:07

      Bonjour j ai reçu un pv avec mon véhicule de fonction je souhaite contesté sans que mon patron soit tenu au courant
      En effet j ai prêter mon véhicule un jour de travail à mon frère et il s est fait flasher , je souhaiterai traiter cette affaire loin des yeux de mon employeur
      merci pour votre réponse

  • Bonjour
    L’employeur qui a reçu l’amende a-t-il lui même un recours, pour ne pas avoir à payer l’amende : s’excuser platement de ne pas avoir communiqué les coordonnées du salariés (pour cause de méconnaissance du dispositif, et les communiquer dans le même courrier ?
    Merci pour votre conseil
    Lionel

    • par Mireille , Le 6 juin 2017 à 21:22

      Avez vous eu une reponse à votre question ? Avez vous fait une demande du fait de votre méconnaissance de cette obligation ? Mon mari est dans la même situation. Merci

    • par Younes , Le 29 juin 2017 à 22:01

      Bonjour
      J’ai reçu une amende de 135 € pour stationnement dangereux avec 3 point sur le permis de conduire je voudrais savoir si l’on n’est obligé de dénoncer les amendes de stationnement dangereux merci .

  • Bonjour,

    Après avoir payé l’amende pour excès de vitesse d’un des véhicules de ma société (infraction constatée le 02/12/16 et avis contravention du 14/02/17), je n’ai pas dénoncé le conducteur pensant que je n’étais pas dans l’obligation puisque l’infraction avait été constatée avant le 01/01/17.

    J’ai pourtant reçu et payé l’amende de 450 € pour non dénonciation.

    Ma question est la suivante : suis-je malgré avoir, payé cette dernière contravention, toujours dans l’obligation de dénoncer le conducteur ?

    Merci pour votre réponse

    Cordialement

    David

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