Salarié en forfait annuel en heures : liberté restreinte sur la fixation de ses horaires.

Par Franck Guenard, Juriste.

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Explorer : # forfait annuel en heures # autonomie du salarié # pouvoir de direction de l'employeur # licenciement pour faute grave

Analyse et impacts de l’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 2 juillet 2014 (pourvoi n°13-11.904)

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L’article L.3121-42 du Code du travail prévoit les catégories de salariés qui peuvent conclure une convention de forfait en heures sur l’année, dans la limite de la durée annuelle de travail applicable aux conventions individuelles de forfait fixée par l’accord collectif :

1° Les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel ils sont intégrés ;

2° Les salariés qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps.

Le recours aux conventions de forfait en heures sur l’année présente des avantages conséquents pour les employeurs : pas d’application des dispositions relatives au contingent annuel d’heures supplémentaires, possibilité pour le salarié d’adapter son horaire en fonction de la charge de travail qui, on le constate souvent, peut être particulièrement fluctuante et soumise à des aléas non maîtrisés (retard de livraisons, commande exceptionnelle, accroissement temporaire d’activité, baisse d’activité).

Malgré ces avantages le Code du travail a limité le champ d’application des conventions de forfait en heures sur l’année notamment par la fixation d’un prérequis : l’autonomie du salarié.

La Cour de cassation avait jusqu’à aujourd’hui toujours appliqué un contrôle strict quant au respect de cette condition d’autonomie. Par exemple avait été considérée justifiée une demande de rappel d’heures supplémentaires et l’inopposabilité d’une convention de forfait en heures sur l’année conclue avec un salarié qui se voyait imposer une présence stricte lors de l’ouverture et la fermeture du magasin [1].

L’arrêt rendu le 2 juillet 2014 concernait un salarié occupant un poste de chef d’équipe avec un statut d’assimilé cadre. Par un avenant au contrat de travail initial il avait été soumis en janvier 2006 à un forfait annuel en heures de 1767 heures. Il était par ailleurs mentionné dans cet avenant l’autonomie effective du salarié dans l’organisation de son emploi du temps, ainsi que l’impossibilité de prédéterminer une durée de travail. Ce recours à une convention de forfait en heures sur l’année était permis par l’accord national de branche de la Métallurgie du 28 juillet 1998.

Pour répondre à des problématiques d’activité l’employeur décide d’augmenter de manière temporaire les plages horaires effectuées dans l’atelier, en prévoyant notamment une alternance en deux équipes qui se chevauchaient en milieu de matinée. Suite à ce changement l’horaire collectif applicable à l’équipe du matin démarrait à 5h et le salarié chef d’équipe a continué à arriver à son horaire habituel (malgré plusieurs demandes de l’employeur de se conformer aux nouveaux horaires). Suite à ses refus persistants il a été procédé à son licenciement pour faute grave considérant que les nécessités de production et le changement des horaires de l’atelier impliquait pour le chef d’équipe d’en tenir compte sur la fixation de ses propres horaires, et donc de s’adapter pour encadrer au mieux ses équipes.

Le salarié engage un contentieux auprès du Conseil de prud’hommes. La Cour d’appel de Toulouse lui donne raison et considère le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse du fait du passage d’un horaire variable à un horaire fixe sans que le salarié n’ait donné son accord sur cette modification du contrat de travail.

La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse :

une convention de forfait heures sur l’année ne signifie pas pour le salarié une libre fixation de ses horaires de travail, en dehors de toute considération liée aux problématiques d’activités ou nécessités de l’entreprise avancés par l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction. La cour de cassation rejette l’argument défendu par le salarié, qui considérait s’être vu imposé un horaire fixe au détriment d’un horaire variable, en restreignant sérieusement le droit du salarié à déterminer librement ses horaires sur la base de choix personnel.
l’autonomie dans la gestion de son emploi du temps dont bénéficie les salariés soumis à ce type de conventions de forfait n’est pas sans limites : elle doit être perçue davantage comme permettant de s’adapter aux besoins de l’entreprise que comme un moyen purement personnel d’organiser ses journées de travail. A ce titre des plages de présence peuvent être demandées au salarié, dans l’exercice du pouvoir de direction de l’employeur, à partir du moment où elles sont nécessitées par des problématiques d’activité ou par la fonction du salarié (en l’espèce le salarié exerçait des fonctions de chef d’équipe incluant une dimension de management).
La position de la Cour de cassation peut paraître surprenante pour plusieurs raisons.

Elle semble distinguer un degré de contraintes que peut imposer l’employeur à un salarié soumis à un forfait annuel en heures : si les contraintes sont légères et justifiées par les nécessités de l’entreprise ou la fonction du salarié alors elles ne sont pas susceptibles de remettre en cause l’autonomie du salarié ni la convention de forfait conclue. La fixation de ses horaires par le salarié est donc limitée et relative. Par cette nouvelle analyse les juges remettent partiellement en cause la rédaction de l’article L3121-42 qui exige une "autonomie réelle", ainsi que certains arrêts précédemment rendus dans d’autres espèces [2].

Franck GUÉNARD
Juriste en droit social

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Notes de l'article:

[1Cass. Soc. 27 juin 2012, pourvoi n°11-12.527

[2Cass. Soc. 23 juin 2004, pourvoi n° 02-14.861, Cass. Soc. 27 juin 2012, précité

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Discussions en cours :

  • L’article sur les salariés en forfait annuel en heures de Franck GUÉNARD, qui commente de manière très intéressante l’arrêt de la Cour de cassation du 2 juillet 2014, validant le licenciement pour faute grave du salarié concerné, montre bien la vision de la Cour de cassation sur le sujet. Cette vision est nuancée et pleine de bon sens, mais ne donne pas une indication suffisamment précise.

    Il ne me semble pas que la position de la Cour de cassation soit surprenante, ou même qu’elle ait réellement été modifiée. La Cour a simplement poser un nouveau jalon dans la définition de l’autonomie des salariés en forfait annuel en heures. Jusque-là elle n’avait eu l’occasion de le faire que pour préciser qu’une « certaine » autonomie est nécessaire, pour un forfait annuel en heures : « un forfait en heures sur l’année pourra être mis en œuvre avec des salariés … [qui] disposent, en application de leur contrat de travail, d’une certaine autonomie définie par la liberté qui leur est reconnue dans l’organisation de leur emploi du temps… » (Cass. Soc. 23 juin 2004). Dans les deux cas cités, la Cour de cassation avait relevé que la Cour d’appel avait constaté que les ou le salarié(s) ne disposaient « d’aucune autonomie dans la gestion de [son/leur] emploi du temps, autorisant le recours à un forfait annuel en heures » (Cass. Soc. 23 juin 2004 et 27 juin 2012).
    La double définition du terme « autonomie » est peut-être pour quelque chose dans la difficulté de comprendre le texte du législateur. Selon l’Académie Française (1986) autonomie signifie :
    -  « Possibilité de s’administrer librement dans un cadre déterminé ; »
    -  « Indépendance, possibilité d’agir sans intervention extérieure. »

    Soit, il y a un cadre déterminé, donc un pouvoir qui le détermine, soit non, une fois l’indépendance donnée.

    L’article L3121-42 exige une " réelle autonomie ", qui semble se rattacher à la première définition et non une « complète autonomie » qui se rattacherait à la seconde, ce qui serait insensé s’agissant de salariés, sous la subordination de leur employeur. L’interprétation de la Cour de cassation semble donc logique.

    Le problème qui subsiste est celui de la limite entre une autonomie réellement suffisante et une qui ne le serait pas. Cette difficulté se retrouve pour d’autres sujets. Un seul exemple, à partir de quel usage à des fins personnelles d’internet au travail y-a-t-il abus ? La Cour de cassation se prononce sur les pourvois qui ne sont pas forcément proches de la limite. La découverte des limites, hors tout revirement de la jurisprudence, se fait donc progressivement et bien lentement.

    • par GH , Le 20 octobre 2014 à 14:57

      bonjour,
      j’ai lu avec grand intéret vos commentaires. Concernant l’autonomie : qu’en est-il d’un forfait annuel en heures avec un horaire journalier de 9 heures tous les jours, soit 45 heures par semaine ? Il me semble que quand un horaire a une telle amplitude, l’autonomie est nulle. Il n’en serait pas de même si la plage obligatoire ne couvrait qu’une partie de la journée de travail. Dans le cas d’une plage de 45 H/S, l’autonomie n’existe pas donc le forfait annuel en heures ne devrait pas être possible ? Qu’en pensez-vous ?
      Cordialement

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