Aux États-Unis, la procédure de discovery est incontournable dans les litiges civils ou commerciaux car c’est ainsi que les parties vont rechercher les éléments de preuve. Certains avocats (Discovery Attorneys) sont spécialisés dans la recherche de preuve lors de la procédure de discovery et ne font que cela. Par exemple, l’Association des Spécialistes Certifiés E-Discovery [2] propose même un examen pour les avocats souhaitant être certifiés « Spécialistes E-Discovery ». [3] Le terme « E-Discovery » signifie discovery électronique où les parties à un litige conservent les documents sous forme électronique.
La procédure américaine de discovery, régie par le Code Fédéral de Procédure Civile, Chapitre V, Règles 26 à 37, [4] est la phase précontentieuse d’investigation et de recherche de la preuve en matière civile ou commerciale. Aux États-Unis, les lois fédérales s’appliquent chaque fois que le différend implique « plusieurs États ou un État et un pays étranger (…) » selon la Constitution Fédérale des États-Unis. [5] Cette procédure de discovery débute lorsque les avocats de la défense reçoivent une Demande de Communication de Documents et d’Informations (Request for Documents and Information) des avocats du demandeur. Après réception, les avocats de la défense vont analyser, étudier puis communiquer au demandeur tous les pièces reçues du client et sollicitées figurant dans la Demande. Peu importe que les documents soient en faveur ou pas du client. Les avocats de la défense répondent simplement à la Demande de Communication de Documents envoyée par le demandeur. La divulgation des pièces n’est pas spontanée mais plutôt encadrée par cette Demande. Le demandeur s’attend à ce que le défendeur produise les documents spécifiques qu’il considère, lui, pertinents pour l’affaire.
En France, le principe veut que la production de documents soit spontanée [6] et à titre exceptionnel, seul le juge peut forcer une partie à communiquer tels documents que le défendeur n’aurait pas divulgués. [7] Dans le système français, les avocats de la défense mettent l’accent sur la divulgation des seuls documents présentant un intérêt pour l’affaire, alors que le système américain accepte que des pièces soient communiquées au demandeur alors qu’elles ne présentent pas d’intérêt certain mais seulement parce que le demandeur les réclame.
Dans une économie mondiale, les entreprises françaises ont de plus en plus souvent des filiales implantées à l’étranger, notamment aux États-Unis, et de ce fait, les litiges internationaux impliquant la France et les États-Unis sont en constante augmentation. Ainsi, la question que se posent alors les avocats exerçant aux États-Unis et en France est de savoir s’il est possible de travailler ensemble sur une affaire commune en servant au mieux les intérêts du client et concilier deux systèmes de recherche de la preuve différents.
Le seul accord international liant la France et les États-Unis est la Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l’Obtention des Preuves à l’Étranger en Matière Civile ou Commerciale. [8] Très certainement, dans l’avenir proche, des harmonisations et réformes seront nécessaires afin de faciliter la recherche de la preuve dans des contentieux internationaux toujours plus nombreux.
I) Deux systèmes de recherche de la preuve complètement différents
Pour comprendre en quoi le système de recherche de la preuve français diffère du système américain, il convient d’expliquer tout d’abord leur fonctionnement puis d’examiner les conflits nés de leurs différences.
A) Fonctionnement des procédures judiciaires en présence
En France, le principe veut que la communication des pièces soit spontanée. Ce qui signifie que le juge n’intervient pas sauf si le défendeur refuse de communiquer des documents. [9]
Aux États-Unis, la communication des documents est réalisée en répondant à la Demande de Communication de Documents et d’Informations (Request for Documents and Information) préparée par le demandeur. Chaque document, qu’il soit en faveur ou pas du client, est communiqué au demandeur, sauf si bien sûr, le document est protégé par le secret professionnel.
Les avocats du défendeur vont communiquer autant de documents que possible dans le but d’éviter de recevoir par la suite trop d’Interrogatoires Écrits (Interrogatories) de la part du demandeur sollicitant une clarification factuelle. Les Interrogatoires Écrits font parties de la procédure de discovery et sont généralement envoyés au défendeur après la communication initiale des pièces. Selon les lois fédérales américaines, jusqu’à vingt-cinq Interrogatoires Écrits peuvent être signifiés à la partie adverse. [10]
En France, à première vue, il semble facile d’obtenir les documents nécessaires à la préparation du litige puisque la communication est spontanée. Cependant, tout dépend de ce que la partie adverse est encline à communiquer. Ainsi, en cas de non communication d’une pièce, le juge peut ordonner à la partie de s’exécuter [11] mais cela rend la procédure précontentieuse encore plus longue et plus difficile. En présence de litiges internationaux, la Convention de La Haye de 1970, à laquelle la France et les États-Unis sont parties, trouve à s’appliquer et propose des règles spécifiques de communications des pièces que les États signataires sont sensés suivre. En effet, l’article 1er de la Convention dispose que « l’autorité judiciaire d’un État contractant peut, conformément aux dispositions de sa législation, demander par Commission Rogatoire à l’autorité compétente d’un autre État contractant de faire tout acte d’instruction… ». [12]
De ce fait, combiner les différents systèmes juridiques est tout un art puisque les parties à un litige impliquant les États-Unis et la France vont appliquer les règles françaises, américaines et si nécessaires de la Convention de La Haye. Encore faut-il que les États signataires appliquent les dispositions de la Convention en cas de contentieux internationaux car bien souvent les lois du for (lois en vigueur dans le pays de la juridiction compétente) sont privilégiées par le tribunal ayant compétence ratione loci (compétence territoriale). Un vrai casse-tête va naître faisant réaliser qu’il est difficile d’utiliser ces différentes règles procédurales et particulièrement les lois françaises qui prévoient des règles de rétention des documents ayant un caractère économique, financier, technique ou personnel.
B) Conflits nés de procédures différentes
Lors du déroulement de la procédure de discovery aux États-Unis, tous documents ayant un intérêt pour l’affaire peuvent être réclamés par le demandeur. De ce fait, des documents à caractère économique, financier, comptable et personnel concernant les employés ou les dirigeants de la société défenderesse peuvent faire l’objet d’une demande de divulgation. [13] Dans leur quête de la pièce pertinente pour l’affaire en cours, les avocats de la défense vont étudier en détail non seulement toutes les informations à caractère personnel de la société elle-même mais aussi des employés incluant les E-mails personnels et autres documents sauvegardés dans l’ordinateur ou même effacés mais dont la trace est conservée sur le disque dur. Cela constitue indéniablement une atteinte au respect des données à caractère personnel. Et si tel employé avait su qu’un groupe d’avocats lirait à un moment donné ses E-mails écrits à partir de son compte professionnel, il n’aurait très probablement pas utilisé ce compte pour les écrire. C’est pour cela que la Commission Nationale de l’Information et Liberté (C.N.I.L.) a publié une délibération le 23 juillet 2009 [14] « portant recommandation en matière de transfert de données à caractère personnel dans le cadre des procédures judiciaires américaines dites de discovery ». Cette délibération propose que toutes personnes morales ou physiques de nationalité française impliquées dans une procédure de discovery aux États-Unis « ne divulguent que les éléments de preuve pertinents au litige ». [15] Elle ajoute que « les données relatives à la personne concernée ne peuvent être conservées que pour une durée adéquate au regard de la finalité du traitement qui a justifié cette procédure » [16] et qu’ « une information générale, claire et complète de toute personne potentiellement concernée doit être réalisée préalablement à la mise en place du traitement de données pouvant faire l’objet d’un transfert de leurs données personnelles à l’étranger dans le cadre de procédures judiciaires ». [17] Ainsi, la C.N.I.L. réaffirme la loi française dite de « blocage » du 16 juillet 1980, qui modifie la loi du 26 juillet 1968 [18] en érigeant en délit pénal [19] le fait pour toute personne physique ou morale de nationalité française de « demander, rechercher ou communiquer, par écrit, oralement ou sous toute autre forme, des documents ou renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique tendant à la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères ou dans le cadre de celles-ci » (Articles 1er et 1er bis de la loi du 26 juillet 1968). [20]
Par conséquent, comment mener à bien un litige impliquant la France et les États-Unis et passer outre les frustrations nées de la mise en présence de systèmes judiciaires aussi différents ? Lorsqu’un avocat américain demande au défendeur français que telles pièces ayant un caractère financier, comptable, économique ou personnel lui soient communiquées, ce dernier va refuser en lui opposant la loi de blocage et se servir de la délibération de la C.N.I.L. comme bouclier.
Ainsi, un délai de plusieurs mois va s’écouler pendant lequel chaque partie va appliquer les règles de son pays d’origine. Normalement, les avocats du demandeur doivent demander une Commission Rogatoire au juge afin d’obtenir la divulgation des pièces désirées, en vertu des dispositions de la Convention de La Hague de 1970. Mais la question de savoir si ce système est adéquat du fait de la multiplication de contentieux internationaux impliquant différents pays, reste intacte. Sur ce point, l’article 23 de la Convention de La Haye dispose que « Tout État contractant peut, au moment de la signature, de la ratification ou de l’adhésion, déclarer qu’il n’exécute pas les Commissions Rogatoires qui ont pour objet une procédure connue dans les États du Common Law sous le nom de pre-trial discovery of documents ». [21] Cela ne résout pas le problème et une telle disposition va très certainement enferrer les parties dans le statu quo. À cela, la France a répondu dans sa déclaration du 19 janvier 1987 que « l’exécution des Commissions Rogatoires en cas de pre-trial discovery of documents n’est autorisée que si les documents sont limitativement énumérés dans la Commission Rogatoire et ont un lien direct et précis avec l’objet du litige ». [22] Ainsi, le juge français dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour accorder ou pas la divulgation de documents lorsqu’une Commission Rogatoire lui sera signifiée.
Il est temps de trouver un système allant non seulement réduire les délais de procédure mais aussi éviter le statu quo pendant des mois lors de litiges internationaux. C’est pourquoi il convient d’élaborer des règles simples et précises qui vont contenter les parties en présence. De ce fait, les dispositions légales ou conventionnelles actuellement utilisées pour la divulgation des éléments de preuve lors de litiges internationaux doivent être réformées afin d’être uniformisées.
II) Deux systèmes de recherche de la preuve à uniformiser
Lors de litiges impliquant les États-Unis et la France, la juridiction américaine ayant une compétence ratione loci va privilégier l’application des règles fédérales américaines de procédure civile prévoyant la divulgation de documents retenus dans d’autres pays. Les juridictions françaises vont alors opposer la loi de blocage et de ce fait, la Convention de La Hague va être appliquée. Un long et complexe cheminement va alors s’instaurer pour pouvoir obtenir les documents de la partie adverse. Il est temps d’améliorer l’efficacité des procédures applicables et d’en réduire les coûts.
A) Améliorer l’efficacité des procédures en présence
Dans l’arrêt Aerospatiale du 15 juin 1987, [23] la Cour Suprême des États-Unis a considéré que « la Convention de La Hague ne prévoit pas de procédures exclusives et obligatoires pour obtenir des documents et informations dans un pays étranger signataire. Le langage de la Convention (…) supporte plutôt la thèse selon laquelle l’intention était d’établir des procédures optionnelles pour obtenir les éléments de preuve à l’étranger ». [24] La Cour Suprême des États-Unis ne considère donc pas la Convention de La Hague d’application obligatoire mais comme une simple option. De plus, la même Cour conclut que « la Convention ne peut empêcher le Tribunal du District d’ordonner, en vertu des lois fédérales, à la partie adverse, citoyenne d’un pays étranger de communiquer tout document physiquement détenu dans cette nation étrangère ». [25] L’argument de la Cour Suprême des États-Unis dans l’arrêt Aerospatiale pour justifier l’application exclusive des lois fédérales et non la Convention, est que « les lois fédérales s’appliquent pour obtenir des preuves à l’étranger sauf si les circonstances de l’espèce ne rendent plus raisonnable le recours aux règles conventionnelles ». [26] Plus tard, la Cour Suprême a réaffirmé cet argument dans l’arrêt In Re Aircrash Disaster [27] du 20 février 1997 où notamment des demandeurs américains avaient poursuivi un constructeur aéronautique français.
Face à un tel argument, les juridictions françaises ont tenté d’opposer la loi de blocage prohibant la divulgation de tout document à caractère « économique, commercial, industriel ou technique concernant un citoyen français ou une société française lors de différends à l’étranger ». [28] En effet, dans le célèbre arrêt Executive Life du 12 décembre 2007, [29] la Cour de Cassation a condamné un avocat français exerçant en Californie représentant les demandeurs devant le tribunal fédéral à payer une amende de 10 000€ pour avoir tenté d’obtenir la communication de documents financiers en France en violation de la loi de blocage. Dans cette instance, l’avocat français aurait dû appliquer les dispositions de la Convention de La Haye et demander une Commission Rogatoire. Au lieu de cela, il s’est exposé à un délit pénal. [30] Une telle condamnation semble symbolique mais démontre la détermination de la juridiction française à appliquer la loi de blocage.
D’autres États-membres de l’Union Européenne, comme l’Allemagne prévoit une loi de blocage et dans un arrêt du 21 janvier 2010 concernant une rupture de contrat, le Tribunal fédéral de l’État de l’Utah [31] a ordonné au défendeur allemand de communiquer tous les documents à caractère personnel et financier au demandeur américain contre la volonté du défendeur opposant la loi de blocage allemande. En l’espèce, le Tribunal fédéral a refusé d’appliquer les dispositions de la Convention de La Haye.
Les différentes décisions rendues démontrent l’inefficacité des lois de blocage dans certaines instances. Que se passerait-il si un défendeur français refusait de communiquer les documents au demandeur américain lors d’un litige aux États-Unis alors que le tribunal américain aurait compétence ratione loci en opposant malgré tout la loi de blocage ? Cela signifierait-il que le défendeur français ferait l’objet d’une condamnation devant le juge américain ? La réponse n’est pas clairement définie et ce manque de clarification en appliquant des législations qui s’opposent va très sûrement accroître la longueur et le coût de tels litiges. Cela démontre qu’il existe bien un réel besoin de déterminer des règles communes, efficaces et faciles d’utilisation, qui seraient reconnues par les parties à un litige international.
Pour l’instant, la meilleure solution est toujours de demander au juge une Commission Rogatoire en vertu des dispositions de la Convention de La Haye mais l’efficacité de ces dispositions reste encore à prouver.
B) Réduire le coût et la durée des procédures en présence
Les sociétés françaises, impliquées dans une procédure de discovery aux États-Unis, savent que les honoraires des avocats et autres frais de justice seront exorbitants, bien souvent chiffrés en millions. Un tel coût s’explique par le fait que les avocats américains vont travailler énormément d’heures sur la discovery en creusant en profondeur et passant au peigne fin tous les documents reçus par leur client avant de ne communiquer à la partie adverse que les pièces pertinentes qui répondent à la Demande de Communication de Documents et d’Informations (Document Request). Une discovery peut durer de quelques mois à plusieurs années. Toutefois, jusqu’à environ une dizaine d’années, cette procédure était plus rapide qu’actuellement car elle requérait l’étude de moins de documents. En effet, les E-mails étaient moins fréquents et les documents étaient généralement conservés sur papier. Historiquement, il n’y avait pas vraiment besoin de télécharger électroniquement les documents, l’« E-Discovery » n’existait pas alors que de nos jours, ce système est devenu une routine afin d’éviter d’être noyés sous la masse de documents à revoir.
Face aux inconvénients de la procédure de discovery, les sociétés cherchent le plus souvent à trouver un accord entre elles. De ce fait, il est temps de réformer le système et les règles à mettre en place vont devoir accroître l’efficacité de cette communication des preuves tout en servant au mieux les intérêts des parties.
Des groupes de travail sont en train d’élaborer des mécanismes dont le but est d’uniformiser les règles existantes. Par exemple, le groupe de travail de l’Institut de la Conférence Sedona tente de mettre en place une stratégie offrant des solutions pratiques pour la communication de documents lors d’une procédure de discovery. Il est ainsi proposé que « la détermination de l’étendue de la discovery lors de litiges internationaux doit être fondée sur un équilibre entre d’un côté les besoins, coût, charge de la discovery et d’un autre côté les intérêts de chaque juridiction ; tout en respectant les droits et libertés fondamentaux des citoyens, y compris leur droit à la vie privée à l’égard du traitement de leurs données personnelles ». [32] Pour rendre cet équilibre réalisable, le groupe de travail propose plusieurs éléments [33] à explorer, tels que : « la nature des informations à caractère privé dans la juridiction d’origine », « l’objet de la divulgation de telle pièce », « la difficulté des procédures », « le coût des procédures », « la réelle nécessité d’une discovery pour résoudre le différend », et « le coût estimé de la collecte, revue, étude et communication des informations pertinentes, (…) ». [34]
Aujourd’hui il n’existe pas de règles uniformes et universelles ayant été acceptées pour réguler la divulgation des éléments de preuve lors de litiges internationaux. Mais avec la multiplication de ces contentieux, il devient évident que les règles actuelles sont insuffisantes. Le manque d’uniformité et d’efficacité des règles en vigueur force les sociétés, prises dans une procédure de discovery aux États-Unis, à perdre énormément de temps et d’argent. C’est la raison pour laquelle les propositions très concrètes du groupe de travail de l’Institut de la Conférence Sedona doivent être sérieusement considérées car uniformiser la recherche de la preuve lors de litiges internationaux devient plus qu’un besoin, une nécessité.
Carole Landat-Shelley
Avocate au Barreau de New York