Article 905 : la Cour de cassation livre son interprétation.

Par Romain Laffly, Avocat.

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Explorer : # procédure civile # appel # ordonnance de référé # cour de cassation

Lorsque l’appel est relatif à une ordonnance de référé, la procédure est soumise de plein droit aux dispositions de l’article 905 du code de procédure civile et les parties peuvent s’affranchir de leurs délais pour conclure alors même qu’aucune ordonnance de fixation à bref délai n’a été rendue [1].

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Le Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes du Rhône et un Syndicat de chirurgiens-dentistes relèvent appel d’une ordonnance de référé qui avait rejeté leur demande tendant à voir ordonner la cessation de fabrication de prothèses par une société. Bien que s’agissant d’une ordonnance de référé, l’affaire avait suivi le circuit classique et n’avait pas été fixée à bref délai par application de l’article 905 du code de procédure civile et les conclusions de l’intimé notifiées au-delà du délai de deux mois [2] avaient été jugées irrecevables par le conseiller de la mise en état puis par la cour d’appel de Lyon sur déféré.

Le pourvoi contre cet arrêt, qui tendait à faire reconnaître que, même en l’absence d’une ordonnance présidentielle, les parties pouvaient s’affranchir des délais de rigueur pour conclure apparaissait téméraire tant les cours d’appel ont pu rappeler que cette thèse n’était recevable qu’à la condition expresse qu’une ordonnance fixant l’affaire à bref délai, conformément à l’article 905 du code de procédure civile, ait été rendue. Mais la Cour de cassation accueille le pourvoi et décide « Qu’en statuant ainsi, alors que lorsque l’appel est relatif à une ordonnance de référé la procédure est soumise de plein droit aux dispositions de l’article 905 du code de procédure civile, même en l’absence d’ordonnance de fixation à bref délai, la cour d’appel a violé le texte susvisé ». Et de casser l’arrêt sur déféré comme l’arrêt sur le fond par voie de conséquence au regard de l’article 625, alinéa 2, du code de procédure civile.

Cet arrêt ne manquera pas d’interpeller la communauté des praticiens de la procédure d’appel, à commencer par les magistrats des cours. Certes, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de rappeler que « les dispositions des articles 908 à 911 du code de procédure civile ne sont pas applicables aux procédures fixées selon les dispositions de l’article 905 du même code » [3] ni même celles de l’article 902 du code de procédure civile [4], mais encore fallait-il que l’affaire ait été préalablement fixée selon la procédure de l’article 905 par une ordonnance du président. La deuxième chambre civile avait également jugé que, dès lors que l’article R 121-20 du code des procédures civiles d’exécution n’imposait pas l’application de droit de l’article 905, les parties n’avaient pas à respecter les délais pour conclure mais à la condition toutefois qu’une ordonnance de fixation à bref délai ait été rendue. [5]

Dans ce dernier cas, si l’on estime que le caractère « de droit » influe sur le sort de la procédure, l’on pouvait légitimement penser aussi que la sanction s’expliquait par le fait que ni les parties n’en avaient fait la demande, ni le Président d’office n’avait fixé l’affaire par priorité alors que seule son ordonnance pouvait déterminer le régime procédural applicable.

Or, en jugeant que ce n’est pas l’ordonnance présidentielle qui détermine le régime procédural mais le fait même que l’affaire relève de droit de l’article 905, la position de la Cour de cassation, distincte de celle des cours, a de quoi dérouter.

En effet, la procédure abrégée de l’article 905 peut s’appliquer soit aux affaires qui semblent présenter un caractère d’urgence, soit à celles qui semblent en état d’être jugées, mais sans aucun caractère d’automaticité. À l’inverse, l’application de la procédure à bref délai est de droit dans le cadre de la seconde hypothèse envisagée par l’article 905, à savoir en cas d’appel formé, effectivement, contre une ordonnance de référé.

S’il y a toujours eu une divergence doctrinale sur la latitude offerte au président de fixer l’affaire à bref délai au regard de la matière elle-même, c’est que l’impératif de la formulation peut être discuté : « le président de la chambre saisie, d’office ou à la demande d’une partie, fixe à bref délai l’audience ». Mais si cette fixation par le président est bien de droit, encore faut-il qu’il rende une ordonnance en ce sens !

D’autre part, parce que c’est à compter de cette ordonnance seulement que l’appel échappe à la mise en état, et donc au conseiller de la mise en état, et l’on peut se poser la question de savoir, dans ces conditions, si le conseiller ne serait pas incompétent dès lors que l’affaire relève de l’article 905 sans même donc qu’une ordonnance ne soit rendue. Enfin, la solution dégagée par les cours avait le mérite de la clarté : indépendamment de la matière concernée, c’est lorsque l’ordonnance est rendue que l’on connaît le régime procédural qui gouverne les charges procédurales qui pèsent sur les parties comme la compétence du conseiller.

Or, il n’est pas toujours aisé de percevoir les contours exacts de l’article 905 et les matières « de droit » concernées : ordonnances de référé, certaines ordonnances seulement du juge de la mise en état et ordonnances en la forme des référés depuis le 1er septembre 2017. Et quelles sont les certitudes offertes pour les procédures qui renvoient à la procédure à bref délai, telles celles de l’article R. 121-20 du code des procédures civiles d’exécution ou de l’article R. 661-6, 3°, du code de commerce en matière de procédure collective qui visent toutes deux expressément l’article 905... Les parties prendront-elles le risque de ne pas conclure dans les délais impartis en partant du postulat que l’affaire relève, de droit donc, du bref délai ?

On pourrait objecter qu’elles n’ont sans doute pas pris le risque jusqu’à présent tant cette jurisprudence de la Cour de cassation était éloignée de celle des cours et que, finalement, la nouvelle rédaction de l’article 905, qui impose depuis le 1er septembre 2017 un délai d’un mois pour conclure, à peine de caducité ou d’irrecevabilité [6], rend déjà obsolète cette interprétation de la Haute juridiction. En effet, le point de départ du délai d’un mois pour conclure de l’appelant n’est pas l’instruction « de droit » de l’affaire selon la procédure de l’article 905 (soit à compter de la déclaration d’appel) mais bien, à l’instar des cours qui estimaient que le régime applicable était fonction de l’ordonnance présidentielle, « à compter de la réception de l’avis de fixation à bref délai ».

Mais prenons garde, si l’appelant décidait de conclure avant la réception de cet avis, dont la délivrance diffère grandement selon les cours, ne pourrait-il pas se prévaloir de cet arrêt du 12 avril 2018 vis-à-vis de l’intimé qui ne conclurait pas dans le mois suivant la notification de ses conclusions alors même qu’aucune ordonnance de fixation à bref délai ne serait intervenue dans une affaire soumise de droit aux dispositions de l’article 905... Ou comment, au gré d’un décret, la jurisprudence a priori bienveillante de la Cour de cassation se retourne contre les parties.

Article paru initialement sur Dalloz Actualité

Romain Laffly associé chez Lexavoue Lyon

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Notes de l'article:

[1Civ. 2e, 12 avr. 2018, F-P+B, n° 17-10.105

[2C. pr. civ., art. 909 anc.

[3Civ. 2e, 16 mai 2013, n° 12-19.119, Dalloz actualité, 7 juin 2013, obs. M. Kebir ; D. 2014. 795, obs. N. Fricero ; Cass., avis, 3 juin 2013, n° 13-70.004, D. 2013. 1631

[4Civ. 2e, 2 juin 2016, n° 15-18.596, Dalloz actualité, 23 juin 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 1262

[5Civ. 2e, 21 janv. 2016, n° 14-28.985, Dalloz actualité, 12 févr. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 263 ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero.

[6Art. 905-2

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