Les affaires d’enfants sont parmi les plus douloureuses parce qu’elles déstabilisent les enfants mais aussi les parents évincés et tout particulièrement les plus maladroits qui voient s’éloigner leur progéniture alors qu’ils ne sont pas forcément les plus mauvais. Cette réalité qui va le plus souvent contribuer à accélérer le processus de séparation avec toutes les séquelles qui en découlent est trop rarement prise en compte par les juges et par les psy qui croient peut-être que chacun a les mêmes capacités de gérer en toute sérénité les crises conjugales et familiales. Avantage alors au plus pervers d’autant que les progrès de la réflexion vont dans le sens de la sacralisation de la parole de l’enfant avec tous les risques que comporte pareille démarche. Gare à la casse !
L’idée a progressivement fait son chemin de spécialiser des avocats pour apporter une meilleure compréhension de ces enfants tiraillés qui sont toujours les touchantes victimes des conflits familiaux. Au vu de l’expérience des uns et des autres, on serait tenté de relativiser le succès de la solution même s’il est évident qu’une bonne formation n’a jamais fait de mal, même à un bon avocat. (1)
Il en va de la « parole de l’enfant » comme de la médiation : c’est un métier qui s’apprend et qui gagne à se perfectionner. Pourtant, quand on lit les travaux du docteur Paul BENSUSSAN (2) et les témoignages qui fleurissent de plus en plus dans l’édition, l’impression se dégage assez nettement que le label « avocat d’enfant » a favorisé l’apparition de méthodes de travail assez éloignées de « l’intérêt de l’enfant » bien compris.
Prenons un exemple concret assez courant dans la pratique. La lettre soi-disant spontanée que l’enfant adresse au tribunal ou à la Cour contre le parent déchu a toujours plus de poids quand elle est munie de l’onction de l’avocat de l’enfant désigné par un administrateur ad hoc. Même quand elle a la valeur d’un véritable attentat à l’intelligence humaine tellement elle est, à l’évidence, « fabriquée sur mesure », sans fautes et bien entendu avec des lignes bien droites. C’est tout simplement affligeant mais hélas très courant et sans frais.
Il est trop rare que les juges réagissent avec fermeté comme l’a fait récemment la Cour d’appel de Grenoble en confiant une soi-disant lettre spontanée à un expert qui a dénoncé fermement le stratagème.(3) Façon comme une autre de rappeler que la balle est dans le camp des juges qui devraient être d’autant plus sévères à l’égard des avocats d’enfants auréolés d’un statut qui interdit ce genre de tentations. Ce n’est manifestement pas le cas même si personne n’est dupe.
Les débats, dans les grandes messes, portent rarement sur les dérives, on se demande bien pourquoi quand tant de parents se plaignent des coups portés en dessous de la ceinture. Tout en saluant les efforts de ceux qui ont honnêtement consacré leur carrière à une vraie défense des enfants c’est-à-dire lucide, indépendante et donc utile à la décision judiciaire, n’hésitons pas à ouvrir le débat sur une approche perspicace et réaliste de la pratique quotidienne trop souvent montrée du doigt dans l’indifférence. La cour de cassation elle-même nous y invite en épinglant en termes choisis une pratique calamiteuse :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si le comportement de la mère ne traduisait pas son refus de respecter le droit des enfants à entretenir des relations régulières avec leur père, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés. » (4)
Cette jurisprudence est capitale en ce qu’elle montre clairement que dans pareilles situations les juges ne doivent pas se laisser abuser par la stratégie des adultes manipulateurs tant il est évident qu’un enfant est facile à manipuler.
Le commentateur de cet arrêt publié sur le site internet de l’association LPLM témoigne du ressenti des parents rejetés :
« Il est rare que la justice française se soucie en effet des conséquences implicites (et organisées) des parents (père ou mère) qui de par leur comportement, leur discours, leur vocabulaire…contribuent activement à détruire l’image de l’autre parent et pire encore, à rompre les liens avec l’autre parent de manière totalement injustifiée. La justice française nous a toujours habitué dans ses décisions à mettre en avant le principe sacré de l’intérêt de l’enfant, sans se soucier des moyens que le parent aliénant et/ou « séparant » avait utilisé pour arriver à une situation qui avec le temps devenait de fait entérinée par la justice qui le plus souvent légalisait ainsi une situation délibérément orchestrée par le parent aliénant et/ou « séparant »… ». (http://www.lplm.info/spip/spip.php?...).
Constat qui se compare aux critiques du professeur Jean HAUSER quant à la naïveté du législateur en cette matière. (5)
Les avocats d’enfants ne sont pas toujours à la hauteur de cette réalité et s’écartent trop souvent des recommandations prudentielles pourtant rappelées avec fermeté lors de la dernière grande messe précitée (1) :
« En résumé, si deux maîtres mots devaient être employés pour caractériser l’avocat de l’enfant, ce serait à mon sens DROIT et HUMANITE.
L’avocat de l’enfant est avant tout un avocat, qui comme tout avocat doit avoir une connaissance juridique précise dans les domaines d’intervention très spécifiques qui sont les siens et doit faire preuve, encore plus que dans un autre domaine d’intervention, d’un profond humanisme.
L’avocat de l’enfant est en effet souvent confronté à des situations difficiles et douloureuses pour le jeune et la qualité de son intervention est primordiale.
Pour ce faire, il est essentiel d’avoir une vue à long terme, avec un recul nécessaire, tout en faisant preuve de qualités humaines importantes (écoute, empathie mais également force suffisante qui permette de ne pas se laisser submerger par l’émotion) ».
Pareil bréviaire montre simplement que l’avocat d’enfant est une institution à haut risque qui dans bien des situations crée de véritables coteries dans l’entourage des juges, écrasant du même coup un peu plus le parent désigné par l’enfant d’un doigt vengeur. Avait-on vraiment besoin de cela ? C’est une fois de plus le charme du « politiquement correct ». On le comparera utilement aux réflexions désabusées du docteur Paul BENSUSSAN qui a su « réveiller » à temps les consciences devant les assises de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire d’Outreau :
« Jusqu’à une période toute proche, le témoignage d’un très jeune enfant était considéré comme difficile voire impossible à exploiter…La tendance actuelle est à présent inversée, avec parfois, hélas, une sacralisation de la parole de l’enfant, au sens le plus strict de ce terme : au nom du respect du à l’enfant, on propose aujourd’hui d’interpréter son discours de façon littérale, c’est-à-dire de se dispenser… d’interprétation. Il y a le recueil de la parole (effectué parfois dans des conditions déplorables) et des conclusions. Si une telle attitude venait à s’imposer, on pourrait presque dire que le travail d’expertise et le travail judiciaire deviendraient superflus : en prenant à la lettre les propos d’un enfant (ou de l’adulte proche qui les rapporte), on leur donne la valeur de faits et non plus de dires. Une valeur absolue. La parole prend valeur de preuve. Cette tendance est extrêmement troublante, en tout cas impensable dans le cas d’un témoignage d’adulte ». (6)
Alors ?
La morale de l’histoire, c’est qu’il faut impérativement recruter les avocats d’enfants dans la catégorie des Saints. On finira peut-être par en trouver mais cela montre une fois de plus que chaque fois qu’on crée une nouvelle usine à gaz, qui coûte au demeurant fort cher à tous points de vue, il faut attendre longtemps pour commencer à en contrôler le fonctionnement autrement que par l’autosatisfaction.
D’aucuns considèrent que cela ne marchait pas si mal lorsque le juge pouvait forger son opinion lui-même à partir de l’audition de l’enfant. Avec le système actuel, le risque est d’introduire dans le débat judiciaire des avocats d’enfants qui se comportent comme des procureurs. C’est ce que l’on entend hélas assez souvent et ces procureurs là font du tort à l’institution tant il est difficile de les rappeler à une juste mesure.
Les témoignages sont les bienvenus.
Jean PANNIER
jean.pannier chez gmail.com
Docteur en droit
Avocat à la Cour de Paris
http://contentieux-fiscal-et-douani...
(1) Colloque « L’avocat de droit de l’enfant » Paris avril-mai 2008. Cycle EFB de quatre séances
(2) La dictature de l’émotion. « La protection de l’enfant et ses dérives ». Paul BENSUSSAN et Florence RAULT. Ed. Belfond, 2002
(3) Chambre des Urgences de la Cour d’appel de Grenoble (RGN- O6/00460) 6 décembre 2006
(4) Cass. civ. (1ère Chambre) 4 juillet 2006, Bull. civ. I, 2006 n° 339 p. 292
(5) Jean HAUSER obs. sous Cass. civ. 4 juillet 2006 précité, RTDCiv. 2006 p. 751
(6) Entretien avec Paul BENSUSSAN « L’enfant peut-il mentir ? » op. cit. p. 58-59