[Etude] Le confinement forcé doit être soumis à un contrôle de conventionalité. Par l'Institut des Droits de l'Homme du Barreau de Paris et l'Institut des Droits de l'Homme des Avocats Européens.

[Etude] Le confinement forcé doit être soumis à un contrôle de conventionalité.

Par l’Institut des Droits de l’Homme du Barreau de Paris et l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens.

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Explorer : # droits fondamentaux # confinement forcé # proportionnalité # contrôle de conventionnalité

De la méconnaissance du principe de proportionnalité par la France.
L’Institut des droits de l’homme du Barreau de Paris (IDHBP) et l’Institut des droits de l’homme des avocats européens (IDHAE) publient, sous l’égide du Barreau de Paris, leur rapport définitif sur les mesures prises par le Gouvernement français dans le cadre de la crise sanitaire et leurs impacts sur les droits fondamentaux au regard du principe de proportionnalité tel que défini par le droit européen et international des droits de l’homme.
Forcer au confinement généralisé plus de 67 millions d’habitants, c’est une mesure sans précédent, qui transforme une pandémie en risque pour la Démocratie. Tout est affaire de proportion disent les conventions internationales.

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L’Institut des droits de l’homme du Barreau de Paris (IDHBP) et l’Institut des droits de l’homme des avocats européens (IDHAE) publient leur rapport définitif sur les mesures prises par le Gouvernement français depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, en analysant l’ensemble des dispositifs adoptés au regard des conventions internationales et européennes garantissant les droits fondamentaux.

Visant à écarter tout confinement forcé, tout en prenant des mesures sanitaires proportionnelles à la pandémie, et à s’interroger sur les autres atteintes aux libertés publiques, le rapport permet d’avoir une lecture complète de l’état du droit concernant l’état d’urgence sanitaire depuis le mois de mars jusqu’au début du mois d’octobre 2020 sous l’œil des libertés fondamentales telles qu’inscrites dans les textes internationaux (liberté de circulation, manifestation, travail, santé, éducation, non-discrimination …). Il a été élaboré sous l’égide du Barreau de Paris, avec les contributions notamment d’ATD Quart Monde, La Croix Rouge Française, l’UIA, l’UNAPEI.

Rappelant René Cassin : « L’être humain a une personnalité indivisible. Son droit à la vie n’exige pas seulement un ordre social où il est en sureté contre le terrorisme et les risques d’exécution sommaire. Il faut aussi qu’il puisse trouver sa subsistance dans son travail et l’appui agissant de ces semblables, pour lui et sa famille, s’il est hors d’état de produire » [1], les Instituts invitent le Gouvernement à créer un statut provisoire spécifique de vulnérabilité. Pour remédier à l’exclusion, il importe de ne pas exclure davantage.
La création d’un statut spécifique passe d’abord par une consultation d’un ensemble représentatif de personnes concernées.
Ensuite, chacun(e) doit rester libre de recourir ou pas à ce statut, facultatif, sans critère d’âge, Un tel statut doit aboutir au bénéfice d’une série de mesures, dont, par priorité pendant la durée d’application du statut, un accès privilégié et gratuit aux masques, à des tests simples et rapides d’usage et de résultats, et plus généralement aux soins (avec soutien psychologique, lorsque nécessaire).
Cet accès privilégié doit s’étendre aux personnes côtoyant les personnes vulnérables (proches soignant(e)s, aidant(e)s…).
En outre, ce dispositif doit être synonyme de privilèges non d’ostracisme.

Si le but à atteindre est d’assurer une protection maximale aux personnes qui risquent de mourir du virus, tout en leur garantissant, autant que faire se peut, l’exercice de leurs droits et libertés, les moyens humains et matériels doivent d’abord être concentrés sur cet objectif. La création d’un « statut provisoire de vulnérabilité » peut constituer une réponse proportionnée et efficace aux risques létaux de la pandémie, sans qu’il soit besoin pour l’État français de déroger aux droits fondamentaux, puisque la protection qu’il met en place consiste précisément à renforcer ces droits.

La situation juridique en France est désormais de plus en plus complexe, et depuis maintenant 8 mois la France vit sous un état d’urgence sanitaire continu qui a vocation à se prolonger encore pendant 3 mois et demi au minimum.

Après l’examen par le Sénat du projet de loi prorogeant la loi du 9 juillet organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire (EUS), suspendu le 14 octobre 2020 (puis retiré), le Président de la République a annoncé qu’un décret (n° 2020-1257) du même jour rétablissait l’EUS, à partir du 17 octobre (à 0h), pour permettre un couvre-feu de 21 h à 6 h, dans 8 métropoles, dont l’Ile de France, Marseille, Lyon et Lille, avec interdiction de sortie, sauf justificatif, sous peine des sanctions pénales prévues à l’article L3136-1 du Code de la santé publique, dont peine d’emprisonnement.
Il s’agissait là d’un nouveau reconfinement partiel forcé, dont la proportionnalité n’a pas été sérieusement questionnée au regard des conventions internationales, même si récemment le Conseil d’Etat a validé celui-ci par une ordonnance du 29 octobre 2020 (n°445367).

Depuis, un nouveau confinement généralisé a été adopté par le décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 qui, en ce qui concerne la liberté fondamentale du culte, la liberté personnelle, la liberté d’aller et venir, a été considéré comme proportionné par le Conseil d’Etat [2].
Le Gouvernement a récemment fait adopter par le Parlement le projet de loi de prorogation de l’état d’urgence sanitaire créé par la loi du 23 mars 2020, jusqu’au 1 février 2021. Ce texte a été soumis par des parlementaires au contrôle du Conseil Constitutionnel en application de l’article 61 de la Constitution.

Manifestement, en France, en cas de hausse importante des admissions en réanimation due au virus, le confinement est toujours privilégié même si l’on doit constater que d’autres Etats ont le même réflexe.

Une réflexion sur les causes ayant conduit à une gestion autoritaire de la crise sanitaire est nécessaire. C’est au regard de cette actualité que le rapport entreprend une étude de l’ensemble des libertés affectés par l’état d’urgence au regard du principe de proportionnalité tel que garantit par les conventions internationales.

Le contrôle de conventionnalité vise à assurer la supériorité des engagements internationaux, ratifiés par la France, sur les lois et les règlements internes (article 55, Constitution de 1958). Tout individu peut se prévaloir directement des dispositions de la Convention européenne devant les juridictions internes. La proportionnalité du confinement forcé peut leur être soumise, ainsi que celle des sanctions de l’article L3136 -1 du code de la santé publique.

Le Conseil constitutionnel n’exerce pas de contrôle de conventionnalité.
C’est peut-être pourquoi il a, le 26 juin 2020 [3], déclaré l’article L3136-1 CSP, sanctionnant le délit de non-respect du confinement, conforme à la Constitution. De même, il a considéré le 13 novembre 2020 que le législateur pouvait prolonger l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 16 février 2020 [4].

Néanmoins les arguments soulevés par les requérants, notamment, les violations du droit à ne pas être jugé ou puni deux fois, de la présomption d’innocence, du droit à un procès équitable et de l’interdiction des détentions arbitraires peuvent toujours être jugées contraires aux articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et à l’article 4 de son Protocole n° 7 [5] par les juridictions françaises, et sinon par la Cour européenne chargée de contrôler l’application de la CEDH.

Les juridictions internes, dernier rempart des libertés ? Lorsque, en temps de crise sanitaire, le contrôle parlementaire et constitutionnel ne permet pas de réguler le pouvoir exécutif quant à la conformité des normes aux droits fondamentaux, les citoyens, voulant défendre leurs libertés, peuvent saisir le juge d’un contrôle de conventionalité, des mesures instaurées par l’EUS, leur faisant grief. Concernant le juge administratif, le Conseil d’Etat a jugé que le confinement forcé général (CFG) n’était pas susceptible de porter une atteinte, non justifiée et proportionnée, aux dispositions de la Convention européenne [6] et que le confinement forcé n’est pas une privation arbitraire de liberté [7].

Cependant, l’article 5 § 1 de la Convention européenne, ne prévoit pas, au titre des exceptions au principe : « Nul ne peut être privé de sa liberté », le cas visé par l’article L3131-15 du CSP (interdiction de sortie généralisée).
Le contrôle de conventionnalité sur le confinement forcé ne peut donc plus être exercé que par les juridictions judiciaires. 850 condamnations pour violations répétées du CFG ont été prononcées et au moins 400 personnes ont été condamnées à des peines de prison [8].
Mais, nous ignorons si un contrôle de conventionnalité a été exercé, en première instance ou en appel.
Il est donc conseillé, à toute personne, appelée à défendre contre les sanctions de l’article L3136 -1 du Code de la santé publique, de viser, dès l’origine de leur contestation les articles de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le rapport questionne et analyse dans ses 4 premières parties (plus de 400 pages) les points suivants :
- L’urgence sanitaire ne peut porter atteinte aux droits fondamentaux que dans la stricte mesure où la situation l’exige ;
- L’atteinte massive aux droits fondamentaux fait courir un grave péril à la France ;
- Une atteinte durable aux droits fondamentaux ? La loi du 23 mars 2020 sur l’état d’urgence sanitaire ;
- La question de la proportionnalité reste posée.

Dans sa partie V, les Instituts ont sollicité des contributions de juristes français et étrangers qui permettent d’analyser des questions plus techniques en droit international des droits fondamentaux ou des problématiques liées aux réfugiés, à la pauvreté, à la défense, au handicap.

Quelques études en droit comparé permettent d’illustrer ce qui s’est passé à l’étranger (Allemagne, Belgique, Bulgarie, Grèce, Italie, Japon).
De grandes ONG, telles que la Croix Rouge Francaise, ATD-Quart Monde, l’UNAPEI, l’UIA, ont apporté leur contribution.

Dans sa partie VI, le rapport comporte une bibliographie générale sur le droit international des droits fondamentaux et spécifique à l’ensemble des mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence avec un rappel des commentaires publiés sur les dispositifs législatifs et les décisions judiciaires.

Dans une dernière partie VII (de 6650 pages) : Le rapport comporte des annexes incluant la quasi-totalité des dispositifs législatifs, décisions judiciaires, les recommandations et avis à l’échelle nationale et internationale.

La vocation du rapport est de réaffirmer la nécessaire prépondérance des droits fondamentaux, même et surtout en période de crise sanitaire, et de constituer une base documentaire pérenne. Il est destiné non seulement aux juristes et praticiens, mais aussi aux citoyens, et a vocation à être largement diffusé.

Le rapport complet est consultable ici :

Institut des droits de l’homme du barreau de Paris et Institut des droits de l’homme des avocats européens

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Notes de l'article:

[1« Le droit à la vie, oui, mais pas à n’importe quelle vie ! », René Cassin (1887-1976) - Prix Nobel de la Paix.

[2Décision n°445825 et autres du 7 novembre 2020.

[3CC n° 2020-846/847/848 QPC.

[4CC n° 2020-808 DC.

[5Voir à l’article 2 de son protocole n° 4 : liberté de circulation.

[6Référé 22.03.20 - Syndicat des jeunes médecins.

[7QPC 22.07.20 - Association de défense des libertés constitutionnelles.

[8Le Progrès - 28.09.2020.

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