La mort ne se décide pas : elle se constate (Réflexion à l’occasion des débats sur l’euthanasie).

Par Loïc Tertrais, Avocat.

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Explorer : # euthanasie # volonté sur la vie # droits de l'homme # acharnement thérapeutique

L’article 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales dispose que «  le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement (...) ». Dans une démocratie respectueuse des droits fondamentaux, il ne doit donc être octroyé à la volonté individuelle ou collective aucun pouvoir d’interrompre la vie d’une personne. Il convient naturellement de distinguer le pouvoir de la volonté sur la vie, du respect du cours de la vie lequel passe par la mort : cas de l’acharnement thérapeutique.

-

1) La mort ne se décide pas : elle se constate.

La vie humaine est un déroulement.

La mort est un fait. Elle intervient naturellement au bout de quelques dizaines d’années. Elle est malheureusement plus brutale lorsqu’elle est l’aboutissement d’une maladie ou d’un accident.

La mort est un constat.

L’article R 1232-1 du Code de la santé publique dispose ainsi :

« Si la personne présente un arrêt cardiaque et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :

1° Absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;
2° Abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;
3° Absence totale de ventilation spontanée.
 »

La mort ne se décide pas, elle se constate. Il n’est pas demandé au médecin de décider du décès d’une personne mais de constater, à partir de plusieurs critères, un fait qui échappe à sa volonté.

La mort ne dépend donc pas d’une volonté.

2) Plus une société accorde à la volonté un pouvoir d’interrompre la vie, plus elle est en échec, moins elle est respectueuse des droits de l’homme.

Une société est en échec lorsque la volonté dispose d’un pouvoir sur la vie humaine. En voilà quelques illustrations :

Première illustration. Le régime despotique. Dans certains pays, l’existence des citoyens dépend de la volonté arbitraire de despotes qui règlent leurs difficultés en supprimant les vies qui ne les servent pas. Exemple extrême qui montre cependant qu’il existe un lien entre pouvoir de la volonté sur la vie humaine et l’échec d’une société ou la violation des droits de l’homme.

Deuxième illustration : la peine de mort. Encore présente dans certains pays, elle est le constat d’échec d’une société qui n’est pas capable de proposer autre chose que la suppression d’une vie pour régler ses difficultés. C’est ce que rappelle un auteur qui écrivait avant l’abolition de la peine de mort en France :

« Sur les faces blêmes de ceux qui vont être les témoins de ses derniers instants sans doute le condamné peut-il lire ces paroles qui restent dans les gorges nouées : " Mon ami, nous avouons qu’avec toi nous avons échoué ; nous n’avons pas su ou pas pu, t’élever, t’instruire, te former puis t’aider comme il convenait. Nous n’avons jamais eu ni le temps ni l’imagination suffisants pour solutionner le problème humain que tu nous poses. A l’heure actuelle nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour te faire repartir à zéro. Cela coûterait tellement cher d’avoir des prisons autres que les nôtres avec tout le personnel indispensable qu’il faudrait d’abord former et payer ensuite. Le ministère dont tu dépends nous mange déjà presqu’un pour cent de notre budget national alors que dans notre pays il y a tant de choses à faire tellement plus rentables que de s’occuper de gens de ta sorte. Nous avons déjà mis des vignettes sur les voitures, taxé l’alcool et l’essence à plusieurs reprises, il a même fallu en faire autant pour le tiercé, alors où veux-tu que nous allions chercher l’argent qui serait nécessaire pour que notre justice puisse avoir un budget à peu près digne d’une nation civilisée ? (...) » [1]

Troisième illustration : le suicide. Le suicide est l’acte malheureux d’une personne dont les souffrances entrainent un geste désespéré de la volonté sur sa propre vie. Le suicide est un échec. A double titre. Échec d’une personne qui ne voit pas comment régler ses difficultés autrement que par la suppression de sa propre vie. Échec parfois d’une société qui n’a pas su donner du sens à la vie ou accompagner une personne en grande difficulté.

3) Une démocratie doit toujours restreindre le pouvoir de la volonté sur la vie

Aujourd’hui certains appuient un projet de légalisation de l’euthanasie. Or, cette proposition revient à :

- redonner à la volonté un pouvoir sur la vie,

- considérer comme normal de régler des difficultés ou des souffrances par la suppression d’une vie.

Une telle proposition ne respecte pas les droits de l’homme car elle donne à la volonté de certains un pouvoir d’interrompre la vie d’autres. Il faut au contraire tout faire pour limiter le pouvoir de la volonté sur la vie. Ce devrait être le sens de la politique des démocraties respectueuses des droits fondamentaux de la personne.

En France, un pas a été fait en 1981 avec l’abolition de la peine de mort. Par ailleurs, de nombreuses initiatives publiques ou privées (services d’écoute téléphonique...) ont également vu le jour pour répondre aux tentatives de suicide malheureusement encore très fréquentes.

Alors, laissons la mort à elle-même. Elle a malheureusement déjà trop l’occasion de nous surprendre quand nous l’attendons le moins. Respectons le rôle de la volonté consacré dans le serment d’Hippocrate qui est de ne jamais remettre " à personne du poison, si on m’en demande, ni ne prendrai l’initiative d’une pareille suggestion".

4) Distinguer le pouvoir de la volonté sur la vie du respect du cours de la vie : cas de l’acharnement thérapeutique.

Il faut bien distinguer le pouvoir de la volonté sur la vie, du respect du cours de la vie qui passe nécessairement par la mort. Prenons le cas de l’acharnement thérapeutique pour un malade en fin de vie.

Il y a pouvoir de la volonté sur la vie lorsque une personne interrompt directement et intentionnellement la vie du malade.

En revanche, l’arrêt d’un acharnement thérapeutique, dès lors qu’il est bien discerné (et les critères de discernement ont toute leur importance), n’est pas l’expression d’un pouvoir de la volonté sur la vie. Il est respect du cours de la vie.

Comme l’a exprimé la société de réanimation de langue française, dans des recommandations concernant les limitations et arrêts de thérapeutiques actives en réanimation (parues dans le Figaro du 7 juin 2012) : « La limitation ou l’arrêt de thérapeutiques actives sous réserve qu’elles soient prises et mises en oeuvre en respectant un certain nombre de règles représente parfois la seule alternative éthique à une obstination thérapeutique contraire au code médical. Ces décisions ne constituent en rien une pratique d’euthanasie », soulignent les rapporteurs (...) alors que « toute injection de produits avec intentionnalité de décès, acte d’euthanasie active (est) qualifiable juridiquement d’homicide volontaire ».

Loïc Tertrais, Avocat,
Barreau de Rennes
Cabinet AVOXA
https://www.avoxa.fr/avoxa/loic-tertrais/

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Notes de l'article:

[1Le jeu de loi- Xavier CEBRON DE LISLE - 1981 Éditions du Relais Bois l’Abbé

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  • Bonjour,
    Vaste sujet, mais l’âme n’a telle pas déjà décidée de sa mort !
    Un malade lorsqu il accepte sa maladie, passe par un processus de nettoyage de son inconscient par la conscience. De ce fait il sait s’il accepte ce processus jusqu’au bout que son inconscient est en parti responsable de ces maux. Donc qu à force de désillusion il s’est inconsciemment mis en danger et en état de mort. Ce processus à des répercutions sur notre physique. Alors lorsque le corps physique ne peut plus alle plus loin, pourquoi prolonger le calvaire !!!!! Puisque de toute façon la mort avait déjà été inconsciemment décidé.
    il s’agit d’un avis personnel, d’un vécu suite à une longue maladie maintenant guérie, donc si vous postez ce message, merci de ne pas répondre par des injures ou autre.

    • Merci d’avoir partagé votre témoignage. Sur un sujet comme cela je suis bien conscient qu’il faut sans cesse passer de la théorie nécessaire au témoignage indispensable. Je vous expose donc à suivre un témoignage qui m’a touché.

      Loïc TERTRAIS

      « La mort intime », Marie de Hennezel, éd. Robert Laffont, Pocket.

      « Notre homme, ancien pilote de chasse de l’aviation, adorait raconter ses exploits et tous ces moments intenses où justement il avait risqué sa vie. On le vit, les jours suivants, retenir à son chevet l’un ou l’autre soignant ou bénévole de l’équipe. Il aimait la compagnie et prenait un plaisir évident à exercer sa séduction de conteur. Personne parmi le personnel soignant n’avait le sentiment que cet homme avait fini de vivre. Malgré tout, il réitérait quotidiennement au médecin sa demande d’euthanasie.

      Un jour que je me trouvais près de lui, il se surprit à me raconter une période de sa vie, sur laquelle il pensait, disait-il, avoir fait une croix. Il s’agissait d’un premier mariage dont il avait eu deux filles. Une histoire pénible sur laquelle il n’avait pas envie de revenir. Pourquoi diable alors y pensait-il à nouveau ? Ses filles devaient avoir la trentaine maintenant, mais il ne savait plus rien d’elles. Pourquoi de la tristesse venait-elle à son cœur ? « N’auriez-vous pas envie de les revoir avant de mourir ? » m’étais-je hasardé. « Peut-être bien », m’avait-il répondu.

      De ce jour, il ne fut plus question d’euthanasie. Les recherches patientes de la secrétaire du service finirent par aboutir. On retrouva ses filles. Elles accoururent à son chevet et, après des retrouvailles qui émurent tout le monde, se relayèrent au chevet de leur père pour l’accompagner. L’une des filles est religieuse, l’autre est infirmière, et c’est en leur présence, douce et calme, qu’il est en train de s’éteindre. »

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