M. Vasiliauskas était chargé dans les années 1950 par la République socialiste soviétique de Lituanie de réprimer le mouvement partisan de résistance contre le rattachement de force de la Lituanie à l’Union soviétique. M. Vasiliauskas, agissant alors en tant qu’agent opérationnel du ministère de la Sécurité d’État (MGB), a participé au meurtre de deux membres de la résistance en 1953 (§§ 11 – 28).
En 2004, M. Vasiliauskas a été condamné par les juridictions lituaniennes du chef de crime de génocide à l’encontre de ces personnes. Cette condamnation était fondée sur l’incrimination du crime de génocide opéré par le droit lituanien en 1992 et plus précisément, sur la définition du génocide apportée par le nouveau code pénal lituanien entré en vigueur en 2003. Ce nouveau code pénal dispose ainsi que le génocide peut aussi être commis contre un groupe politique (§§ 51 - 53).
Cette condamnation pose problème au regard de l’article 7 de la Convention qui dispose : nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international.
L’article 7 de la Convention consacre ainsi le principe « pas de peine sans loi », le principe de non-rétroactivité de la loi pénale comme l’exigence d’application stricte de la loi pénale (§ 154). L’article 7 constitue un élément important de la Convention en ce qu’il contribue directement à la prééminence du droit (§ 153). Même les cas de guerre ou de danger public ne permettent pas de déroger à cet article.
Pour apprécier l’existence d’une ingérence étatique, la Cour a examiné si les actions qui ont motivé la condamnation pénale étaient au moment de leur exécution prohibées soit par le droit national soit par le droit international en vigueur à l’époque.
La complexité de l’affaire en fait comme en droit s’explique sans doute tant par le dessaisissement de la chambre en faveur de la Grande Chambre (§ 5) que le résultat du vote sur la décision de condamnation, adoptée à neuf voix contre huit.
Dans son arrêt définitif, la Grande Chambre de la Cour constate d’une part que le droit national lituanien ne connaissait aucune prohibition du crime de génocide à l’époque des faits et d’autre part que la prohibition du génocide par le droit international en vigueur à cette époque était fondée sur une définition différente de celle qui fut appliquée par les juridictions lituaniennes à l’encontre du requérant.
1. Le droit national applicable au moment des faits
La condamnation du requérant est intervenue sur le fondement d’une disposition légale entrée en vigueur en 2003 seulement. La condamnation du requérant pour des actes commis en 1953 constitue donc clairement une application rétroactive de la loi.
A contrario, s’agissant des affaires relatives au contentieux du « mur de Berlin », la Cour a conclut à la non-violation de ce principe de non-rétroactivité. Il s’agissait alors de personnes qui en leur qualité de dirigeants de la RDA avaient été, après la réunification, déclarées « responsables intellectuels » des tirs commis contre des citoyens de l’ancienne RDA franchissant la frontière. Ces personnes ont été condamnées pour meurtre sur le fondement de l’ancien code criminel de la RDA, en vigueur à l’époque des faits. En cet état, et selon la Cour, il n’y avait pas application rétroactive d’une loi nouvelle (Streletz, Kessler, Krenz c. Allemagne, 22 mars 2001, §§ 89 s.).
2. Le droit international au moment des faits
Pour la Cour il n’ y aurait toutefois pas application rétroactive de la loi s’il était « établi que la condamnation de l’intéressé était fondée sur le droit international applicable à l’époque pertinente » (§ 166), c’est donc ce que la Cour cherche à établir.
a. La prohibition du crime de génocide au moment des faits
La criminalisation du génocide a été opérée par le Statut du Tribunal militaire international de Nuremberg de 1945 et par l’adoption de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide en 1948. En 1953, le génocide était donc clairement prohibé au regard du droit international. Du fait de la signature de l’URRS des deux instruments internationaux précités, la Cour conclut que leur contenu – l’interdiction du génocide – était suffisamment accessible au requérant (§§ 167 s.). Partant, l’on pourrait considérer que la condamnation du requérant pour génocide n’était pas rétroactive.
b. La définition du crime de génocide par le droit international au moment des faits
La définition du crime de génocide a toutefois évolué dans le temps. L’article 2 de la Convention de 1948 inclut quatre groupes de victimes potentielles : les groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux, en danger d’être détruits « en tout ou en partie ».
En l’espèce, le requérant était condamné pour génocide commis contre un groupe politique (§§ 31 – 33). La Cour reconnaît que les instruments et décisions du droit international pénal excluent depuis toujours les groupes politiques du champs des groupes protégés par l’incrimination (§§ 170 ; 175). La qualification de génocide par le droit lituanien d’actes commis contre un groupe politique ne correspond par conséquent aucunement à la définition retenue par le droit international, tel qu’existant au moment des faits et d’ailleurs inchangé sur ce point.
La Cour rejette toutefois l’argument de l’État défendeur selon lequel les partisans lituaniens devraient être considérés comme constituant une « partie » du groupe national ; leur assassinat rentrant dès lors bien dans le champ d’application de l’incrimination de génocide alors en vigueur.
Pour la Cour ce moyen est inopérant dès lors qu’à cette époque la notion de partie d’un groupe ne pouvait s’entendre que dans le sens d’une « partie substantielle » de celui-ci (§ 176). Seules les évolutions jurisprudentielles ultérieures ont pu permettre une acception plus favorable aux victimes de la notion de « en partie ». Cette évolution ultérieure n’était, par définition, pas prévisible au moment des faits et ne saurait dès lors fonder la condamnation du requérant, d’où la reconnaissance de violation.