Le sort des congés payés du salarié en arrêt maladie.

Par Elodie Decrop-Bossy, Juriste.

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Explorer : # congés payés # arrêt maladie # droit européen # droit français

Par un arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de cassation, en date du 15 septembre 2021 (pourvoi n° 20-16.010), ladite Cour remet de l’huile sur le feu, en traitant le sujet controversé de l’acquisition des congés payés, pendant une période d’absence pour cause de maladie, à l’aune du droit français et du droit européen.

-

1. L’état du droit français.

L’article L3141-3 du Code du travail dispose en son premier alinéa : « Le salarié a droit à un congé de 2,5 jours ouvrables par mois de travail effectif ». Ainsi, le salarié ayant travaillé 12 mois, acquiert 2,5 jours x 12 soit 30 jours ouvrables de congés payés.

Cet article conditionne l’acquisition desdits congés, à du « travail effectif », défini par l’article L3121-1 du même Code comme un temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur, sous son autorité, et ne peut pas vaquer à des occupations personnelles. De surcroit, le Code du travail prévoit que certaines absences du salarié sont assimilées à du temps de travail effectif, c’est notamment le cas du salarié en arrêt de travail pour cause de maladie d’origine professionnelle.

Concrètement, cela signifie que le salarié absent pour cause de maladie d’origine professionnelle acquiert ses 2,5 jours de congés payés par mois, ce qui n’est pas le cas du salarié absent pour cause de maladie non professionnelle.

Attention toutefois, ces dispositions n’étant pas d’ordre publique, la convention collective applicable peut prévoir des cas supplémentaires, pour lesquels l’absence est assimilée à du temps de travail effectif, il conviendra donc de toujours vérifier les normes conventionnelles applicables.

2. L’état du droit européen.

La directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail prévoit, en son article 7, les dispositions suivantes :

« Congé annuel :

1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».

Un socle minimal de quatre semaines de congés payés est donc consacré par le droit de l’Union Européenne (UE).

La CJUE (Cour de Justice de l’Union Européenne) a par ailleurs rappelé lors d’une décision [1] que

« le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé […] ».

Ainsi, au regard de ladite directive, aucune distinction n’est opérée entre l’origine professionnelle de la maladie ou non, tous acquièrent des congés payés pendant leur absence.

3. Quid de l’articulation du droit français avec la directive européenne.

Il convient dores déjà de préciser, de façon « simplifiée » la règle afférente à l’articulation des normes nationales et européennes.

En l’espèce, la directive européenne du 4 novembre 2003 (n° 2003/88/CE) n’a pas été intégralement transposée en droit français, ce qui a pour conséquence, que ce texte n’a pas d’effet « horizontal » à l’égard des particuliers (ndlr : salariés / employeur du secteur privé).

Ainsi, la directive non transposée ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre.

Toutefois, les particuliers peuvent s’en prévaloir et il incombera au juge national de trancher la question et d’interpréter le droit national au regard du droit européen.

Les choses sont plus simples lorsqu’il s’agit d’un employeur « public » ou « assimilé ». Sont concernés, « les organismes qui, indifféremment de sa forme juridique, ont été chargés en vertu d’un acte de l’autorité publique d’accomplir, sous le contrôle de cette dernière, un service d’intérêt public et qui dispose, à cet effet, de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre particuliers ». Dans ce cas, la directive a un effet vertical direct : elle prime tout bonnement sur le droit national. Donc, lorsque l’employeur est « public » (ndlr. Au sens large défini ci-avant), un salarié peut se prévaloir directement du texte européen, et donc exiger que ses congés payés lui soient payés même pendant sa période de maladie.

4. L’incompatibilité du Code du travail à la norme européenne.

L’articulation de ces textes font couler beaucoup d’encre, car il apparait que le droit interne ne serait pas conforme au droit européen.

En 2010, la Cour de cassation a interrogé pour la première fois la Cour de justice de l’Union européenne sur la question de savoir, si un Etat avait la possibilité d’opérer une distinction en matière de droit à congés payés, selon le caractère professionnel ou non de la cause de leur absence.

Dans un arrêt du 24 janvier 2012 [2], la Juridiction Européenne y répondait en ces termes :

« selon l’article 7 de la directive 2003/88, tout travailleur, qu’il soit en congé de maladie pendant ladite période de référence à la suite d’un accident survenu sur le lieu du travail ou ailleurs, ou à la suite d’une maladie de quelque nature ou origine qu’elle soit, ne saurait voir affecté son droit au congé annuel payé d’au moins quatre semaines ».

Autrement dit, la CJUE affirmait par cet arrêt que la perte du droit à congés payés durant un arrêt de travail ayant pour cause une maladie non professionnelle, est contraire au droit de l’Union Européenne.

Pourtant, par un arrêt du 13 mars 2013, la Haute Juridiction Française a confirmé qu’une période de maladie non professionnelle, ne permet pas de solliciter auprès de son employeur des droits à congés payés [3].

De la même manière, aucune des (pourtant nombreuses) réformes récentes (Loi El Khomeri, Ordonnance Macron etc.) n’ont traité de ce sujet, alors qu’on aurait pu valablement penser que ces réformes auraient été l’occasion de procéder à la transposition totale et effective de cette directive, ce qui préserverait également la France, d’une action en manquement et des actions en responsabilité contre l’État du fait d’une mise en œuvre défectueuse de la directive.

5. L’arrêt du 15 septembre 2021 vient remettre de l’huile sur le feu !

En l’espèce, les faits de cet arrêt sont les suivants :

Une salariée est embauchée en qualité d’infirmière, elle est touchée par une Affection Longue Durée d’origine non professionnelle, et fait l’objet d’un arrêt maladie de décembre 2013 à janvier 2016 avec maintien de salaire. A son retour au travail, elle se prévaut des congés payés acquis antérieurement à son arrêt de travail, ainsi que ceux acquis pendant ledit arrêt. Elle souhaitait ainsi prendre en 2016, des congés acquis en 2013. L’employeur refuse, la salariée saisit le Conseil des Prud’hommes.

Etant précisé que la Convention Collective applicable contenait deux clauses afférentes auxdits congés payés :
- Clause 1 : les absences pour longue maladie avec maintien de salaire sont assimilées à du temps de travail ;
- Clause 2 : les absences pour maladie d’une durée supérieure à 12 mois n’ouvrent pas droit à congé.

Le juge a considéré qu’il fallait faire prévaloir la clause 1 permettant au salarié maladie d’acquérir des congés que sa maladie soit professionnelle ou non. De surcroit, il a été jugé que, le salarié en arrêt n’étant pas en « capacité » de prendre ses congés payés, ceux-ci doivent être reportés à partir de la date à laquelle il reprend effectivement le travail.

Le plus intéressant dans cet arrêt c’est le point 6 de sa motivation, dans lequel la Cour de Justice de l’Union Européenne réaffirme sa position de façon claire, précise et non équivoque. En effet, d’une part elle précise à nouveau qu’il incombe à la Juridiction Française « d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par l’article 7 de la directive 2003/88/CE ». D’autre part, elle rappelle sa jurisprudence constante en la matière selon laquelle

« en cas d’impossibilité d’interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l’article 7 de la directive 2003/88/CE et l’article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée » [4].

Force est donc de constater qu’il faudra être vigilent et attentif quant à l’évolution jurisprudentielle de la Cour de cassation sur ce sujet controversé. En tout état de cause, la France devra, à un moment où à un autre, mettre le Code du travail en conformité avec la directive européenne.

Decrop-Bossy Elodie, Juriste

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Notes de l'article:

[1CJUE, 24 janvier 2012, aff. C-282/10, Dominguez.

[2Affaire Dominguez, aff. C-282/10.

[3Cass. soc. 13 mars 2013, n° 11-22285.

[4CJUE 06/11/2018, Aff. C-569/ 16 Stadt Wuppertal c/ Bauer et C- 570/16 Willmeroth c. Brossonn.

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