Après un rappel de cette notion de dérogation espèces protégées (1) et l’exposé de la problématique posée (2) nous analysons cette décision très importante pour les porteurs de projets, notamment dans le domaine des énergies renouvelables (3).
1. Rappel du cadre juridique de la dérogation espèces protégées.
L’article L411-1 du Code de l’environnement fixe un principe de protection stricte d’espèces protégées, listées par arrêtés (faune et flore) [1].
Est par exemple interdite la perturbation intentionnelle des animaux dans le milieu naturel ou encore la dégradation des habitats, sites de reproduction.
L’article L411-2 du Code de l’environnement instaure la possibilité de déroger à cette interdiction de porter atteinte aux espèces protégées, sous certaines conditions.
Il existe donc deux cas de figure :
Un projet n’est pas soumis à l’obtention d’une dérogation espèces protégées pour sa réalisation ;
Un projet est soumis à l’obtention d’une dérogation espèces protégées pour sa réalisation.
Pour obtenir la dérogation, le projet doit remplir trois critères cumulatifs :
L’absence de solution alternative satisfaisante ;
Ne pas nuire au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;
L’un des cinq motifs énumérés par l’article, dont le fait que le projet réponde par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d’intérêt public majeur.
En résumé, lorsque la réalisation d’un projet porte atteinte [2] à des espèces protégées ou à leur habitat, une dérogation est susceptible de devoir être obtenue par le pétitionnaire, sous conditions.
L’importance d’un projet (justifiée en remplissant les critères énoncés ci-avant) peut donc conduire à déroger au principe de protection stricte des espèces.
Il importe de bien faire la différence entre :
Les cas dans lesquels un porteur de projet doit demander une dérogation espèces protégées ;
Lorsqu’une dérogation espèces protégées est requise pour le projet en cause, les critères sur la base desquels cette dérogation est octroyée.
2. Problématique.
Depuis quelques années, un certain flou demeure sur les cas dans lesquels une dérogation espèces protégées doit être sollicitée, ou pas.
Tant certaines préfectures que le juge administratif variaient dans leur appréciation de la nécessité de l’obtention d’une telle dérogation.
Etaient ainsi prises en compte les notions de simple « risque », de risque « faible », de risque « élevé » ou encore « d’impact significatif » [3] pour apprécier la nécessité ou non de solliciter une dérogation espèces protégées pour le projet en question.
Sans qu’une doctrine générale et indiscutable n’ait pu être établie, alors pourtant que plusieurs guides d’aide à la décision en la matière existent [4].
Il en résultait donc une grande insécurité juridique pour les porteurs de projets.
Il est en effet (souvent) demandé à des porteurs de projets (notamment ENR) de parfois obtenir une dérogation espèces protégées, à défaut de quoi leur projet ne pourra pas être réalisé [5].
Ceci alors que dans plusieurs cas, une telle dérogation espèces protégées n’était pourtant pas requise.
Le risque était donc celui d’une systématisation de la nécessité de l’obtention de cette dérogation pour les porteurs de projets, et ceci abusivement.
Il importait donc de préciser les cas dans lesquels une dérogation espèces protégées n’était pas nécessaire, ceux où elle était requise, et en préciser les conditions d’application.
C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat, saisi de cette question par la Cour administrative d’appel de Douai [6], s’est prononcé sur les conditions d’application de cette dérogation, afin d’essayer de clarifier ce mécanisme et sa mise en pratique.
3. Solution dégagée par le Conseil d’Etat et conséquences.
(i) D’abord le Conseil d’Etat précise les cas dans lesquels le pétitionnaire doit obtenir une dérogation espèces protégées.
Une telle dérogation est ainsi requise si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées [7] est suffisamment caractérisé.
Pour déterminer ce risque : les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte.
Si ces mesures d’évitement et de réduction permettent effectivement de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé : le projet ne requiert pas de dérogation espèces protégées.
(ii) Ensuite, lorsqu’une telle dérogation est requise (en cas donc d’un risque d’atteinte aux espèces protégées suffisamment caractérisé) le Conseil d’Etat rappelle que pour que cette dérogation soit accordée, il convient de remplir les trois critères d’obtention de la dérogation précités.
Ce faisant, pour déterminer si la dérogation peut être accordée, les mesures d’évitement, de réduction mais également de compensation des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte.
(iii) Enfin, et en conséquence :
Cet avis fixe un seuil en-deçà duquel une dérogation espèces protégées n’est pas requise pour le projet en cause (en-dessous du risque « suffisamment caractérisé » pour les espèces concernées) ;
La jurisprudence administrative devra désormais préciser les contours de la notion de risque « suffisamment caractérisé », critère conduisant à la nécessité de l’obtention, ou non, d’une dérogation espèces protégées ;
Le pétitionnaire doit donc faire en sorte que les impacts résiduels de son projet soient les plus faibles possibles, afin de démontrer que son projet n’est pas soumis à l’obtention d’une dérogation espèces protégées.