Les cabinets d’avocats se désespèrent, les directions juridiques patinent pour développer leurs effectifs (et pour une fois on n’accuse pas le budget restreint !)... Les candidats deviendraient rares, "surprenants", "pas fiables"...
Pourtant plusieurs études montrent que les problèmes d’embauche - récurrents depuis le Covid dans nombre de secteurs d’activités - "tiennent beaucoup moins à une question de compétences et de manque de motivation des demandeurs d’emploi qu’à la capacité des entreprises à proposer des conditions de travail attractives" (lire à ce sujet cet article d’Alternatives Economiques).
"Le refrain est galvaudé" poursuit l’article, ce serait la faute aux candidats et à leur formation. "Pourtant, un certain nombre d’employeurs ferait bien de se regarder un peu dans la glace. Pas moins de quatre études viennent souligner la responsabilité des recruteurs dans les difficultés d’embauches. Ce ne sont pas les chômeurs qui seraient fainéants, mais les employeurs qui seraient trop exigeants, ou pas assez vigilants sur la nature du boulot qu’ils proposent."
Et de citer les conditions de travail "repoussoir" (un sujet récurrent dans les cabinets d’avocats, qui offrent souvent une mauvaise conciliation vie pro / vie perso en général et qui sont assez opaques sur les perspectives d’évolution), une offre de travail peu adaptée aux nouveaux arrivants sur le marché du travail, une qualité de la gestion des ressources humaines et du management pas toujours au niveau...et parfois la psychologie des associés ou l’image de marque de l’entreprise ou du cabinet moins adaptées à l’époque.
Et comme le phénomène dure (tous le constatent depuis juin 2021 au moins, il y a plus d’un an), qu’il est annoncé comme durable, il s’agit... d’agir, de se questionner, de s’adapter.
La mauvaise nouvelle, c’est qu’il n’y a pas de recette miracle à effet immédiat, à part une surenchère sur les revenus proposés, pour "chiper" les candidats plus facilement aux concurrents, mais cela ne garantit en rien le succès du recrutement... au contraire pourrait-on dire.
La bonne nouvelle, c’est que pour ceux qui sont prêts à envisager une démarche de long terme, les résultats devraient être également durables.
Améliorer le processus de recrutement et songer à la fidélisation pour éviter de perdre des collaborateurs, travailler sa "marque Employeur" pour être plus attractif, réorganiser les conditions de travail, commencer à construire un esprit collectif réel et non décrété...
Tout cela prend du temps mais est structurant pour une équipe, et permet également in fine d’améliorer le service aux clients, avec des collaborateurs plus motivés et heureux.
Il faudra aussi communiquer, comme le montre bien cette enquête d’Anomia [1] qui indique que les avocats collaborateurs font remonter un gros manque d’information sur ce qui compte pour eux, à savoir :
Le management et les méthodes de travail ;
Les projections et perspectives d’évolution ;
La qualité de vie au sein du cabinet.
Autre approche, développer le recours aux "emplois inclusifs" [2], c’est-à-dire les travailleurs qui rencontrent des difficultés à intégrer le marché du travail et à y trouver un poste à la hauteur de leurs compétences, souvent des individus ayant des responsabilités familiales (aidants familiaux, parents seuls ou aux vies de famille compliquées), des immigrés, des seniors (50-65 ans), des juniors sans CV très fourni, des personnes habitant loin, ou des personnes en situation de handicap par exemple. Ces personnes sont confrontées à des contraintes spécifiques, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas compétentes, au contraire, et elles sont souvent plus motivées. Mais voilà... C’est à l’employeur de s’adapter à eux pour une bonne part.
"Concrètement, il s’agit de passer d’un modèle de sélection des employés basée sur une fiche de poste et des critères spécifiques, à un modèle se concentrant sur l’adéquation entre les compétences recherchées par une entreprise et les compétences et le potentiel des candidats. En d’autres termes, l’emploi inclusif consiste à penser les postes en fonction des personnes, et non l’inverse." [3]
Point très intéressant, cette approche inclusive de l’emploi ne permet pas seulement de répondre aux difficultés croissantes de recrutement, mais est également source de création de valeur et d’innovation pour les entreprises. Elle permet par exemple d’intégrer une notion d’impact sociétal, très contemporaine...
Tout cela est affaire de stratégie, et il semble que pour la concevoir et la mettre en œuvre, il faudra souvent prendre du temps et recourir aux professionnels de ressources humaines, plus compétents en la matière qu’un juriste ou un avocat, ou se former peu à peu. Mais attendre que le marché évolue ne fait pas partie des solutions à moyen terme...
A lire aussi à ce sujet :
"Comment libérer les freins au recrutement des cabinets d’avocats ?"
"Comment recruter un avocat ?"
"Recrutement en cabinet d’avocat : comment trouver la perle rare ? "
"Avocats et Juristes, où en sont-ils de leur souhait d’évolution de carrière ?"
"Professionnels du droit : les critères de l’emploi de leurs rêves sont..."
Discussions en cours :
Bonjour,
L’article est très intéressant et dresse un tableau de la posture de l’employeur en situation de recrutement qui me semblerait complet s’il ne passait pas sous silence un (dernier ?) élément qui fait aussi la différence. Le marché du juridique est archi-segmenté et on ne cherche plus que des juristes spécialisés. Ce qui conduit le recruteur à attacher une importance considérable et, pour tout dire, assez disproportionnée au diplôme et à la formation du candidat ou de la candidate, voire à son dernier poste occupé, diplôme, formation et poste devant à tout prix correspondre à l’emploi proposé. Cette logique a sa pertinence sans doute, mais en prenant ce parti, les employeurs se privent aussi d’une ressource qui peut constituer une vraie plus-value pour leur entreprise (quid des juristes au parcours ou à la formation plutôt généraliste ?) et les candidatures de salarié/es compétent/es et motivé/es se trouvent délaissées. Il faudrait peut-être que l’on ne s’interdise pas de donner sa chance à des juristes qui n’ont peut-être pas le parcours linéaire attendu mais qui ont un profil souvent bien plus dense et riche, dont les employeurs pourraient tirer profit. Le monde d’après qu’on nous vend depuis vingt ou trente ans est un monde où l’on devait davantage s’intéresser à l’individu qu’à son diplôme ; pas sûr que le monde du travail "juridique" ait bien intégré cette idée.
J’adhère pleinement à votre commentaire. A titre personnel j’invite systématiquement mes clients à prêter attention à de tels profils.
Toutefois, pour réussir, le cabinet doit consacrer une réelle volonté dans la phase d’accueil et de montée en puissance du collaborateur.
Or cela demande du temps, du temps facturable par ailleurs.
La lutte éternelle entre court terme et moyen-long terme.