Entreprises de propreté : changement de prestataire et transfert du contrat de travail des salariés.

Par Thomas Bernard, Avocat.

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Explorer : # transfert de contrat de travail # convention collective # entreprises de propreté

L’article 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté (ancienne annexe 7) garantit aux salariés affectés sur un marché la continuité de leur contrat de travail.
Le transfert des contrats de travail de l’entreprise sortante, celle qui perd le marché, à l’entreprise entrante, celle qui remporte le marché, est strictement encadré. Il génère pourtant un contentieux important souvent au détriment des salariés. 
La Cour de cassation a eu l’occasion de trancher certaines difficultés liées au changement de prestataire consécutif à une perte de marché dans le secteur de la propreté. Voici un aperçu des principales décisions qui ont été rendues par la haute juridiction en 2018. 

-

A. Dans un arrêt du 5 décembre 2018 [1], la Cour de cassation a jugé que : "l’arrêt de la Cour d’appel retient que la salariée, qui n’était pas affectée à 100% de son temps de travail sur le lot n°1 ne remplit pas les conditions de l’article 7-2 de la convention collective nationale et que son contrat de travail n’a pas été transmis à la société entrante, la société sortante restant son employeur ; qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la salariée était affectée à 100% par la société sortante sur le marché repris divisé en plusieurs lots, dont la société entrante était le nouvel adjudicataire, la cour d’appel qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé".

L’une des conditions du maintien de l’emploi pour les agents de maîtrise (MP1 et MP2) est d’être affecté "exclusivement sur le marché concerné" (article 7.2, I, A CCN entreprises de propreté).

Dans l’hypothèse où le marché initial est redistribué en plusieurs lots, la Cour de cassation réaffirme que la condition d’être affecté "exclusivement sur le marché concerné" s’apprécie par rapport au marché initial et non par rapport aux lots pris isolément composant ledit marché.

Cette décision est en parfaite conformité avec l’article 7.2, I, C de la convention collective nationale des entreprises de propreté qui précise que "lorsque le marché initial est redistribué en plusieurs lots, la (ou les) entreprise(s) entrante(s) a (ont) l’obligation d’assurer la continuité des contrats de travail des personnes affectées sur le (ou les) lot(s) qu’elle(s) reprend (reprennent) dès lors que les conditions définies ci-dessus, appréciées alors à l’égard du marché initial détenu par l’entreprise sortante, sont remplies". 

La jurisprudence est constante sur ce point [2]. La Cour de cassation vient donc sanctionner une mauvaise application de l’article 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté (ancienne annexe 7). 

B. Dans un arrêt du 12 septembre 2018 (n°16-28.407), la Cour de cassation a rappelé que "sauf application de l’article L.1244-1 du Code du travail, le changement d’employeur prévu et organisé par voie conventionnelle suppose l’accord exprès du salarié, qui ne peut résulter de la seule poursuite de son contrat de travail sous une autre direction".  

Il s’agit d’une position désormais bien établie de la haute juridiction.

La perte de marché dans le secteur de la propreté ne cadre pas avec les dispositions légales de l’article L.1244-1 du Code du travail. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les partenaires sociaux ont négocié une garantie conventionnelle d’emploi connue sous le nom d’annexe 7 qui est devenue l’article 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté. 

La Cour de cassation rappelle que le transfert du contrat de travail du salarié de l’entreprise sortante, celle qui perd le marché, à l’entreprise entrante, celle qui remporte le marché, nécessite l’accord exprès dudit salarié. 

Cette décision va légitimement à l’encontre de ce qui a été prévu par les partenaires sociaux pour stabiliser le marché de la propreté : 
-  L’article 7.2, II de la convention collective nationale des entreprises de propreté stipule que "Le transfert des contrats de travail s’effectue de plein droit par l’effet du présent dispositif et s’impose donc au salarié dans les conditions prévues ci-dessous".
​​​​​​​​​​​​​
-  L’article 7.4 de la convention collective nationale des entreprises de propreté stipule que "A l’exception d’une modification substantielle de celui-ci par l’entreprise entrante, le salarié qui refuse son transfert dans les conditions stipulées par le présent accord sera considéré comme ayant rompu de son fait son contrat de travail. Cette rupture ne sera pas imputable à l’employeur et n’entraînera donc pour lui aucune obligation de verser des indemnités de préavis et de licenciement".

Un salarié peut donc refuser de signer l’avenant rédigé par l’entreprise entrante. Dans cette hypothèse, il reste dans les effectifs de l’entreprise sortante ce qui impliquera inévitablement une nouvelle affectation et éventuellement la mise en œuvre de la clause de mobilité. 

Dans un arrêt du 12 juillet 2017 (n°16-10.994), la Cour de cassation a rappelé qu’est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement de salariés par l’entreprise sortante, qui a perdu le marché, dès lors que les conditions de la garantie conventionnelle d’emploi ne peuvent trouver à s’appliquer. 

C. Dans un arrêt du 30 mai 2018 [3], la Cour de cassation a jugé que "les arrêts relèvent que la prime d’insalubrité et la prime de transport étaient servies à des salariés dont le contrat de travail avait été transféré, en application de l’article 7 de la convention collective nationale des entreprises de propreté, à la société entrante et qu’elles correspondaient à des avantages dont ils bénéficiant chez leur précédent employeur ; qu’il en résulte que la société [entrante] était fondée à les maintenir au seul bénéfice des salariés transférés sans que cela constitue une atteinte prohibée au principe d’égalité".  

L’intérêt majeur de cet arrêt est qu’il a été rendu dans le cadre de transferts de contrats de travail qui sont antérieurs à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 et à l’Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 qui a réécrit l’article L.1224-3-2 du Code du travail. 

La Cour de cassation confirme le revirement opéré dans son arrêt du 30 novembre 2017 (n°16-20.532) aux termes duquel : "la différence de traitement entre les salariés dont le contrat de travail a été transféré en application d’une garantie d’emploi instituée par voie conventionnelle par les organisations syndicales représentatives investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote et les salariés de l’employeur entrant, qui résulte de l’obligation à laquelle est tenu ce dernier de maintenir au bénéfice des salariés transférés les droits qui leur étaient reconnus chez leur ancien employeur au jour du transfert, n’est pas étrangère à toute considération de nature professionnelle et se trouve dès lors justifiée au regard du principe d’égalité de traitement."  
 
Il convient de rappeler que dans un arrêt du 15 janvier 2014 [4], la Cour de cassation avait jugé l’inverse à savoir que le maintien des contrats de travail en application de la garantie conventionnelle d’emploi prévue par la convention collective nationale des entreprises de propreté ne justifie pas une inégalité de traitement entre des salariés qui effectuent le même travail, pour le même employeur et sur le même site. A travail égal, salaire égal ! 

La haute juridiction revient donc sur sa position initiale avec la motivation suivante : "mais attendu, d’abord, que l’évolution générale de la législation du travail en matière de négociation collective et de la jurisprudence en ce qui concerne le principe d’égalité de traitement à l’égard des accords collectifs conduit à apprécier différemment la portée de ce principe à propos du transfert des contrats de travail organisé par voie conventionnelle".  
 
En conséquence, sur un même marché, des salariés peuvent avoir, par le jeu du maintien d’emploi, pour un même travail des rémunérations différentes.

Thomas BERNARD
Avocat
https://www.tilsitt-avocats.fr

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Notes de l'article:

[1N°17-21.655

[2CA Douai, 26/01/2018, n°17/00585 ; CA Nancy, 07/03/2018, n°16/03249

[3N°17-12.812

[4N°12-25.402

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Discussions en cours :

  • par Cindy Le gatt , Le 20 octobre 2019 à 13:06

    Bonjour suite a un changement de prestataire à partir du 1 novembre dans le secteur de la propreté, j’ai eu un entretien avec la nouvelle societé de nettoyage. Ils me disent que mes congés payés avec la societe sortante seront perdu que sa repart de zéro. En sachant que j’ai commencé en octobre 2018 que j’ai cumuler 20 jours de congés j’en ai pausé 14 en été et avait posé les 6 jours restant pour décembre 2019 que dois je faire dans cette situation Je peux demander à les posé sans solde pour le mois de décembre ? Car je ne trouve pas ça normal de devoir travailler une année de plus sans congé avant juin 2020 du à ce changement de prestataire alors que je conserve mon ancienneté

  • Bonjour, mon mari travaille pour une grande société de nettoyage sur deux sites. La société a perdu un des deux sites lorsque mon mari était en arrêt maladie de plus de 4 mois il a 10 d’ancienneté. La nouvelle entreprise lui a dit qu’il ne le reprennait pas du fait de son absence et que c’était a sa société de lui donner un autre site. Il lui on effectivement donner un autre site mais au lieu d’avoir 26.5 h/semaine il se retrouve qu’avec 18h / semaine. Sont il oblige de payer la différence de salaire ? Car pour mon mari ça nous fait une sacrée différence. Nous perdons 350€ / mois. Sont ils oblige de lui trouver l’équivalent en heures ? Merci pour vos réponses

    • par Thomas BERNARD , Le 10 octobre 2019 à 09:51

      Bonjour,

      Il ne s’agit pas d’un problème article 7 puisque les entreprises entrante et sortante sont, a priori, d’accord, sur le fait que votre mari ne remplit pas les conditions de transfert.

      L’employeur ne peut pas réduire le temps de travail d’un salarié de manière discrétionnaire.

      Votre mari a t’il signé un avenant pour son nouveau site avec la réduction du temps de travail ?

      Bien à vous,

  • Dernière réponse : 1er octobre 2019 à 16:00
    par Lilou77440 , Le 13 septembre 2019 à 16:29

    Bonjour à tous

    J’ai une question ou plutôt je cherche une confirmation car mes collègues m’ont mis le doute , sur mon contrat de travail Je souhaite savoir qui est mon employeur ? X ou Y ? Sur la clause de mobilité et indiquer
    - le lieu du travail du salarié signataires et le ou les chantiers de l’agence : X

    Toutefois le salarié signataire s’engage à travailler dans les divers chantiers située dans le secteur géographique de l’établissement de : Y et ses environs selon la ou les missions qui lui sont confiées.

    • par Thomas BERNARD , Le 1er octobre 2019 à 16:00

      Bonjour,

      Pour connaître votre employeur, il suffit de vérifier sur votre bulletin de paie.

      Le lieu de travail peut parfaitement être au sein d’une autre entreprise. En matière de propreté, les agents de service sont embauchés par la société Y et sont affectés à des prestations de nettoyage de locaux d’autres entreprises (X). Votre employeur est bien Y.

      Bien à vous,

  • Dernière réponse : 16 septembre 2019 à 09:47
    par Lilou77440 , Le 13 septembre 2019 à 16:48

    Re-bonjour à tous
    Conformément aux dispositions de la convention collective nationale des entreprises de propreté je suis engagé en qualité d’agent de service depuis maintenant 2 ans
    Suite à une perte du chantier avec le client on me dit qu’à compter du 24 septembre je serai affecté à la société entrante reprenant le marché qui assurera donc la continuité de mon contrat de travail en application de l’article 7 de la convention collective des entreprises de propreté , or nous somme le 13 septembre et aucune société ne s’est manifester à ce jour les responsables ne nous donne pas plus d’information devrais-je refuser cette affectation ? demander un licenciement ? par peur de ne plus avoir de réponse de la société sortante je suis complètement perdu il y a bien des lois ? merci d’avance pour vos réponses

    • par Thomas BERNARD , Le 16 septembre 2019 à 09:47

      Bonjour Lilou,

      Il ne faut absolument pas demander votre licenciement comme vous l’indiquez.

      Soit vous bénéficiez de la garantie d’emploi et votre contrat de travail est transféré à l’entreprise entrante, soit vous restez dans les effectifs de votre employeur actuel.

      Il faudrait demander à votre employeur les coordonnées du repreneur.

      Quoi qu’il en soit il fait continuer à exécuter votre prestation de travail. La reprise est dans quelques jours, souvent le repreneur se manifeste au dernier moment.

      Vous pouvez me contacter pour échanger.

      Bien à vous,

  • Bonjour,

    Attention, l’article 7.4 a été modifié le 17 juillet 2018 et a supprimé "A l’exception d’une modification substantielle de celui-ci par l’entreprise entrante, le salarié qui refuse son transfert dans les conditions stipulées par le présent accord sera considéré comme ayant rompu de son fait son contrat de travail. Cette rupture ne sera pas imputable à l’employeur et n’entraînera donc pour lui aucune obligation de verser des indemnités de préavis et de licenciement."

    Le sort des salariés qui refusent de signer et les moyens d’action pour l’entreprise entrante sont donc moins clairs, même si l’accord express du salarié demeure toujours nécessaire.

    • par Thomas BERNARD , Le 23 juillet 2019 à 18:35

      Bonjour,

      Effectivement l’article 7.4 a été modifié le 17 juillet 2018 avec extension par arrêté du 17 avril 2019.

      A mon sens, les partenaires sociaux ont pris acte de la position constante de la Cour de cassation.

      Bien à vous,

    • par Evelyse Tenza , Le 28 août 2019 à 08:07

      Bonjour, voilà je change de société de nettoyage le 2 septembre mais ma question est ai je le droit de donner un preavis pour arrêté de bossé car sa fait 25 ans que je bosse dans le nettoyage est je veut faire autre chose

    • par Thomas BERNARD , Le 2 septembre 2019 à 09:52

      Bonjour,

      Vous pouvez toujours démissionné. Vous avez à respecter un préavis.

      Le transfert de votre contrat de travail n’affecte pas votre choix de mettre un terme à la relation de travail.

      Je reste à votre disposition.

      Bien à vous,

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