L'établissement de la filiation paternelle au Maroc

Extrait de : Droit de la famille : l’enfant

L’établissement de la filiation paternelle au Maroc

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Explorer : # filiation paternelle # code de la famille # jurisprudence marocaine # loi islamique

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La promulgation du nouveau code marocain de la famille a été généralement perçue de manière très positive aussi bien à l’intérieur qu’à l’étranger.

En effet, il faut reconnaître que ce code qui se veut plus favorable aux droits des épouses et des enfants a remis en cause plusieurs situations préjudiciables aussi bien pour la femme que pour les enfants.

En revanche, il y a lieu de constater que l’ambiguïté et le laconisme de certains de ces articles d’un côté et l’omniprésence des règles de la loi islamique au sein de la jurisprudence ont empêché certaines dispositions de produire pleinement leurs effets.

Parmi les questions qui ont fait couler beaucoup d’encre au niveau de la doctrine figure celle qui se rapporte à la preuve de la filiation paternelle.

Régie par les dispositions de l’article 158, cette question a divisé les auteurs en deux courants. Le premier est celui qui a estimé que la filiation paternelle peut désormais être prouvée par tout moyen même à défaut d’un contrat de mariage. Le second courant, sans doute plus conservateur, estime que les moyens dont il est question au dit article ne peuvent être utilisés en vue de prouver la filiation qu’en l’existence d’un contrat de mariage valablement conclu. La validité du contrat de mariage doit être entendue ici dans un sens large, qui ne fait de l’écrit qu’un moyen de preuve doté de la même force que les autres.

Article 158 du Code de la famille, qui se trouve à l’origine de cette polémique, dispose que : « La filiation paternelle est établie par les rapports conjugaux (Al Firach), l’aveu du père, le témoignage de deux adoul, la preuve déduite du oui-dire et par tout moyen légalement prévu, y compris l’expertise judiciaire ».
Quoique claires en apparence, les dispositions de cet article pèchent par leur laconisme et par son manque de visibilité, voir de courage, quant à la possibilité d’user des moyens de preuve indiqués en toute circonstance.

En fait, la question qui s’est réellement posée était celle de savoir s’il est possible d’établir la preuve de la filiation paternelle sans examiner, au préalable, si un contrat de mariage a belle et bien était conclu.
Autrement dit, la question qui s’est posée avec acuité était celle de savoir si les moyens de preuve prévus à l’article 158 peuvent être utilisés pour établir la filiation paternelle d’un enfant issu d’un rapport dont l’illégitimité est mutuellement reconnue par les deux parties ou si seul peut en bénéficier les enfants nés à la suite d’un rapport de mariage.

Une partie de la doctrine et des juridictions de famille se sont déclarés, dès le début, favorables à l’usage desdits moyens de preuve indépendamment de la conclusion du contrat de mariage. La légitimité ou l’illégitimité du rapport ne revêt à leurs yeux aucun intérêt. L’argument sur lequel se sont appuyés les partisans de ce courant se trouve dans la portée générale des dispositions de l’article 158 du code de la famille qui n’établit à son tour aucune distinction entre les deux situations précédentes.

Une autre partie estime que l’usage desdits moyens de preuve ne doit pas être en contradiction avec les principes fondamentaux de la loi musulmane dont la position vis-à-vis des enfants nés d’un rapport illégitime est connue de tous.

Et voilà qu’un terme vient d’être trouver à cette polémique qui a longtemps divisé la doctrine et la jurisprudence. Par deux arrêts successifs, la Cour Suprême marocaine a tranché en considérant que les moyens de preuve dont il est question à l’article 158 ne concernent que les enfants nés à la suite d’un rapport légitime.

En effet, dans un arrêt rendu le 31 janvier 2007, la juridiction suprême a écarté du domaine d’application de l’article 158 les situations considérées comme étant interdites par la loi musulmane.
Ainsi, on peut lire dans les motifs dudit arrêt que « Conformément à l’article 152 du code de la famille, la filiation découle des rapports conjugaux, de l’aveu du père et des rapports par erreur, alors que l’adultère et le viol n’établissent pas le lien de parenté, étant donné que les interdits et la filiation sont antinomiques. Les allégations de viol de la demanderesse au moment où elle était mariée n’entraînent pas le rattachement de la grossesse issue de ce viol au violeur ».

Ensuite, dans un arrêt rendu en février de la même année, la Cour suprême a été à la fois plus claire et plus catégorique sur la question. Elle a déclaré dans un autre arrêt de principe que « Lorsqu’une femme est enceinte par suite de rapport illégitime la filiation de l’enfant ne peut être établie qu’à son égard conformément au Fikh(la loi musulmane), le tribunal n’étant pas tenu à l’enquête ou à l’expertise médicale, étant donné qu’il est établi des documents du dossier que la grossesse résulte de l’adultère ».

La prévalence des règles du Fikh sur la littéralité trompeuse de l’article 158 n’a pas manqué de décevoir plus d’un. Nombreux sont les juristes, les intellectuels et les membres de la société civile qui ont vu dans cette interprétation de la loi un recul sur les principes qui ont motivé la promulgation du nouveau code de la famille.

Nul doute, ce code, quoique révolutionnaire, exige de nouveaux amendements. A défaut, la pratique jurisprudentielle risque de compromettre profondément la perception idyllique que certains se sont fait de lui pendant les deux premières années qui ont suivies sa promulgation.

Jawad AMAHMOUL

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