Les faits.
La comptable d’une société a adressé à la banque de celle-ci sept ordres de virement d’un montant total de 2.121.903,81 euros au profit de sociétés situées à Hong-Kong.
Affirmant que sa salariée avait agi en exécution de courriels adressés par un tiers usurpant l’identité de son dirigeant, la société a assigné la banque pour obtenir la restitution des sommes versées.
Il s’agissait d’un cas de « fraude au président ». Cette arnaque consiste pour le fraudeur à contacter, par courriel ou par téléphone, un préposé d’une entreprise cible, en se faisant passer pour l’un des dirigeants. Après quelques échanges destinés à instaurer la confiance, le fraudeur demande que soit réalisé un virement, soulignant bien souvent le caractère urgent et confidentiel de l’opération.
La Cour d’Appel de Douai, dans un arrêt du 12 janvier 2023, avait condamné la banque à rembourser partiellement la somme, à hauteur de 1.060.951,90 euros, estimant que celle-ci avait manqué à son devoir de vigilance.
La banque, contestant cette décision, a formé un pourvoi en cassation.
Le devoir de vigilance du banquier.
Si le banquier est tenu d’une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, il est toutefois astreint à un devoir de vigilance.
Ce devoir de vigilance lui impose notamment de déceler les anomalies apparentes - formelles ou intellectuelles - de l’opération de paiement qui lui est demandée d’exécuter.
En l’espèce, la société victime de la fraude établissait n’avoir effectué presque aucun virement supérieur à 100.000 euros et ne pas effectuer de virements vers des sociétés situées en Chine.
L’arrêt retient le caractère rapproché et répété des ordres de virement litigieux, la période de l’année à laquelle ils intervenaient, leurs montants élevés par rapport aux ordres habituellement donnés et le fait qu’ils étaient établis au bénéfice de sociétés ne faisant pas partie des relations d’affaires de la société et situées en dehors de l’espace habituel de son activité.
Ces éléments, constitutifs d’anomalies apparentes, auraient dû amener la banque à surseoir à l’exécution des opérations litigieuses et à se renseigner sur leur validité directement auprès du dirigeant supposé.
Ainsi, pour la Haute Juridiction, la cour d’appel a exactement retenu que la banque était tenue d’alerter la société afin d’obtenir la confirmation des ordres litigieux en exécution de son obligation de vigilance.
La nécessaire vérification auprès du dirigeant de la société.
Il ressort de l’arrêt commenté que la banque avait détecté une anomalie potentielle.
Pour ces raisons, elle avait appelé la comptable de la société pour effectuer des vérifications.
La cour d’appel a mis en exergue les insuffisances de ces vérifications. En effet, la comptable n’était pas la détentrice du pouvoir de valider les virements et il appartenait à la banque, dans cette situation, « de contacter non simplement la comptable de la société mais bien son dirigeant, quand bien même une telle vérification n’était pas contractuellement prévue ».
Pour la Haute Juridiction, la cour d’appel, ayant retenu l’existence de circonstances inhabituelles entourant les virements litigieux laissant suspecter une possible « fraude au président », a exactement déduit que la banque aurait dû vérifier la régularité des ordres de virement auprès du dirigeant, seule personne contractuellement habilitée à les valider.
Ce raisonnement s’explique par le mécanisme même de la « fraude au président ». En effet, cette fraude implique, par essence, que l’ordre de paiement est donné par un préposé de la société, lui-même victime des manœuvres de l’escroc, qui croit agir sur instructions de son supérieur hiérarchique. L’unique moyen de prévenir une fraude de cette nature est d’effectuer directement les vérifications nécessaires auprès du dirigeant, seule personne contractuellement habilitée à valider l’opération.
Ainsi, en cas de circonstances inhabituelles entourant des virements laissant suspecter une possible « fraude au président », il appartiendra à la banque de vérifier la régularité des ordres de virement directement auprès du dirigeant de la société cliente.