L’information préalable à toute condamnation.

Par Manuel Roche, CPI

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Explorer : # propriété intellectuelle # contrefaçon # droit d'information

Le droit d’information peut être mis en œuvre avant tout jugement sur la matérialité de la contrefaçon.

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D’après la chambre commerciale de la Cour de cassation, "les dispositions de l’article L.716-7-1 du Code de la propriété intellectuelle permettent au juge de la mise en état d’ordonner les mesures qu’il prévoit, avant toute décision sur la matérialité de la contrefaçon".

Voici l’attendu de principe d’un important arrêt de notre Cour suprême du 13 décembre 2011 [1] au sujet de la mise en œuvre du droit d’information, prévu par le Code de la propriété intellectuelle (CPI) depuis la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon.

L’article L.716-7-1 [2] dudit Code dispose :

"Si la demande lui en est faite, la juridiction saisie d’une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits contrefaisants ou qui fournit des services utilisés dans des activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.
La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime.
Les documents ou informations recherchés portent sur :
a) Les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits ou services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants ;
b) Les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les produits ou services en cause.
"

Malgré l’apparente clarté des dispositions précitées, débat existait depuis l’entrée en vigueur de la loi, parmi les auteurs et parmi les juridictions, sur le point de savoir à quel moment elles pouvaient être mises en œuvre.

Certains, tirant argument de la lettre du texte, qui se rapporte explicitement aux informations relatives à des "produits contrefaisants", estimaient que le juge ne pouvait ordonner les mesures en cause avant d’avoir statué sur la contrefaçon. Ainsi, le droit d’information était naturellement réservé aux juges du fond qui pouvaient, après avoir condamné le ou les défendeurs pour contrefaçon, prendre les mesures propres à recueillir des informations relatives à l’origine et aux réseaux de distribution des marchandises litigieuses.

Pour les autres, il était indispensable que les mesures visées puissent être ordonnées par le juge avant toute condamnation pour contrefaçon car elles devaient permettre de déterminer l’identité des personnes impliquées dans les actes de contrefaçon et l’étendue même de ces actes. Le droit d’information devait donc pouvoir être mis en œuvre dès le stade de la mise en état, avant tout débat judiciaire au fond, afin d’étoffer le dossier du ou des demandeurs à l’action, et notamment de disposer des éléments probatoires nécessaires à la mise en cause d’autres acteurs de la contrefaçon que le ou les défendeurs initialement identifiés.

Notons que la directive communautaire [3] ayant inspiré les textes français est elle-même à la fois claire et ambiguë sur la question. En son article 8, sur le droit d’information, sont bien évoquées "des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle", des "marchandises contrefaisantes" ou des "services contrefaisants", ce qui laisse supposer qu’une décision préalable sur la matérialité de la contrefaçon doit avoir été prise pour que le droit d’information existe. Pourtant, l’article 8 est le seul et unique article de la Section 3, entièrement consacrée au Droit d’information, laquelle est placée entre la Section 2, consacrée aux Preuves, et la Section 4, consacrée aux Mesures provisoires et conservatoires. Et l’ensemble des dispositions en cause, par hypothèse, ne requiert pas que la contrefaçon ait été jugée. Elle peut simplement être alléguée. Ce n’est qu’à la Section 5 que la directive évoque les Mesures résultant d’un jugement quant au fond, comprenant entre autres les Mesures correctives, pour lesquelles il est bien évident que le juge doit avoir statué sur la matérialité de la contrefaçon.

Le doute, tout au moins les divergences d’interprétation, étaient donc permis et les juridictions nationales avaient du mal à s’accorder sur une position commune.

C’est pourquoi l’arrêt rapporté de la Cour de cassation était particulièrement attendu.

Les sociétés PUMA FRANCE SAS et PUMA RETAIL AG, société de droit de suisse, défenderesses à l’action en contrefaçon, reprochaient au juge de la mise en état d’avoir ordonné différentes mesures en application de la procédure prévue à l’article L.716-7-1 du CPI. N’ayant pas été entendues en appel, elles formèrent un pourvoi en cassation, rejeté par la Cour au terme de l’attendu cité en ouverture de notre commentaire.

La Cour suprême française consacre donc la solution selon laquelle un juge, saisi d’une action en contrefaçon, peut faire droit à la demande de recours au droit d’information formée par le ou les demandeurs avant de s’être prononcé sur la contrefaçon elle-même.

Mais il est important d’analyser la décision dans le détail. Les demanderesses au pourvoi avaient en effet fondé leur action sur un moyen unique articulé en sept branches.

Les deuxièmes et troisièmes branches reprenaient peu ou prou les éléments développés ci-dessus, à savoir qu’un juge ne devrait pas pouvoir ordonner les mesures prévues par le droit d’information avant d’avoir statué sur la matérialité de la contrefaçon, d’une part parce que les textes français et communautaires précisent que les mesures s’appliquent à des marchandises "contrefaisantes", d’autre part parce que le prononcé de telles mesures avant toute condamnation serait disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi [4].

Ce sont ces griefs que la Cour de cassation considère comme infondés en droit pour rejeter le pourvoi.

Mais les sociétés PUMA FRANCE SAS et PUMA RETAIL AG avaient également développé cinq autres griefs, que la Cour rejette en bloc, considérant qu’ils "ne sont pas de nature à caractériser un excès de pouvoir rendant recevable l’appel-nullité".

Sans contredire la Cour sur ce point, nous observerons néanmoins que la première branche du moyen était particulièrement intéressante. Les demanderesses au pourvoi faisaient valoir que les informations que le juge de la mise en état leur avait demandé de fournir n’étaient pas, par nature ni dans leur contenu, à même de "déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants qui portent atteinte aux droits du demandeur", qu’elles étaient donc en-dehors du champ d’application de l’article L.716-7-1 du CPI.

Nous pensons qu’il pourrait y avoir, ici, matière à nouvelles discussions pour l’avenir. Le débat doctrinal et judiciaire pourrait en effet désormais porter, non plus sur le moment auquel peut être mis en œuvre le droit d’information, la Cour ayant clairement tranché la question [5], mais sur l’objet précis des informations que le juge est en droit de requérir. Voilà encore une bonne raison de suivre attentivement la jurisprudence à venir sur ce point.

Manuel ROCHE
Conseil en propriété industrielle - Marques & Modèles
INSCRIPTA
http://www.inscripta.fr

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Notes de l'article:

[1Cass., Com., 13 déc. 2011 (Pourvoi N°2010/28088), PUMA FRANCE SAS et PUMA RETAIL AG (Suisse) c/ BARNETT SA et Olivier TETAZ, rejetant le pourvoi formé contre CA Lyon, 1ère ch. civ. A, 7 oct. 2010 (RG 2010/04507).

[2La décision rapportée se prononce uniquement sur l’article L.716-7-1 du CPI, qui concerne le droit d’information en matière de droit des marques. Toutefois, les articles L.331-1-2 (droit d’information relatif au droit d’auteur), L.521-5 (droit d’information relatif aux dessins & modèles) et L.615-5-2 (droit d’information relatif aux brevets) sont rédigés en des termes sensiblement identiques. La portée de la décision de la Cour de cassation est donc nécessairement bien plus large que son texte ne le laisse l’entendre et s’étend aux autres matières que constitue la propriété intellectuelle.

[3Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

[4Le demandeur pourrait en effet demander un accès à des informations confidentielles du défendeur, souvent son concurrent. C’est d’ailleurs ce que critiquaient en l’espèce les sociétés PUMA.

[5Au prix d’une réécriture du texte de loi (avant une possible révision législative envisagée dans un avenir proche), et sous réserve que les juridictions du fond ne fassent pas preuve de résistance.

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