L’interdiction de la prolifération d’armes chimiques et bactériologiques dans le cadre multilatéral.

Par Alexis Deprau, Docteur en droit.

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Explorer : # armes chimiques # armes biologiques # désarmement # terrorisme

Outre la contre-prolifération nucléaire, l’interdiction multilatérale concerne aussi les armes chimiques et biologiques. Même si une interdiction de ces armes existe dans un cadre multilatéral, elle reste encore incomplète.

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S’il y a une interdiction de la prolifération des armes nucléaires dans le cadre multilatéral depuis 1946, il existait déjà, dès 1922, le Traité de Washington relatif à l’emploi des sous-marins et des gaz asphyxiants entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, le Japon et l’Italie [1].

Mais le premier accord global sur l’interdiction des armes chimiques date de 1925, avec le protocole de Genève interdisant aussi bien l’utilisation d’armes chimiques que bactériologiques lors de conflits [2]. Ce traité était très insuffisant dans la mesure où de nombreux États avaient émis des réserves et qu’il ne prévoyait aucune prohibition concernant le stockage de ces armes ni aucun dispositif de contrôle [3].

I. L’interdiction des armes chimiques.

Parallèlement à la Commission sur le désarmement de 1979, l’initiative politique multilatérale est survenue après la prise de conscience de l’utilisation d’armes chimiques par l’Iran en 1984. S’est alors formé le Groupe Australie, une organisation internationale informelle qui est passée de 15 États signataires, en 1985, à 36 aujourd’hui, afin de lutter contre les exportations de matériel et de technologies touchant à la prolifération d’armes chimiques et biologiques.

Le socle actuel de lutte contre la prolifération au niveau multilatéral est la Convention du 13 janvier 1993 sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC) [4], qui consacre en son article IV une obligation générale de destruction. Cette obligation doit être relativisée dans la mesure où l’application ne concerne que les États ayant déclaré détenir de tels stocks avant que la Convention n’entre en vigueur [5], c’est-à-dire la Russie, l’Inde, les États-Unis et un quatrième État qui a préféré garder l’anonymat [6].

C’est avec l’entrée en vigueur de cette Convention qu’a été créée l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), avec pour but de veiller au respect des engagements pris lors de la signature de la Convention. Sa mission est ainsi de vérifier la bonne destruction des armes chimiques, d’élaborer des mesures pour mettre fin à la fabrication d’éventuelles armes chimiques et de promouvoir la coopération internationale pour l’interdiction, mais aussi le stockage, le transfert et l’emploi d’armes chimiques.

Elle est composée d’un Secrétariat technique qui envoie une équipe d’inspection dans l’État partie à la Convention. Si l’État partie ne respecte pas ses engagements, la Conférence des États parties peut demander la suspension des droits et privilèges de cet État [7], recommander aux autres États parties des mesures collectives [8], sans oublier la possibilité offerte à la Conférence de demander l’intervention des Nations Unies soit par le biais de l’Assemblée générale, soit par le biais du Conseil de sécurité [9].

A la différence du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1968 qui n’institue aucune forme d’interdiction, la Convention de 1993 a bien une vocation d’interdiction universelle malgré ses faiblesses. Celles-ci sont liées à la taille de sa rédaction avec une « argumentation […] parfois confuse, les définitions sont souvent mal placées, l’ordre des paragraphes contraint fréquemment le lecteur à des retours en arrière, certaines mesures apparemment impératives sont affaiblies par des exceptions ou des conditions d’exécution plus souples, enfin certains passages résultent si visiblement d’échanges de concessions « à bout de souffle » qu’ils introduisent de lourdes complexités d’exécution pour un intérêt pratique des plus ténus » [10].

Par ailleurs, le principe essentiel du droit international public qui s’attache à la souveraineté des États minimise la portée de la Convention aux États signataires et, les États rétifs à leur adhésion à la Convention pourront donc maintenir leur projet de fabrication et de stockage des armes chimiques sans aucun risque d’être inquiété, à moins que le Conseil de sécurité n’intervienne. Enfin, la menace du terrorisme chimique est totalement absente dans le texte. En ce sens, et alors que l’attentat de Tokyo intervient deux ans après l’ouverture à la signature, « il aurait été risqué de soumettre le texte à une renégociation tardive » [11]. Cette Convention n’a toujours pas été amendée concernant le terrorisme chimique, même après le 11 septembre 2001, le 4 octobre pour l’anthrax 2001 et, au vu des événements en Syrie qui ont impliqué l’utilisation d’armes chimiques.

II. L’interdiction des armes biologiques.

Concernant les armes biologiques, les États ont signé, le 10 avril 1972, la Convention sur les armes biologiques et à toxines [12] qui a une durée illimitée et, porte sur l’interdiction de fabriquer, stocker, conserver des armes contenant des agents biologiques pathogènes, avec l’obligation de détruire les stocks existants au moment où ce traité multilatéral entre en vigueur. La Convention devait être complétée par un Protocole de vérification qui approfondirait les mesures de vérification, mais depuis que le Groupe spécial chargé de ce protocole a été monté en 1994, il n’y a jamais eu de suite. Cet échec s’explique en grande partie par le fait que les États-Unis qui ont longtemps soutenu la mise au point de ce Protocole ont ensuite subi une intense campagne de « lobbying » de la part des industries de biotechnologie américaines, ces dernières voyant d’un mauvais œil les nombreuses visites de vérification et prétextant un potentiel espionnage industriel [13].

L’ironie de l’histoire concernant la Convention de 1972 tient au fait que si l’Union soviétique signe ladite Convention, la même année elle « a bâti le plus important et le plus avancé programme biologique militaire du monde » [14].

Il aura fallu attendre 1984 pour que la France ratifie cette Convention parce qu’elle considérait que les instruments de vérification n’étaient pas suffisants, raison pour laquelle elle a plaidé et obtenu en 1991 qu’un groupe spécial d’experts (VEREX) soit mis en place pour des vérifications [15].

L’absence de mise à jour ou de protocole complémentaire ne peut que mettre en avant la faiblesse de l’interdiction au niveau multilatéral, et révèle, soit une action plus complète par l’Organisation des Nations unies, ou sinon, une action propre à certains États, au risque d’une atteinte potentielle à la souveraineté si de telles ingérences étaient justifiées par l’utilisation de ces armes.

Alexis Deprau,
Docteur en droit, élève-avocat à l’EFB

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Notes de l'article:

[1FABRE (A.), Politique et droit de la sécurité face au bioterrorisme, L’Harmattan, Paris, 2005, p. 34.

[2Protocole de Genève concernant la prohibition de l’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, signé le 17 juin 1925 et entré en vigueur le 8 février 1928.

[3FABRE (A.), op. cit., 2005, p. 34

[4Convention de Paris du 13 janvier 1993 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et leur destruction, entrée en vigueur le 29 avril 1997.

[5Ibid., art. III § Ia et Ib

[6CLERCKX (J.), La vérification de l’élimination de l’arme chimique. Essai d’analyse et d’évaluation de la Convention de Paris du 13 janvier 1993, Publications de l’Université de Rouen, LGDJ, 2001, p. 23.

[7Convention de Paris du 13 janvier 1993 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et leur destruction, art. XII § 2.

[8Ibid., art. XII § 3.

[9Ibid., art. XII § 4.

[10MEYER (C.) et LEGLU (D.), La menace chimique et bactériologique, Ellipses, Paris, 2003, p. 86.

[11Ibid., p. 104.

[12Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, signée à Londres, Moscou et Washington le 12 avril 1972, entrée en vigueur le 26 mars 1975.

[13MEYER (C.) et LEGLU (D.), op. cit., 2003, p. 168.

[14LELLOUCHE (P.) et CHAUVEAU (G.-M.), Rapport d’information sur la prolifération des armes de destruction massive et leurs vecteurs, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 7 décembre 2000, p. 99.

[15Ibid., p. 294.

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