Interdire l’avion sur les courts trajets en France : une mesure vraiment légale ?

Par Gildas Neger, Docteur en droit.

841 lectures 1re Parution: 1 commentaire 4.79  /5

Explorer : # transport # environnement # concurrence # législation

La gauche et les Verts veulent interdire certains vols internes au profit de la SNCF.

Cette proposition n’est-elle pas en contradiction avec l’article 107 § 1 Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) ?

-

Proposition de loi

Article 1er
I. – Le chapitre II du Titre 1er du livre IV de la sixième partie du Code des transports est ainsi modifié :
A l’article L6412-3 est ajouté un alinéa :
L’autorité administrative doit interdire ou limiter les services mentionnés au premier alinéa du présent article lorsqu’ils sont exécutés entre des arrêts dont la liaison est assurée sans correspondance par un service régulier de transport empruntant le réseau ferré défini à l’Article L2122-1, dans la mesure où ce service garantit un déplacement d’une durée au maximum supplémentaire de 2 heures 30 minutes en comparaison au temps prévu du trajet en avion. Dans le respect de l’article 20 du règlement (CE) 1008/2008 du 24 septembre 2008, ces limitations sont réévaluées tous les 3 ans.

Article 2
Ces dispositions entrent en vigueur à une date fixée par décret, au plus tard le premier jour du 24eme mois suivant la publication de ladite loi.

Ce texte, présenté par François Ruffin et co-signé par le groupe des Insoumis, le socialiste Dominique Potier, l’ex-socialiste Delphine Batho, le député LREM Sébastien Nadot et le communiste Sébastien Jumel, part du constat qu’en France, le trafic intérieur a cru de 4 %.

« Faut-il se réjouir de cette croissance ?, et de son coût écologique ? Nous proposons de mettre fin aux vols courts lorsqu’il existe une substitution possible, évidente, par le train » [1].

Or l’article 107 § 1 TFUE dispose que, sauf dérogations prévues par les traités, « Sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

Le traité ne définit pas ce qu’est une aide d’État. La Cour de justice a retenu une conception « objective » et extensive de la notion d’aide d’Etat.
Selon la Cour, afin « d’apprécier s’il y a aide, il convient [...] de déterminer si l’entreprise bénéficiaire reçoit un avantage économique, qu’elle n’aurait pas obtenu dans des conditions de marché ».

Dans notre cas, la SNCF qui sera bénéficiaire de cette proposition va donc profiter de cette fermeture de la concurrence. Certains députés auraient proposé l’instauration d’une taxe supplémentaire pour ces trajets internes.

Dans tous les cas de figure, c’est l’Etat le grand gagnant puisque, faut-il le rappeler, il est actionnaire de la SNCF.

Se pose une autre problématique, celle des personnes qui ont investi dans l’immobilier, prenant en considération la possibilité de déplacements rapides pour aller travailler. Le scénario prévu par la gauche pourrait avoir des conséquences dramatiques dans certains cas.

D’autant que l’avion, outre qu’il soit plus rapide, coûte moins cher que le train ! Madame Batho considère pour sa part que le gain de temps est très limité. Je l’invite à tester avant de raconter de telles inepties.

Il s’agit d’une véritable punition écologique qui se traduit par un accroissement des délais de transport, d’un surcoût pour le client au seul profit d’une entreprise unique : la SNCF.

Enfin, cette décision conduira bien sûr mécaniquement à la mise en chômage de certains personnels travaillant actuellement sur les lignes vouées à la disparition.

Danielle Obono, porte-parole de la France Insoumise a beau expliquer que la création de pôle multimodales permettra d’intégrer les salariés concernés (Interview BFM TV du 02 juin 2019), une telle mesure, outre son illégalité, serait créatrice de chômage.

Gildas Neger
Docteur en Droit Public

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

14 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

Commenter cet article

Discussion en cours :

  • par Baptiste CHEVALIER-DUFLOT , Le 4 juin 2019 à 11:06

    Bonjour,

    Si on se place du côté du droit et de la justice, je pense qu’il faut se poser la question de savoir pour quelles raisons le carburant aéronautique est exonéré de taxes. Ne pensez-vous pas qu’il y a une aberration d’avoir des vols intérieurs moins chers que le train ?
    Quand au temps de trajet, il est vrai que pour certains, il est encore trop long en train vs l’avion (Paris Toulouse ou les traversées est-ouest par exemple) mais sur une liaison Paris-Lyon, si on compare le temps de trajet global (temps pour se rendre à l’aéroport ou la gare + temps d’attente + transport effectif), le train est nettement plus efficace.
    Quand à le liberté de choix, elle est bien sûr importante mais quand elle se fait au dépends de la pollution et donc de notre bien-être global, n’est-ce pas questionnable ? La punition écologique dont vous parlez est celle que vous allez laisser à ceux qui vont vous succéder sur cette planète.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27877 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs