La crise sanitaire liée à la Covid-19 a conduit le gouvernement à prendre de nombreuses mesures de confinement visant à empêcher la propagation du virus.
Ces mesures ont eu des effets sur les compétitions sportives professionnelles, mises à l’arrêt forcé.
Lors de sa déclaration devant l’Assemblée Nationale le 28 avril 2020, le Premier Ministre avait clairement indiqué que « la saison 2019-2020 de sport professionnel, notamment celle de football, ne pourra pas reprendre ».
Ne pouvant que tirer les conséquences de la prise de parole du Gouvernement, les instances dirigeantes du football professionnel en France ont mis un terme aux compétitions.
C’est ainsi que par décision en date du 30 avril 2020, le conseil d’administration de la Ligue de football professionnel a décidé :
de mettre fin à la saison 2019-2020 ;
d’enregistrer le classement des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 sur la base d’un quotient tenant compte du nombre de points obtenus et du nombre de rencontres disputées par les équipes.
Nécessairement, la décision de la Ligue de football a été diversement appréciée par les clubs de football.
C’est le cas des clubs de Lyon, Toulouse et Amiens pour lesquels la décision eu des conséquences sportives et financières importantes :
le club de Lyon, classé 7ème, est empêché d’accéder aux compétitions européennes pour la saison 2020-2021 et devra supporter des pertes de recettes au titre de la Ligue 1 pour la saison 2019-2020 et des pertes de recettes au titre de sa participation aux compétitions européennes, pour la saison 2020-2021 ;
les clubs de Toulouse et d’Amiens, classés 19ème et 20ème, sont relégués en Ligue 2 pour la saison 2020-2021 et devront supporter des pertes de recettes au titre de la Ligue 1 pour la saison 2019-2020.
Au-delà des enjeux sportifs et financiers, les demandes présentaient un intérêt juridique certain, d’autant plus que les questions posées par l’arrêt des compétitions en raison de la crise sanitaire présentent un caractère extraordinaire.
La décision du Conseil d’Etat du 9 juin 2020 est donc amenée à faire jurisprudence et il apparaît important de bien la cerner.
Les demandes des différents clubs présentaient certaines nuances qui permettent de mieux comprendre le litige.
L’Olympique Lyonnais a demandé au juge des référés du Conseil d’Etat :
de suspendre l’exécution des décisions du 30 avril 2020 par lesquelles le conseil d’administration de la Ligue de football professionnel a mis fin à la saison 2019-2020 et enregistré le classement des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 ;
d’enjoindre à la Ligue de football professionnel de réexaminer les conditions permettant d’envisager une reprise des compétitions au mois d’août ou, à défaut, de faire de la saison 2019-2020 une « saison blanche ».
Le Toulouse Football Club a demandé au juge des référés du Conseil d’Etat :
de suspendre l’exécution des décisions du 30 avril 2020 par lesquelles le conseil d’administration de la Ligue de football professionnel a prévu l’établissement d’un classement final du championnat de Ligue 1 de la saison 2019-2020 avant le terme de la compétition sur la base d’un indice de performance, modifié les règles de relégation de la Ligue 1 vers la Ligue 2 applicables à la saison 2019-2020, enregistré le classement définitif du championnat de Ligue 1 établi selon cette méthode et prononcé sa relégation en Ligue 2.
Le club d’Amiens a demandé au juge des référés du Conseil d’Etat :
de suspendre l’exécution de la décision du conseil d’administration de la Ligue de football professionnel du 30 avril 2020 en tant qu’elle adopte le principe de deux relégations entre la Ligue 1 et la Ligue 2 pour la saison 2019-2020 et procède à la relégation du club en Ligue 2 ;
d’enjoindre à la Ligue de football professionnel de prendre ou de faire prendre par toute instance compétente toutes dispositions permettant à son équipe professionnelle de participer effectivement au championnat de Ligue 1 de la saison 2020-2021.
C’est sur le fondement des dispositions de l’article L521-1 du code de justice administrative, à savoir la procédure de référé-suspension, que les différents clubs ont présenté leurs demandes.
Pour mémoire, le code de justice administrative prévoit que :
« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
De manière classique, une décision administrative peut être suspendue dès lors que :
l’urgence justifie cette suspension [1] ;
il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision [2].
Nous verrons par la suite les moyens développés par les requérants pour démontrer l’existence du doute sérieux quant à la légalité de la décision du conseil d’administration.
I. Sur la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort pour connaitre des requêtes.
Avant de statuer sur le fond, le Conseil d’Etat a été amené à régler une question de procédure.
Il faut rappeler qu’initialement, les clubs requérants avaient saisi le tribunal administratif de Paris.
Toutefois, celui-ci s’est déclaré incompétent en considérant que les décisions de portée générale prise par le Conseil d’administration de la Ligue de football professionnel présentent la nature d’un acte de nature réglementaire et relèvent en conséquence de la compétence du Conseil d’Etat en premier et dernier ressort.
Les requérants s’étaient sans doute laissés abuser par la récente jurisprudence du Conseil d’Etat.
Dans une décision en date du 25 mars 2020, le juge administratif suprême avait considéré que :
« La décision arrêtant le classement d’une compétition sportive ne constitue pas un acte réglementaire et, par suite, n’entre pas dans le champ du 2° de l’article R311-1 du code de justice administrative. Aucune autre disposition ne donnant compétence au Conseil d’Etat pour connaître en premier et dernier ressort de conclusions tendant à l’annulation d’une telle décision, il y a lieu, en application de l’article R351-1 du code de justice administrative, d’attribuer le jugement de la présente requête au tribunal administratif de Paris, dans le ressort duquel la Ligue de football professionnel a son siège, compétent pour en connaître en vertu de l’article R312-1 du même code) » [3].
Dans sa décision du 9 juin, le Conseil d’Etat considère toutefois que :
« Les sociétés requérantes demandent l’annulation des décisions à caractère réglementaire par lesquelles le conseil d’administration de la Ligue de football professionnel a interrompu les championnats de Ligue 1 et de Ligue 2, fixé les modalités de leurs classements et arrêté les règles relatives aux relégations et accessions. Ces conclusions relèvent de la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d’Etat en application du 2° de l’article R311-1 du code de justice administrative ».
La différence entre les deux décision s’explique par la portée et l’objet de la décision du 30 avril qui ne porte pas sur l’arrêt du classement, mais sur :
l’interruption des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2 ;
la fixation des modalités de leurs classements ;
l’arrêt des règles relatives aux relégations et accessions.
Au regard des circonstances particulières de l’espèce, la qualification de décision de nature réglementaire pouvait donc être retenue.
Le Conseil d’Etat a donc confirmé sa compétence pour statuer sur les demandes et s’est prononcé sur le fond.
II. Sur la décision de mettre un terme définitif aux championnats de Ligue 1 et de Ligue 2.
Les requérants contestaient la décision de mettre un terme définitif aux championnats de Ligue 1 et de Ligue 2.
En effet, la France a fait le choix d’arrêter la saison alors que des pays voisins ont permis la reprise des championnats de football professionnels jusqu’à leur terme.
Deux moyens doivent retenir notre attention :
le moyen tiré de l’incompétence du conseil d’administration pour mettre un terme définitif aux championnats ;
le moyen tiré de la composition du conseil d’administration.
La compétence du conseil d’administration pour mettre un terme définitif aux championnats.
Dans leurs recours, les différents requérants ont contesté la compétence du conseil d’administration pour mettre un terme définitif aux championnats.
Selon eux, il appartenait à l’assemblée générale de la Ligue de prendre une telle décision.
Le Conseil d’Etat se veut didactique dans sa décision et rappelle les règles à prendre en compte pour déterminer la compétence du conseil d’administration de la ligue de football.
En cela, il distingue les compétences :
de l’assemblée générale de la Ligue, qui est compétente pour procéder au changement de format des compétitions organisées par la Ligue dans la limite des dispositions de la convention liant la Ligue à la Fédération ;
du conseil d’administration qui a compétence pour établir le règlement administratif de la Ligue et le règlement des compétitions qu’elle organise.
Selon les requérants, la décision en cause relevait de la compétence de l’assemblée générale puisqu’elle avait pour effet de remettre en cause le format de la compétition.
Or, le format d’une compétition n’est pas défini dans le corpus réglementaire.
Le Conseil d’Etat en donne une définition restrictive en considérant que la notion porte sur le nombre de clubs admis à participer au championnat.
Dès lors, la compétence du conseil d’administration est confirmée.
Il est toutefois possible de remettre en cause la position du Conseil d’Etat.
En effet, la décision a eu pour effet d’annuler le match de barrage prévu pour le club classé 18ème de Ligue 1 contre le 3ème, 4ème ou 5ème de Ligue 2.
Ces clubs pouvant légitimement prétendre à la montée.
De tels barrages participent évidemment au format de la compétition dans la mesure où il détermine les clubs qui seront amenés à participer à la saison suivante.
La décision du Conseil d’Etat s’explique donc par les carences de la réglementation de la Ligue de football professionnel, qui ne précise pas les définitions applicables.
Pourtant, de telles définitions pourraient sécuriser les relations juridiques entre les différents acteurs et éviter les interprétations divergentes.
La régularité de la composition du conseil d’administration.
Les requérants soulevaient deux arguments liés à la composition du conseil d’administration de la Ligue.
En effet, ils mettaient en exergue la présence au sein du conseil d’administration de certains présidents dont les clubs sont affectés par la décision litigieuse.
Le moyen n’était pas dénué de fondement et reposait sur :
l’existence d’un risque de distorsion de la concurrence ainsi qu’une position dominante, en méconnaissance des articles 102 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;
la méconnaissance du principe d’impartialité ainsi que le principe du fonctionnement démocratique des associations sportives.
Le Conseil d’Etat rejette toutefois cet argument en considérant que « la circonstance que participent aux délibérations du conseil d’administration des dirigeants de clubs dont la situation est susceptible d’être affectée par les décisions prises est inhérente à la nature même de cette instance ».
Le considérant du Conseil d’Etat est assez laconique et ne permet pas de connaitre sa position sur les risques de conflits d’intérêts existant au sein de l’instance.
Pourtant, il n’est pas contestable que certains présidents se sont trouvés, dans cette affaire, dans une position de juge et partie.
Il est donc regrettable que le Conseil d’Etat estime qu’il serait inhérent au fonctionnement du conseil d’administration de présenter des signes d’impartialité.
Il est vrai que la Ligue de Football fait le choix de s’autoréguler en présentant un conseil d’administration dont les membres font partie des acteurs du football.
Cela peut être perçu comme un gage de qualité.
Toutefois, une telle solution pose des problèmes d’impartialité qui ont légitimement été soulevés à l’occasion de cette affaire.
III. La décision de procéder à un classement du championnat de Ligue 1 en se fondant sur un quotient est régulière.
A l’instar du Comité Exécutif de la Fédération Française de Football, le conseil d’administration de la Ligue de football professionnel a décidé d’appliquer un quotient issu du rapport entre le nombre de points marqués et le nombre de matchs disputés pour déterminer le classement de la Ligue 1.
Cette solution a été choisi puisque toutes les équipes n’avaient pas disputé le même nombre de match.
Les points restant à obtenir dans ces matchs en retard pouvaient avoir des conséquences sur le classement final.
Ce choix de recourir à un quotient était contesté par les requérants tant dans son principe que dans ses modalités d’application.
Toutefois, le Conseil d’Etat a décidé de valider ce système.
Dans son raisonnement, le Conseil d’Etat n’a pu que constater les carences de la réglementation de la Ligue de football professionnelle.
En effet, cette réglementation ne prévoit pas l’hypothèse d’une interruption de la saison, hypothèse pourtant plausible.
La crise actuelle va très certainement contraindre la ligue de football et les autres instances dirigeantes du monde sportif à modifier leur réglementation sur ce point.
De telles modifications permettront d’éviter dans le futur, si la situation venait à se reproduire, les risques juridiques rencontrés aujourd’hui.
Selon les requérants, les modalités retenues pour établir le classement ont méconnu :
l’objectif d’équité et d’intégrité des compétitions sportives ;
les principes de non-rétroactivité et de sécurité juridique.
Les requérants auraient préféré acter une « saison blanche », c’est-à-dire vidée de sa substance.
La décision du Conseil d’Etat est particulièrement intéressante puisqu’elle indique que le choix d’une saison « blanche », réclamée par les requérants, aurait pu être fait.
Cela étant, selon le juge administratif, « il appartenait toutefois au conseil d’administration de la Ligue (…) de déterminer, dans le cadre de son pouvoir réglementaire, les conséquences à tirer de l’interruption des championnats ».
Sur ce point, la ligue de football dispose d’un large pouvoir discrétionnaire, le Conseil d’Etat se bornant seulement à vérifier l’équité des critères retenus.
En l’espèce, la régularité de la décision du conseil d’administration de la ligue de football professionnel se déduit des circonstances de l’espèce, et notamment des éléments suivants :
plus de 73% des rencontres ont été disputées, ce qui s’avère être une part non négligeable de la compétition ;
la décision ne conduit pas à modifier les résultats des rencontres qui se sont antérieurement déroulées ;
le principe de sécurité juridique n’a pas été méconnu au motif que les règles nouvelles sont immédiatement applicables alors que l’interruption des championnats rendait précisément nécessaire qu’elles le soient ;
l’indice de performance retenu présente l’avantage de prendre en compte l’intégralité des rencontres disputées.
IV. Sur la décision de reléguer en Ligue 2 les clubs classés en dix-neuvième et vingtième position de la Ligue 1.
C’est finalement sur la question de la relégation des deux derniers clubs au classement de ligue 1 que la décision du conseil d’administration de la ligue de football est remise en cause par le Conseil d’Etat.
Le Conseil d’Etat constate que la décision qui procède aux classements des championnats de Ligue 1 et Ligue 2 n’a pas, par elle-même, pour effet :
d’entraîner la relégation en Ligue 2 des deux derniers du championnat de Ligue 1 ;
d’entraîner l’accession en Ligue 1 des deux premiers de Ligue 2.
Le Conseil d’Etat retient toutefois que dans sa décision du 30 avril 2020, le conseil d’administration a explicitement exclu la solution d’une solution d’une Ligue 1 à 22 clubs.
Ce serait le cas si les deux derniers de Ligue 1 se maintiennent et les deux premiers de Ligue 2 accèdent à la division supérieure.
Or, selon la Ligue, cette solution à 22 clubs n’est pas régulière dans la mesure où le format de la Ligue 1 est encadré par la convention conclue avec la Fédération française de football.
Cette convention prévoit entre dix-huit et vingt clubs en Ligue 1.
Dès lors, une solution à 22 clubs est impossible sans que soient méconnus les termes de cette convention.
Toutefois, le Conseil d’Etat relève l’erreur de droit du conseil d’administration en raison du fait que la convention actuellement en vigueur prend fin le 30 juin 2020 et ne régit pas la saison 2020-2021.
Pour exclure la solution d’une ligue 1 à 22 clubs en 2020-2021, le conseil d’administration de la Ligue s’est donc fondé sur une décision inapplicable en l’espèce, puisqu’elle n’a pas pour effet de régir la saison 2020-2021.
Le Conseil d’Etat estime donc que cette situation est de nature à créer un doute sur la légalité de la décision.
Enfin, le Conseil d’Etat constate que la décision de reléguer en Ligue 2 les deux derniers du championnat de Ligue 1 « est de nature à porter une atteinte grave et immédiate aux intérêts des clubs concernés, qui doivent notamment gérer leurs effectifs et leur politique de recrutement en vue de la saison 2020-2021 ».
C’est donc pour toutes ces raisons que le Conseil d’Etat a décidé de :
suspendre l’exécution de la décision du 30 avril 2020 par laquelle le conseil d’administration de la Ligue de football professionnel a relégué en Ligue 2 les deux clubs arrivés en dix-neuvième et vingtième position du classement 2019-2020 de Ligue 1 ;
enjoindre à la Ligue de football professionnel, en lien avec les instances compétentes de la Fédération française de football, de réexaminer la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021, au vu de l’ensemble des éléments disponibles à la date de ce réexamen et relatifs aux conditions dans lesquelles cette saison est susceptible de se dérouler, et en tire les conséquences quant au principe des relégations.
L’examen de la question du format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021 devra être réalisé avant le 30 juin 2020.
Toute porte à croire qu’une nouvelle convention sera conclue entre la Fédération Française de Football et la Ligue de football professionnel afin de déterminer le format de la Ligue 1 pour la saison 2020-2021.
Le format actuel, entre 18 clubs et 20 clubs, sera très probablement retenu.
En résumé, la décision rendue par le Conseil d’Etat ne semble pas avoir pour conséquence de valider une ligue 1 à 22 clubs pour la saison 2020-2021.
Elle laisse un sursis aux instances dirigeantes du football pour mettre à jour la convention portant sur le format de la Ligue 1.