Droit des marques : LVMH, Forza Rihanna !

Par Patricia Bismuth, Conseil en propriété industrielle.

2104 lectures 1re Parution: Modifié: 4 commentaires 4.79  /5

Explorer : # droit des marques # propriété intellectuelle # confusion de marque # nom de famille

Le groupe LVMH compte près de 70 Maisons de mode et maroquinerie.
Parmi elles, la célèbre marque italienne Fendi qui fait partie du groupe depuis près de 20 ans. LVMH vient d’annoncer le ralliement de la très jeune marque Fenty portée par une Rihanna très oversize. Fenty - Fendi… Mamma Mia !

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Cette annonce m’a replongée dans de vieux souvenirs : le "Tang" ! La boisson fruitée des années 80, un mélange de poudre et d’eau et, son fameux slogan : « On n’a jamais été aussi près que du goût de l’orange pressée ».

Ce faux jus n’a sans doute pas laissé de trace dans la mémoire collective mais il a eu son petit succès. A l’époque on se félicitait de pouvoir donner - à partir d’une dose de poudre - l’illusion d’un goût orangé.

On était loin des tendances : bio, vegan, raw food… Au contraire, on revendiquait haut et fort la recherche du gout chimique, du vrai fake.

Dans les années 80 aussi, on portait haut et fier les logos des marques affichés en caractères apparents sur les pulls, tee-shirt.
« Oh, c’est un Lacoste ! ».
La discrétion n’était pas de mise.
Année 2010, changement de style, mode plus minimaliste.
« Laissez-moi deviner, il n’y aurait pas un crocodile derrière tout ça … ».

La mode est cyclique, cynique, on le sait et retour aujourd’hui à ce grand flocage de logo niveau seins bimbos.

Mais pour en revenir à notre tour de chant.
Fenty/Fendi… A une lettre près « T »/ « D », ayant de surcroît des vocalises très proches, on pourrait ne serait-ce que phonétiquement confondre les deux marques de vêtements.

Les similitudes entre les signes au plan visuel sont également nombreuses : même nombre de lettres, même nombre de syllabes, une séquence d’attaque « FEN » identique.

Cette histoire pourrait avoir le goût de l’orange amère mais il n’y en a pas… Comme dans le Tang.

Le droit des marques est un droit privatif et déclaratif.

Ce qui suppose donc que sans marque enregistrée auprès d’un Office (comme l’INPI en France), celui qui exploite un signe ne dispose pas de droit antérieur opposable à titre de marque.

Mais j’entends déjà la foule de fans en délire clamer : Mais Fenty, c’est pour Robyn Rihanna Fenty !
Je me souviens bien de « What’s my name ? » en 2010 avec Drake … mais cette nouvelle d’ordre généalogique m’avait échappé.

En toute hypothèse le nom de famille ne donne pas de droit à titre de marque tant qu’il n’est pas enregistré en tant que tel. L.711-1 alinéa 2a) du Code de la propriété intellectuelle.

Une personne qui aurait donc choisi son nom de famille ou même celui d’un tiers (sans que cela constitue une atteinte à son droit moral, cas rarement reconnu) est donc en mesure dès qu’il justifie d’un titre de propriété sur cette marque (certificat d’enregistrement), de s’opposer efficacement au dépôt postérieur d’une marque faite par un homonyme et de l’interdire ; quand bien même cette marque seconde correspondrait réellement à une filiation.

Néanmoins l’article L713-6 prévoit que l’usage peut être toléré à titre de dénomination sociale, nom commercial ou enseigne [mais pas à titre de marque], lorsque le tiers l’utilise de bonne foi et qu’il exerce un vrai contrôle dans la société.
Il faut donc déposer auprès de l’INPI les noms de famille si ceux-ci sont utilisés comme marque, pour avoir des droits à ce titre.
Et, le déposant n’est pas pour le moins dispensé d’en vérifier sa disponibilité.

Or, bon nombre de gérants de sociétés, créateurs, designers, particuliers… s’imaginent à tort : « Mais c’est mon nom, personne n’a le droit de l’utiliser et on ne va pas m’interdire d’en faire une marque ».

C’est sans connaitre les dispositions légales du Code de la Propriété Intellectuelle et la jurisprudence.

Ainsi, Mme Franchi s’est vue refuser par l’INPI à l’issue d’une procédure d’opposition, une protection sur la marque « Franchi & Co » en raison d’un risque de confusion avec la marque antérieure « Elisabetta Franchi » enregistrée par la société Betty Blue. (INPI 26/07/2018)

De la même façon Madame Bouglione n’a pu obtenir l’enregistrement de sa marque « Cirque Madona Bouglione », en raison de l’opposition faite par Monsieur Joseph Bouglione titulaire d’une marque antérieure composée du patronyme « Bouglione ». (Cour d’appel 14/05/2019)

Mais aussi « Kenza Farah », marque déposée par Mme Farah a été reconnue comme présentant un risque de confusion avec la marque antérieure « Farah » de la société Perry Ellis International. (INPI 26/07/2018)

Pour revenir au côté glamour de l’histoire.
Rihanna s’appelle Fenty, elle a déposé une marque de l’Union Européenne "FENTY" en 2017 ; Fendi s’appelle Fendi, les premiers dépôts de marque datent de 1976 et il s’agit de surcroit d’une marque notoire.

N’importe quel examinateur, juge aurait accepter de refuser la marque « Fenty » devant l’antériorité constituée par une marque « Fendi ».

On peut entendre que LVMH s’oppose à l’enregistrement des marques :
« Heer » ayant des marques antérieures « Heuer » ; « Tag Heuer » (21/08/18 Office Belge)
« Bertelli » ou « Beludi » ayant la marque antérieure « Berluti » (INPI 2016/2015)
« Kezoh » ayant la marque antérieure « Kenzo » (INPI 29/10/2018)

Mais pas « Fendi » contre « Fenty » ? Non, pas Fendi contre Rihanna…

On ne se bagarre jamais contre une barbadienne, mieux vaut une paisible coexistence italo-caribéenne et faire entrer Fenty dans la famille Fendi.
C’est la version consanguine de l’histoire…

Dans le texte, sur le site de LVMH au sujet de Fenty :
« Inspirée par une communauté mondiale, affranchie des frontières traditionnelles, Fenty promeut une liberté fondamentale : être libre face aux conventions et règles établies ».
Un message subliminal sans doute…

Patricia Bismuth
Conseil en Propriété Industrielle Marques Dessins & Modèles

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Discussions en cours :

  • Dernière réponse : 31 mai 2019 à 10:46
    par Gérald Bertet-Pilon Nicolas , Le 29 mai 2019 à 12:44

    Une question semble demeurer en suspens : À qui appartient dans l’affaire la prise de décision concernant la validation d’un tel enregistrement de marque ? … Revient-elle à l’examinateur, qui se doit de préserver une sorte d’impartialité en vue des lois régissant l’attribution d’une protection sur les marques ou bien dans ce cas précis à la détentrice des droits antérieurs de FENDI, qui, vu son appartenance au groupe, ne revendique pas la marge de manœuvre à laquelle elle pourrait prétendre ? Et, ce cas créant un précédent, pourrait-il influer sur de futures décisions des institutions / WIPO/EUIPO/INPI ?

    • par patricia bismuth , Le 31 mai 2019 à 10:46

      Ni l’INPI, ni l’EUIPO ne procèdent à des recherches d’antériorités avant d’admettre une marque à l’enregistrement. Une marque conflictuelle, contrefaisante peut donc être enregistrée. Il appartient à celui qui subit une atteinte de former opposition devant l’Office. A savoir, LVMH n’a certainement pas contesté ces demandes alors même qu’ils ont en été informés par leur propre système surveillance mondiale.

  • Dernière réponse : 29 mai 2019 à 12:14
    par robert charbit , Le 29 mai 2019 à 11:25

    Tres belle analyse ! en effet, nous avons tous pensé qu’il s’agissait là à minima de gagner quelques années en marketing coûteux (Fenty/Fendy), comme les pseudos chanteurs qui reprennent des chansons d’un Cloclo disparu ou d’autres, la musique étant déjà dans nos têtes, on s’assure un succès à peu de frais ;
    mais les accords commerciaux sont-ils arrivés après (entre Rihanna et LVMH), Rihanna obligée pour ne pas avoir à changer de marque, ou était-ce prévu dès le début ? Quoi qu’il en soit, les 2 parties vont tirer profit l’une de l’autre dans cette histoire, comme dans tout bon partenariat...

    • par Patricia Bismuth , Le 29 mai 2019 à 12:14

      Effectivement Robert, un accord de coexistence de marques a certainement été conclu.
      Aussi, lorsqu’une société dépose une marque qui reprend un nom de famille ( ex : de son gérant, associé..), mieux vaut prévoir les conditions dans lesquelles la marque pourra (ou non) continuer à être exploitée en cas de départ de la personne concernée ou perte de contrôle dans l’entreprise.

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