Panorama de la jurisprudence en matiere de contentieux photovoltaïque.

Par Mounia Belkacem et Dan Keinan, Avocats.

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Explorer : # arnaque # photovoltaïque # consommateurs

Depuis une dizaine d’années, les arnaques dites aux « panneaux solaires » sévissent dans toute la France entraînant les avocats des consommateurs lésés, ainsi que ceux des banques et sociétés, dans des combats judiciaires parfois intenses.

Il s’est donc développé un contentieux dit de « photovoltaïque » qui a permis de bâtir une jurisprudence constante, mais paradoxalement peu harmonieuse puisque pas toujours appliquée à l’échelle des cours d’appels.

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Un des premiers arrêts de la Cour de cassation rendu, dans le cadre de ce contentieux, est un arrêt du 27 février 2013.

Depuis cette date, la Première Chambre Civile de la Haute Juridiction Judiciaire ne cesse de rendre des arrêts confirmant sa jurisprudence constante et cohérente.

S’il est intéressant de s’interroger sur l’origine de ce contentieux, en tentant d’y esquisser le schéma classique (I).

Il est également utile de rappeler le rôle de la Haute Juridiction Judiciaire et le besoin d’une harmonisation nationale de sa solution, n’en déplaise à certaines cours d’appels (II).

I- Esquisse de l’arnaque aux panneaux aux solaires.

Classiquement, un commercial d’une société A, après avoir démarché téléphoniquement un particulier propriétaire d’un pavillon, va se rendre au domicile de ce dernier.

Il va tantôt prétendre être mandaté par EDF, tantôt effectuer une étude visant à accroitre la performance énergétique du domicile de ce particulier.

Il le persuade de bénéficier d’une installation photovoltaïque, afin de percevoir des revenus tirés de la production d’électricité, et de profiter d’économies d’énergie

En effet, il explique à ce dernier qu’en équipant son toit, de panneaux photovoltaïques, celui-ci va produire de l’énergie, et va revendre cette électricité à la société EDF, dans le cadre d’un contrat d’obligation d’achat.

Il ajoute que l’opération ne coutera rien au particulier, puisqu’un contrat de crédit affecté servant à financer l’opération sera souscrit le même jour.

Les revenus de production allant non seulement permettre de prendre en charge les mensualités, mais allant en plus permettre de générer des bénéfices.

Le démarcheur fournit alors une documentation détaillée, bien souvent très explicite et comportant en gras les termes tels que « solution d’autofinancement », ou encore « revenus allant jusqu’à 150.000 euros » et pour appuyer ses dires, se livre à une simulation ayant pour but de démontrer le caractère rentable de l’opération.

Le particulier se laisse alors convaincre et signe un contrat principal, le bon de commande, et un contrat accessoire, le contrat de crédit affecté à l’acquisition, et à la mise en service de la centrale photovoltaïque, dont le montant atteint souvent plusieurs dizaines de milliers d’euros.

Cet ensemble contractuel est bien souvent présenté aux demandeurs comme une simple candidature, au travers de laquelle n’en ressort aucun engagement.

Si la livraison et la pose des panneaux sur le toit, a bien lieu dans les semaines qui suivent ; les particuliers quant à eux se rendent compte de la tromperie grossière au moment où ils établissent leur première facture de production EDF (généralement deux ans après la signature du bon de commande).

Ils s’aperçoivent que les revenus de production sont bien en deçà des montants promis par la société installatrice, et en tout état de cause, que l’opération présentée comme une candidature leur permettant de réaliser « des bénéfices », ou tout du moins « autofinancée », va leur faire perdre de l’argent - souvent les économies de toute une vie.

En effet, outre les taux d’intérêts dépassant parfois les seuils de 5% voire 6%, ainsi que les prix de vente des panneaux largement lésionnaires - puisque vendus 3 ou 4 fois le prix du marché - l’arnaque consiste à promettre à un consommateur des revenus qui ne pourront jamais être atteints.

Ces revenus gonflés de manière disproportionnée, sciemment par les démarcheurs, sont en réalité 2 à 3 fois moindres, compte tenu du tarif de rachat d’électricité par EDF peu favorable au particulier, et aux conditions météorologiques là encore bien loin des prévisions retranscrites dans les simulations.

Le particulier se retrouve alors à devoir rembourser des mensualités auprès de la banque, pour une installation photovoltaïque, qui était censée lui rapporter un complément de revenus, mais qui en définitive lui cause des pertes importantes.

Le rôle de la banque.

Il convient de préciser qu’en amont, la société A conclut une convention d’agrément avec une banque B, au travers de laquelle la banque B accepte de mettre à disposition ses contrats de prêts au profit de la société A.

Cela afin que l’ensemble contractuel soit signé le même jour, dans le cadre du démarchage à domicile.

La banque B n’hésite pas à financer une opération, alors même que le bon de commande ne respecte pas les mentions obligatoires d’ordre public, prévues par les dispositions du Code de la consommation, relatives au démarchage à domicile.

La banque B n’hésite pas non plus à libérer les fonds de manière anticipée, alors même que les prestations n’ont pas été entièrement réalisées.

Parfois même, la banque B libère les fonds en finançant des travaux illégaux, faute de patience dans l’expiration du délai accordé à la Mairie ou de l’obtention de l’arrêté de non-opposition.

Pire encore, la banque B n’hésite pas à violer son devoir de mise en garde en acceptant d’octroyer un crédit supplémentaire, alors même que les taux d’endettements des consommateurs profanes dépassent le seuil de 33 %.

Quid de la jurisprudence en la matière ?

II- De l’arnaque aux panneaux solaires au contentieux dit « photovoltaïque ».

Par un arrêt en date du 27 février 2013, la Cour de cassation a posé un principe, pourtant simple, mais souvent détourné voire occulté par les avocats des sociétés et des banques en matière de contentieux photovoltaïque, encore à ce jour.

La Haute Juridiction Judiciaire a cassé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Nîmes rendu le 06 décembre 2011, en ces termes :

« Qu’en se déterminant ainsi quand la confirmation d’une obligation entachée de nullité est subordonnée à la conclusion d’un acte révélant que son auteur a eu connaissance du vice affectant l’obligation et intention de le réparer, sauf exécution volontaire après l’époque à laquelle celle-ci pouvait être valablement confirmée, la cour d’appel qui a statué par des motifs impropres à caractériser l’existence de l’une ou l’autre de ces conditions, n’a pas donné de base légale à sa décision. »

La Cour d’appel de Nîmes avait, en effet, considéré que le fait pour le cocontractant de continuer l’exécution du contrat et de procéder au paiement des sommes dues, démontre une volonté de sa part de poursuivre l’exécution du contrat et de renoncer aux nullités affectant l’acte [1].

Depuis cette date, la Cour de cassation a rendu un florilège d’arrêts prenant la même direction : la protection des consommateurs démarchés à leur domicile.

Au fil des année, les avocats des consommateurs victimes ont engagé la responsabilité personnelle de la Banque ayant accordé le financement à travers un crédit affecté.

En effet, et en vertu du principe de l’interdépendance des contrats, la Banque qui accepte le financement des panneaux solaires se voit nécessairement imposer un certain nombre d’obligation. Ces obligations résultent des articles L.311-31 devenu L.312-48 et L.311-2 devenu L.312-55 du Code de la consommation, et de l’article 1147 devenu 1231-1 du Code civil.

Elles ont été les jalons qui ont permis l’élaboration d’une jurisprudence constante de la Première Chambre Civile de la Cour de cassation.

Ainsi,
- Dès lors que le bon de commande avait été établi en méconnaissance des dispositions de l’article L.121-23 du code de la consommation, ce dont il résultait qu’en versant les fonds au vendeur sans procéder préalablement aux vérifications nécessaires qui lui auraient permis de constater que le contrat de vente était affecté d’une cause de nullité, la banque avait commis une faute qui la privait de sa créance de restitution [2].
- La banque qui délivre les fonds à la société installatrice sans s’assurer de l’exécution parfaite et complète de la prestation commet une faute qui la prive de sa créance de restitution.

La banque fautive ne peut échapper à sa responsabilité en arguant qu’elle a débloqué les fonds au vu d’une attestation de fin de travaux signée par l’emprunteur, lorsque l’attestation ne comprend pas toutes les prestations prévues dans le contrat principal.

Une telle attestation étant impropre à caractériser l’exécution complète du contrat de vente [3].

Dès lors, la banque qui commettrait l’une de ces fautes, se verrait privée de sa créance de restitution.

Elle aura, en vertu du principe des restitutions réciproques, l’obligation de restituer l’intégralité des mensualités versées par les consommateurs lésés, mais ne pourra demander la restitution du capital prêté [4].

Au regard des nombreux arrêts, (la liste citée en fin de cet article n’étant pas exhaustive), il est aujourd’hui acquis que la banque possède sa part de responsabilité.

Plusieurs banques ont déjà été condamnées en raison de ces pratiques [5]

Outre les taux d’intérêts particulièrement élevés et ne correspondant que très rarement aux capacités financières des particuliers, ces premières sont les décisionnaires dans l’exécution des contrats interdépendants.

Par ailleurs, si le contrat principal qu’est le bon de commande encourt la nullité en raison des irrégularités qui l’affectent, il importe de s’interroger sur les irrégularités affectant également le contrat de crédit accessoire même.

En effet, cet acte pourtant signé dans le cadre du démarchage à domicile, ne fait bien souvent pas mention des dispositions du code de la consommation.

Les banques prennent alors le risque de voir leur contrat annulé pour les mêmes raisons que le bon de commande, si toutefois celui-ci n’encourrait pas la nullité en premier lieu.

Enfin, en dépit de la jurisprudence constante et cohérente de la Cour de cassation, les consommateurs se heurtent à une résistance de certaines cours d’appels.

Pour n’en mentionner que quelques-unes, la Cour d’appel de Bourges ne cesse de considérer, malgré les arrêts de la Cour de cassation en la matière, que l’exécution du contrat, notamment par le paiement des mensualités du prêt affecté, est une renonciation aux irrégularités affectant le bon de commande [6].

Ce à quoi il peut être de bon sens de retorquer que, les consommateurs règlent leurs mensualités afin d’éviter une action en référé pour non- paiement des mensualités du crédit.

D’autres cours d’appels forcent à la réflexion notamment la Cour d’appel de Versailles rendant des arrêts en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation [7], ou encore la Cour d’appel de Poitiers qui a, pendant longtemps, rendu des arrêts totalement en contradiction avec ceux de la Cour de cassation.

Or, par un arrêt en date du 30 avril 2019 n°17/00895, la Cour d’appel de Poitiers semble finalement se soumettre à la jurisprudence de la Haute Juridiction Judiciaire. Une telle solution devra être confirmée.

A notre sens, et malgré une construction jurisprudentielle progressive et constante, certaines questions demeurent en suspens.

Alors que certains auteurs semblent voir un essoufflement du contentieux photovoltaïque, nous faisons le constat malheureux, d’un nombre constant de consommateurs lésés par ces promesses mensongères.

Fort heureusement, toutes les sociétés commercialisant des panneaux photovoltaïques, ne sont pas à l’origine de ces arnaques.

Pour autant, certaines sociétés peu scrupuleuses, ayant pour la plupart été condamnées en justice au titre de ces manœuvres dolosives, n’hésitent pas à poursuivre ces pratiques.

Peu nombreux sont les avocats qui maîtrisent ce contentieux parfois complexe, nécessitant de se pencher sur le fonctionnement d’une installation photovoltaïque et ses différents aspects techniques tels que le raccordement des panneaux à l’onduleur, et le raccordement au réseau d’électricité Enedis, appelé aussi mise en service dans le contrat d’achat EDF.

Tant que cette matière ne sera pas maîtrisée, certains consommateurs lésés ne parviendront pas à obtenir gain de cause, ce qui aura pour conséquence de faire encore évoluer et perdurer ce contentieux.

De la même manière, tant que les Cours d’appels résisteront à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, les combats judiciaires demeureront âpres entre consommateurs et professionnels.

Maître Mounia BELKACEM et Maître Dan KEINAN
Associés au sein du cabinet DKMB AVOCATS

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[1Voir en ce sens : 14 février 2018 N°16-25.744, 9 janvier 2019 N°17-24.075, 26 septembre 2018 N°17-14.910, 14 novembre 2018 N°17-20.816, 27 juin 2018 N°17-17.543.

[227 juin 2018, N°17.16-352, 13 mars 2019 N°17-25.687, 27 mars 2019 N°18-14.400, 10 avril 2019 N°18-10.183, 9 mai 2019 N°18-14.996, 9 mai 2019 N°18-11.751, 9 mai 2019 N°18-14.991, 19 juin 2019 N°18-18.126.

[3Cour de cassation – Première chambre civile – 6 juin 2018 – n° 17-17.199, Cour de cassation – Première chambre civile – 12 septembre 2018 – n° 17-11.257, Cour de cassation – Chambre commerciale – 6 juin 2018 – n° 17-10.399, Cour de cassation - Première chambre civile - 26 septembre 2018 – n°17-14.943, Cour de cassation - Première chambre civile – 12 décembre 2018 – n° 17-20.882, Cour de cassation - Première chambre civile – 3 mai 2018 – n° 16-27.255, Cour de cassation - Première chambre civile – 31 janvier 2018 – n° 16-28.138.

[4Cour de cassation – Première chambre civile – 6 juin 2018 – n° 17-17.199, Cour de cassation – Première chambre civile – 12 septembre 2018 – n° 17-11.257, Cour de cassation – Chambre commerciale – 6 juin 2018 – n° 17-10.399, Cour de cassation - Première chambre civile - 26 septembre 2018 – n°17-14.943, Cour de cassation - Première chambre civile – 12 décembre 2018 – n° 17-20.882, Cour de cassation - Première chambre civile – 3 mai 2018 – n° 16-27.255, Cour de cassation - Première chambre civile – 31 janvier 2018 – n° 16-28.138.

[5Voir : la BNP Paribas Personal Finance, la Banque Soflea, la Banque Sygma (aux droits de laquelle vient désormais la BNP Paribas Personal Finance), Franfinance, Cofidis (venant aux droits de la société Sofemo), Domofinance, Sofinco… etc.

[6CA Bourges 18 juillet 2019 N°18/00846.

[711 janvier 2019 N°17/04902, 18 décembre 2018 N°17/04389.

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