En effet, par un arrêt en date du 17 février 1950, « Dame Lamotte », le Conseil d’État a eu l’occasion de consacrer un nouveau principe général du droit selon lequel toute décision administrative peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Et depuis, ce recours, bien que menacé à de multiples reprises, est toujours utilisé quotidiennement par des administrés mécontents, des fonctionnaires en conflit avec leur "employeur", ou des étrangers frappés d’une mesure restreignant leurs libertés.
Mais si l’erreur de fait en est un préalable, c’est au final une erreur de droit ou une erreur d’appréciation que le juge estimera manifestement fondée ou non.
Mais comment comprendre les lignes principales de ce recours, si particulier et si technique, avant de franchir la porte d’un avocat expert en droit administratif pour obtenir réparation de l’Administration, ou plutôt changement, réformation, de la décision qui vous fait grief ?
I. Quelles sont les conditions de recevabilité d’un recours devant les juridictions administratives ?
On appelle « conditions de recevabilité » les conditions devant être réunies pour que le juge puisse être saisi et rendre une décision « prononce sur le fond ». Si l’une des conditions n’est pas remplie, le juge rejette la requête en la déclarant irrecevable, sans même examiner si elle est bien fondée, c’est à dire si l’acte attaqué est effectivement illégal. Les conditions de recevabilité sont les suivantes :
- Le requérant doit avoir un intérêt à agir.
Un détenu a toujours intérêt à contester une mesure qui le vise personnellement ou qui modifie les conditions de détention de tous les détenus. En revanche, les personnes extérieures ne peuvent contester que les mesures qui les touchent directement : elles ne peuvent pas agir à la place du détenu.
- Le requérant doit avoir la capacité à agir.
C’est-à-dire avoir l’aptitude à faire valoir lui-même ses droits en justice. Les mineures et les incapables majeurs n’ont pas la capacité d’agir : ils doivent faire appel à leur représentant légal pour les assister devant un tribunal.
- Le requérant doit, dans certains cas, être représenté par un avocat.
A l’inverse l’action en responsabilité de l’administration ne nécessite pas obligatoirement l’assistance d’un avocat. Il en est de même lorsque le recours pour excès de pouvoir doit être exercé directement devant le Conseil d’Etat (cas notamment des contestations d’acte réglementaire émanant d’un ministre).
- L’acte attaqué doit être un acte administratif qui fait grief.
C’est-à-dire un acte susceptible de produire des effets juridiques (qui change la situation juridique de la personne).
- Le recours doit être rédigé en français.
Rédigé sur papier libre, comporter des indications suffisantes pour identifier son auteur (identité et adresse pour prendre contact avec lui). Il doit impérativement être signé.
- La décision attaquée doit être produite en annexe de la requête.
En cas d’impossibilité, lorsque la décision n’a pas été notifiée, une copie de la décision de l’administration refusant de la communiquer ou la preuve de la saisine de la CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) peuvent être suffisantes.
- Les pièces produites en annexe de la requête.
Elles doivent être numérotées et il est nécessaire d’en dresser la liste après l’exposé des conclusions.
- la requête doit être accompagnée de plusieurs copies.
Dans le cas le plus courant, il faut un original et trois copies, à savoir quatre exemplaires en tout. (sauf dans le cas récent de la dématérialisation via une clef RPVA, mais ceci est uniquement réservé aux avocats)
II. Quel est le régime des délais pour saisir les juridictions administratives ?
Le délai de recours contre un acte administratif débute avec la mesure officielle d’information qui en est faite. Cette information se réalise par publication ou affichage pour les actes réglementaires (mesures générales et impersonnelles), par notification pour les décisions individuelles (mesures nominatives).
Dans le cas des décisions individuelles, le délai n’est déclenché que si la notification mentionne tant l’existence et la durée du délai que les recours qui peuvent être exercés. L’exercice d’un recours hiérarchique ou d’un recours gracieux conserve est implicite (non écrite). Ainsi, le silence gardé, pendant plus de deux mois (en principe) par l’autorité administrative saisie d’une demande, vaut décision de rejet.
Cette décision de rejet peut être attaquée dans un délai de deux mois devant les juridictions administratives. Ce délai ne court que si la demande a fait l’objet d’un accusé réception de la part de l’administration, mentionnant les voies et délais de recours.
La requête doit parvenir au greffe du tribunal avant l’expiration du délai imparti. Ainsi, en présence d’une décision notifiée le 4 mars, le recours devra avoir été déposé au greffe au plus tard dans la journée du 5 mai. Toutefois, si ce dernier jour est un samedi, un dimanche ou un jour férié, le délai est prolongé jusqu’à la fin du prochain jour ouvrable suivant.
S’agissant d’une réglementation, il est encore possible d’en contester la légalité, alors même que le délai est écroulé. Pour cela, il faut demander à l’autorité administrative à l’origine d’une réglementation d’abroger le texte illégal.
Le refus éventuel de faire disparaître le règlement constitue une décision administrative contestable devant une juridiction. C’est donc la réponse (explicite ou implicite) de l’administration à la demande d’abrogation qui devra être contestée devant le tribunal dans un délai de deux mois.
III. Mais qu’est ce donc au final qu’un « recours pour excès de pouvoir » ?
Il s’agit d’un recours dirigé contre des actes émanant d’une autorité administrative, qu’ils soient réglementaires (actes ayant un caractère général et impersonnel) ou individuels (actes nominatifs).
L’objectif de ce recours est de contrôler la légalité de l’acte et, le cas échéant, de l’annuler. Ce recours est possible contre toute décision administrative (décision qui n’est pas qualifiée de « mesure d’ordre intérieur ») sans qu’il soit besoin qu’un texte particulier le prévoit.
Si un texte déclare qu’un acte n’est pas « susceptible de recours », la jurisprudence considère que tous les recours sont exclus sauf le recours pour excès de pouvoir. Le tribunal administratif est compétent pour toutes les décisions prises au niveau local (sanction disciplinaire, règlement intérieur…).
Le Conseil d’Etat est compétent pour examiner la légalité des réglementations nationales (décrets, circulaires impératives...). La représentation par un avocat n’est pas obligatoire, sauf pour l’exercice des voies de recours devant les cours administratives d’appel et le Conseil d’Etat (pourvoi en cassation).
IV. Faut-il faire appel à un avocat dans les cas où la représentation n’est pas obligatoire ?
Dans la mesure du possible, un requérant doit faire appel à un avocat afin d’éviter de commettre des erreurs tactiques et techniques.
Il est donc vivement recommandé de solliciter un avocat spécialisé en droit public ou qui tout le moins en fait un de ses domaines d’activité principaux.
En revanche, si l’on possède une certaine habitude du contentieux devant les tribunaux administratifs, il est tout-à-fait possible de se passer des services d’un avocat.
Seul un nombre limité d’avocats pratiquent le droit public (10% seulement et encore bien moins en tant que domaine d’activité exclusif).
En effet, une des principales raisons de ce manque de candidat avocat maîtrisant le droit administratif réside essentiellement dans le fait que le droit administratif est trop souvent enseigné de manière rébarbative à l’université. Forçant l’étudiant à apprendre par cœur des centaines de décisions de jurisprudence avant de commencer à étudier la procédure (pas avant le Master en Droit).
Voilà pourquoi cette matière est trop souvent ignorée, pourtant, lorsqu’on le manie avec dextérité, le contentieux administratif se révèle être bien plus efficace, et les procédures bien moins coûteuses que chez ses voisins du judiciaire.
Alors vive le droit administratif, et vive le recours pour excès de pouvoir ! Fondement de la défense de nos droits et de nos libertés individuelles.
Discussions en cours :
Bonjour,
Lorsqu’un recours pour excès de pouvoir est déposé au conseil d’état contre un décret d’application, celui-ci est-il quand même applicable pendant la procédure ou est-il suspendu jusqu’à décision ?
Merci
Je suis moins pessimiste que l’auteur sur le côté "rébarbatif" du droit administratif, et je n’ai pas le souvenir que j’ai dû lors de mes études apprendre par cœur "des centaines de décisions"..... mais, c’est vrai, c’était il y a....41 ans !!!!
Cher Gérard, vous prouvez une fois de plus dans cette discussion, que l’humour est une jurisprudence constante chez les publicistes avertis !
Je propose en guise de réponse quant au quantum jurisprudentiel, le visionnage de cette petite vidéo qui a eu un succès fou à l’époque chez les étudiants en droit administratif, tellement il est pertinent et amusant :
Film : "The G.A.J.A. Effect" :
Bonjour, si j’ai bien compris, les mesures d’ordre interieur (question de securite) ne peuvent pas faire l’objet d’un recours pour exces de pouvoir. Est-ce a dire que l’administration peut agir sans aucun controle et peut faire tout ce qu’elle veut ?
Accessoirement, quelle difference peut-on faire entre assignation a residence surveillee et assignation a residence fixe.
Merci de vos eclairages.
Cordialement
Certes mais ce n’est pas si simple, la jurisprudence a eu quelques avancées.
En effet, au sens strict les MOI sont des mesures prises à l’intérieur d’un service et visant à aménager et à faciliter son fonctionnement. Ce sont des mesures touchant à la vie intérieure du service.
Mais aujourd’hui le juge administratif contrôle tant les mesures réglementaires que les décisions individuelles.
En effet l’administration doit motiver les contraintes qu’elle exerce.
Quant à la deuxième question je pense sincèrement que vous n’avez pas besoin de moi pour connaître la réponse.
Cordialement
Benjamin Brame Avocat Droit Administratif & Contentieux Publics
J’ai eu l’occasion de constater à maintes reprises autour de moi de nombreuses personnes vivaient les décisions administratives comme une fatalité.
Ceci participe à faire perdurer des complexités et des incohérences dont notre pays pourrait faire l’économie.
Il m’apparaît de première importance d’éclairer nos concitoyens sur les moyens de réagir, pour le plus grand profit de tous.
En réponse à Choain, et notamment cet élément de son commentaire :
L’auteur le rappelle, les actes des administrations doivent, sous peine d’être éternellement attaquables, mentionner les voies et délais de recours (R 421-5 du Code de justice administrative).
Comme son nom l’indique, ces "voies et délais" précisent les modalités permettant d’attaquer judiciairement (ou plutôt "juridictionnellement" pour éviter toute confusion avec l’ordre de juridiction portant ce nom), l’acte litigieux.
L’administration est la première a y trouver un intérêt en ce que cela permet de mettre un terme à la potentielle insécurité juridique flottant au-dessus du chef de l’acte.
Ainsi, et sans ôter tout mérite au travail de Me Brame qui a établi de manière synthétique, claire et avec un peu d’humour pro-publiciste auquel je suis sensible, les aspects essentiels du REP, il convient de signaler que le "Droit" a également organisé une notice obligatoire à l’attention du destinataire d’un acte.
Celle-ci lui permet de faire prévaloir ses droits, s’ils lui semblent lésés par la décision de l’administration, par devant le bon juge et dans les bons délais (et si l’administration se trompe quant à la juridiction compétente ou aux délais, ce sera toujours en faveur de l’admission du requérant).
Je suis d’accord en revanche que cette information, bien qu’essentielle, n’enlèvera pas à la procédure contentieuse sa complexité pour le citoyen non juriste.
Messieurs,
Un grand merci pour vos commentaires.
Vous avez raison Monsieur Choain, les décisions administratives si elles sont illégales ne sont pas une fatalité.
Cher Monsieur Julien F, vous avez raison concernant cette notice, merci d’en avoir parlé à la suite de cet article qui se devait d’être bref et qui ne pouvait aborder des détails aussi précis, bien que de grandes importances, car cela constitue une avancée réelle, vous avez raison.
Et vous constaterez comme moi que si cette notice existe aujourd’hui c’est justement en grande partie la conséquence directe des multiples recours en excès de pouvoir contre des problèmes de notification et d’information des voies et délais de recours faites par des confrères. Certains confrères étant même allé jusqu’à la CEDH en invoquant l’article 6.
Enfin, cher Confrère Houver, vous avez raison, rien ne sert de sauter au plafond, surtout si vous vous trouviez, au moment de la lecture, dans une administration ;)
Sachez tout d’abord que j’ai bien apprécié votre trait d’humour très "pro-publiciste" comme écrivait Julien F dans son commentaire, quand vous dites : "Celui pourra ètre moins volumineux le jour ou l’administration,surtout au niveau local,sera plus respectueuse du droit des administrés." Voir même très british !
Ensuite, c’est gentil à vous mais vous avez tord, mon article est bien moins complet qu’un manuel de droit administratif. Il est bref et d’un style peu académique. En effet, j’essai toujours d’écrire des articles à destination des administrés citoyens. Je pense qu’il est fondamental de vulgariser le droit afin de le rendre plus utile pour nos concitoyens et c’est en cela que je m’évertue à revisiter des domaines du droit très utiles et souvent complètement inaccessible au grand public. (comme vous pourrez le constater en compulsant mes autres articles)
Et oui, je pense réellement qu’un client averti en vaut deux !