Le proverbe est connu et s’applique à bien des situations et domaines dont celui de la gestion administrative du personnel : « Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation ».
Rupture conventionnelle du contrat de travail : amiable peut-être, procédurale sûrement !
Le second proverbe est offert gracieusement aux lectrices et lecteurs : « Il ne faut pas se fier aux apparences » ...
- Un principe : la rupture amiable
Aussi, peu importe l’impression de facilité et flexibilité laissée par l’article L.1237-11 du Code du travail, lequel prévoit qu’employeur et salarié « (...) peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. », sachant que cette rupture « (...) résulte d’une convention signée par les parties au contrat. » puisque, immanquablement, le diable vient se nicher dans les détails (jamais deux proverbes sans trois...) et dans les détails d’une procédure.
En effet, la lecture attentive des articles L. 1237-12 et suivants du Code du travail vient rappeler que, si elle est amiable, la rupture conventionnelle n’en est pas moins procédurale.
- Une réalité : une rupture soumise à procédure + validation administrative
Elle comporte, en effet, son lot de phases et délais [1].
Et parmi toutes ces étapes, dont certaines indispensables [2], l’article L. 1237-14 du Code du travail élève l’une d’entre elles au rang de condition substantielle de validité du processus de rupture en son entier, étant entendu qu’il s’agit là de l’homologation administrative [3] opérée par le DIRECCTE.
Validité ... ?
Oui car la décision administrative [4] en question :
1. vaut légitimation [5] de la rupture du contrat de travail (par le biais du processus de rupture conventionnelle).
2. marque l’achèvement de la procédure de rupture conventionnelle.
3. déclenche (pour chaque partie employeur et salarié) le mécanisme et les effets des obligations inhérentes à cette rupture conventionnelle (dont le principe même de la rupture définitive de la relation contractuelle).
Par conséquent, tant qu’une décision administrative favorable n’a pas été prise, le contrat de travail demeure en l’état et continue et surtout ... continue à lier les parties [6] et, de fait, produire tous effets de droit à l’endroit de chacune d’elle.
Quand anticipation vaut renonciation (aux effets de l’homologation administrative et donc au bénéfice de la légitimation de la rupture)
Au sein des dispositions légales relatives à la rupture conventionnelle comme au sein du processus lui-même, l’article L. 1237-14 du Code du travail occupe ainsi une position nodale.
- L’article L. 1237-14 du Code du travail s’impose à l’employeur
Le respect de ses principes et modalités de fonctionnement conditionnent , en effet, la validité même d’une rupture du contrat de travail par voie de rupture conventionnelle.
Ignorer cet article revient donc à ignorer ce qu’est une rupture conventionnelle (en omettant qu’il faut attendre le résultat des courses, autrement dit le résultat de la décision administrative).
- L’article L. 1237-14 du Code du travail interdit à l’employeur toute anticipation
Parce que procédurale, la rupture – par voie conventionnelle – n’est acquise qu’au terme de l’obtention de la décision administrative.
Tout comportement de l’employeur manifestant une anticipation de la décision (à venir et attendue) produit deux effets :
1. Celui de manifester et matérialiser une volonté patronale de se placer en dehors de la procédure de rupture conventionnelle et de son processus de légitimation de la rupture du contrat de travail.
2. Celui d’ entériner l’ achèvement de la relation contractuelle de travail par d’autres moyens, biais et procédure que ceux de ladite rupture conventionnelle.
- La remise de documents de fin de contrat (attestation Assedic + reçu pour solde de tout compte) traduit une anticipation proscrite
Dans et par la décision commentée ici, les Hauts-Juges considèrent que la remise de documents de fin de contrat au salarié traduit la volonté d’anticiper et donc de se placer en dehors du processus de la rupture conventionnelle.
Pourquoi ?
Essentiellement pour deux raisons :
1. La nature des documents remis : attestation Assedic et reçu pour solde de tout compte sont, de par le Code du travail, remis au moment de l’expiration, de la résiliation ou de la rupture du contrat de travail et totalisent des sommes matérialisant des droits et garanties découlant et générés par la rupture du contrat de travail ; les remettre, revient, du coté patronal, à constater et entériner effectivité et caractère acquis [7] de la rupture de la relation contractuelle de travail.
2. La portée de l’article L. 1237-14 : avec sa position nodale, la décision administrative acquiert (quasiment) les vertu et portée d’une autorisation administrative de rupture aux yeux des Hauts-Juges ; faire montre, par la remise de documents de fin de contrat, d’une initiative de rupture de la relation contractuelle revient, dés lors, à se placer, et en dehors de la procédure de rupture conventionnelle, et en dehors des prérogatives de contrôle de l’administration.
- L’anticipation traduit une renonciation définitive à la rupture conventionnelle (dans ses principe et effets)
Remettre (des documents de fin de contrat) revient à anticiper ; anticiper revient à renoncer ; et renoncer définitivement à la logique de la rupture conventionnelle et de ses effets.
Implacablement mécanique, la décision commentée ici est dévastatrice pour l’employeur car :
elle le place automatiquement en dehors du champ (protecteur) de la rupture conventionnelle.
elle confère à son initiative de remise de documents la nature et les effets d’une décision de rupture définitive de la relation contractuelle de travail dont le salarié peut prendre acte et se prévaloir sans que la contradiction ne puisse lui être apportée sur ce point.
elle assimile cette rupture définitive à un licenciement non motivé avec toutes conséquences de droit (donc financières) au profit du salarié.
elle interdit toute tentative ultérieure de correctif ou réaction .
En guise de conclusion :
La gestion d’une procédure de rupture conventionnelle doit tout intégrer – et donc sécuriser - y compris des aspects de (simple) gestion administrative du personnel et de paye. Par conséquent, la remise des documents de fin de contrat doit être adaptée et conditionnée par les tempo et phases de la procédure de rupture conventionnelle et, de la sorte, prendre position en toute fin extrême. En présence d’un logiciel de paie susceptible de prendre des initiatives malencontreuses, il convient de reparamétrer ou de ... passer en manuel !
Discussions en cours :
Bonjour
Cette jurisprudence est-elle applicable aux salariés protégés qui auraient laissé passer le délais de deux mois pour intenter une action devant le juge administratif ?
En effet, la décision de la cour est de considérer cette rupture, non comme une rupture conventionnelle mais comme un acte unilatéral de l’employeur. Dès lors, est-il possible pour le salarié protégé qui se serait vu rompre le contrat avant le délai prévu par la loi ( au lendemain de la décision de l’inspection du travail) de se tourner vers le juge judiciaire ? Si oui dans quel délai ?
Merci par avance
Préalable : si besoin d’une action de conseil et/ou de défense de vos droits ou de ceux d’un tiers, vous devez impérativement solliciter et obtenir le concours d’un Avocat.
Observation :
a) décision commentée dans petit article rendue dans le cas d’un salarié non protégé
b) décision commentée = traitement administratif + paye hâtif = plante et crucifie l’employeur (d’autant que refus d’homolog. derrière)
c) salarié protégé = spécificité : régime autorisation administrative/acte administratif (IT donne feu vert à rupture conventionnelle ou s’oppose explicitement ou implicitement donc ... feu rouge)
d) autorisation administrative - traitement et réponse : 15 jrs mais ... silence gardé pendant 2 mois = rejet implicite donc feu rouge )
e) itinéraires "classiques" :
feu rouge : salarié protégé doit demeurer dans entreprise => si employeur licencie explicitement ou tacitement (en remettant documents de fin de contrat) et si salarié protégé veut rester = action judiciaire (dans les meilleurs délais) en référé opportune pour réintégration = nécessite services d’un AVOCAT
feu vert : salarié protégé en désaccord (étonnant ...) soit encore dans délai pour action par voie de recours administratif soit hors délai donc saisine juge judiciaire en invoquant vice consentement= nécessiteservices d’un AVOCAT
f) si non respect de la procédure légale de protection par employeur : licenciement explicite ou implicite avant obtention et arrivée de la décision IT => soit : informer IT de la situation pour tenter d’obtenir un retrait de sa décision / soit : tenter immédiatement un référé (dans les deux cas =nécessite services d’un AVOCAT)