La Cour de cassation, chambre criminelle, a rendu l’arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
L’administration des douanes et droits indirects, partie poursuivante, contre l’arrêt de la cour d’appel de Douai, 6e chambre, en date du 7 février 2017, qui a renvoyé la société Eurostop, MM. Stéphane X... et Andrew Y..., des fins de la poursuite du chef d’infractions à la législation sur les contributions indirectes.
…………
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 302 L, 302 M, 302 M bis, 302 M ter, 302 P, 401-I, 403-I-2°, 451, 614 A, 1791, 1798 bis II, 1799-1°, 1799 A, 1804 B du code général des impôts, L. 24, L. 25, L. 243 à L. 245 du livre des procédures fiscales, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
”en ce que l’arrêt infirmatif a renvoyé la société Eurostop et MM. X... et Y... des fins de la poursuite ;
………..
”1°) alors qu’en matière de contributions indirectes, l’élément intentionnel est suffisamment constitué dès lors qu’il y a négligence ou imprudence de la part du prévenu ; que les juges du fond qui ont constaté le caractère insuffisant des diligences des prévenus ne pouvaient, sans se contredire ou mieux s’en expliquer, décider que lesdits prévenus n’ont pas commis de négligence ou d’imprudence de nature à caractériser l’élément intentionnel ; pour avoir statué comme ils l’ont fait, les juges du fond ont violé les textes susvisés ;
”2°) alors que tout jugement doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance de motifs équivaut à leur absence ; que l’administration des douanes soutenait que l’élément intentionnel se déduisait de la réitération de la violation des prescriptions légales ou réglementaires ; que faute de s’expliquer sur ce point, les juges du fond ont violé l’article 593 du code de procédure pénale” ;
Vu l’article 1791 du code général des impôts et l’article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu qu’en matière de contributions indirectes, l’intention de commettre les infractions résulte de la violation des prescriptions légales et réglementaires régissant les activités professionnelles des prévenus ; que le prévenu ne peut combattre cette présomption qu’en établissant sa bonne foi ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision, et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu’il résulte de l’arrêt et des pièces de procédure qu’à la suite d’un contrôle et sur la base d’un procès-verbal de notification d’infraction en date du 6 novembre 2012, l’administration des douanes et droits indirects a fait citer à comparaître devant le tribunal correctionnel la Sarl Eurostop ainsi que ses deux co-gérants, MM. X... et Y..., pour y répondre d’infractions à la réglementation des contributions indirectes relevées à leur encontre, leur reprochant d’avoir procédé à une circulation intra-communautaire de produits soumis à accises sous couvert de titres de mouvement inapplicables, éludant le paiement du droit spécifique sur les bières, et du droit de circulation sur les produits intermédiaires, les vins et autres produits fermentés ; que par jugement du 25 août 2015, le tribunal correctionnel a déclaré les prévenus coupables des infractions reprochées ; que ces derniers ont relevé appel principal des dispositions pénales, civiles, fiscales et douanières de ce jugement ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et renvoyer les prévenus des fins de la poursuite, l’arrêt énonce qu’il résulte de l’ensemble du dossier que les documents administratifs électroniques litigieux ont été apurés frauduleusement ; que les juges relèvent que, si la partie poursuivante fait en effet état d’un climat professionnel délétère, d’incohérences dans les temps de transport et de chargement, d’un volume très important d’activité et de précédentes infractions ayant toutefois abouti à des transactions, il n’en demeure pas moins que les prévenus ont pris des précautions, même si elles se sont avérées insuffisantes, pour limiter le nombre de leurs clients et se renseigner à leur sujet, le système Gamma étant de nature à les sécuriser puisque les destinataires étaient des entrepositaires agréés, même s’il ne les dispensait pas pour autant de toute vérification ; que la cour d’appel retient qu’au cas présent, les éléments du dossier ne révèlent pas d’imprudences ou négligences fautives à la charge des prévenus, de sorte qu’ils seront renvoyés des fins de la poursuite, à défaut de caractérisation de l’élément intentionnel des infractions qui leur sont reprochées ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser la bonne foi des prévenus, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;
D’où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
Casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la Cour d’appel de Douai en date du 7 février 2017, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
Renvoie la cause et les parties devant la cour d’appel de Douai, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
Note :
Les deux gérants d’une SARL bénéficiant du statut d’entrepositaire agréé étaient poursuivis par la douane, ainsi que la SARL, devant le Tribunal correctionnel de Boulogne sur mer qui les a déclarés coupables des faits reprochés consistant en 4.874 infractions à la règlementation des contributions indirectes, par jugement en date du 25 août 2015 aussitôt frappé d’appel devant la Cour de Douai.
En dépit d’un tel déferlement d’infractions présumées la Cour d’appel, dans son arrêt du 7 février 2017, s’était attachée à vérifier dans quelles circonstances les infractions poursuivies avaient été commises afin de s’assurer qu’elles étaient imputables – ou non - aux trois prévenus. Elle avait renvoyé les prévenus des fins de la poursuite. Mais c’était sans compter avec l’obstacle de la présomption qui n’existe pourtant pas dans les textes.
1. Les fluctuations de la jurisprudence.
Avant la suppression des frontières intérieures le contentieux des contributions indirectes était géré par l’administration fiscale. La matière concerne principalement les boissons, les tabacs, les poudres, les spectacles, les jeux et la garantie des métaux précieux. Ces activités ont toujours fait l’objet de règlementations strictes en raison de la difficulté d’appréhender les fraudes. Les sanctions applicables aux infractions sont généralement lourdes et la jurisprudence trop souvent séduite par la facilité des présomptions qui offrent l’avantage pour les juges de renverser la charge de la preuve et, pour l’administration, de bénéficier d’ une bienveillante impunité dans les situations où souvent elle en fait trop, soi-disant pour la bonne cause. Ce système est efficace mais dangereux car il facilite chaque année de nombreuses poursuites et décisions injustes. On va voir que la jurisprudence reste finalement éloignée des réalités des enquêtes et se réfugie dans une attitude prudente.
« L’infraction fiscale de détention en vue de la vente et sans déclaration de vins falsifiés prévue et réprimée par les articles 312, 434 et 1791 du Code général des impôts est une infraction purement matérielle indépendante de la bonne ou de la mauvaise foi de son auteur » (Cass. crim. 23 juin 1977 pourvoi n° 76-91353 Bull. crim. n° 239).
On observe à la suite de la loi d’adaptation n° 92-1336 du 16 décembre 1992, un net assouplissement, la Haute cour admet que les délits sont constitués en cas d’imprudence ou de négligence, encore faut-il démontrer qu’il n’y a eu d’imprudence ou de négligence. Par rapport à la brutalité du régime de l’infraction dite matérielle c’était une embellie mais la porte restait étroite :
« La décharge de responsabilité pénale prévue par l’article 1805 du Code général des impôts en faveur du propriétaire dépositaire ou détenteur victime du vol de la marchandise, n’existe que si celui-ci établit qu’il a rempli normalement tous ses devoirs de surveillance, condition laissée à l’appréciation souveraine du juge du fond » (Cass.crim. 7 novembre 1994 pourvoi n° 93-85286 Publié).
« Si, selon l’article 121-3 du Code pénal applicable à partir du 1er mars 1994, il n’y a ni crime ni délit sans intention de le commettre, l’article 339 de la loi d’adaptation du 16 décembre 1992 dispose que tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à son entrée en vigueur demeurent constitués, notamment en cas d’imprudence ou de négligence, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément. Justifie la déclaration de culpabilité du chef de réception d’alcool sous couvert de titres de mouvement inapplicables, la cour d’appel qui relève qu’il appartenait au destinataire de vérifier la conformité et la régularité des factures-congés, dont les falsifications et l’absence de mentions obligatoires étaient trop apparentes pour échapper à un examen, même sommaire » (Cass. crim. 28 novembre 1994 Pourvoi n° 93-85704 Bull. crim. n° 380).
« Pour confirmer la relaxe des prévenus du chef d’infraction aux articles 443 et 497 du Code général des impôts et débouter l’Administration poursuivante de l’ensemble de ses demandes, la cour d’appel relève notamment que, si le procès-verbal fait foi jusqu’à preuve contraire, il n’en est pas pour autant établi qu’il y ait eu intention frauduleuse de Maurice et Axel X... ; qu’il ne paraît d’ailleurs pas exclu que les manquants constatés par l’Administration résultent d’anomalies techniques inhérentes aux cuves contenant les alcools litigieux ; que, dès lors, faute d’élément intentionnel clairement établi, les prévenus doivent être relaxés ;
Mais attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, même en l’absence d’intention frauduleuse, les anomalies constatées n’étaient pas imputables à une imprudence ou à une négligence, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés » (Cass. crim. 19 septembre 1995 Pourvoi n° 94-84378 Inédit).
La Cour se méfie toujours de la notion d’élément intentionnel.
« Attendu que, pour les renvoyer des fins de la poursuite, la cour d’appel énonce, que les pertes incriminées sont consécutives à deux vols commis dans l’entrepôt de la société au cours des nuits des 8 au 9 décembre 1992 et 11 au 12 octobre 1993 et que les intéressés ont normalement accompli tous leurs devoirs de surveillance pour en prévenir et empêcher la réalisation ;
Attendu qu’en prononçant ainsi, et dès lors que l’article 339 de la loi d’adaptation dispose que tous les délits non intentionnels réprimés par des textes antérieurs à l’entrée en vigueur de ladite loi ne demeurent constitués qu’en cas d’imprudence ou de négligence et que tel n’est pas le cas en l’espèce, la cour d’appel a justifié sa décision » (Cass. crim. 10 novembre 1999 pourvoi n° 98-84610 Inédit).
Selon l’article 339 les infractions non intentionnelles réprimées par des textes antérieurs au 1er mars 1994, comme celles en matière de contributions indirectes, “demeurent constituées en cas d’imprudence ou de négligence, même lorsque la loi ne le prévoit pas expressément (Cass. crim. 19 janvier 2000 pourvoi n° 99-82423 Inédit).
« Le demandeur étant poursuivi sur le fondement de l’article 1791 du Code général des impôts, il ne saurait invoquer la violation de l’article L. 227 du Livre des procédures fiscales, lequel n’est applicable qu’en cas de poursuites fondées sur les articles 1741 ou 1743 du Code général des impôts » (Cass. crim. 15 mars 2000 Pourvoi n° 99-81268 Inédit).
« Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de cette infraction et les condamner à des amendes fiscales et à des pénalités proportionnelles, correspondant au montant des droits éludés, la cour d’appel se prononce par les motifs repris aux moyens ; qu’elle relève notamment la négligence dont ont fait preuve, dans l’accomplissement de leurs devoirs de surveillance, Serge Y... et Paul X... auxquels, en raison des fonctions de direction de la SEM qu’ils ont l’un et l’autre, successivement exercées et de l’absence de toute délégation de pouvoir à cet effet, il incombait de s’assurer qu’il était satisfait à l’obligation de déposer les relevés litigieux auprès du service administratif compétent ;
Attendu qu’en l’état de ces motifs relevant d’une appréciation souveraine des éléments de preuve contradictoirement débattus, et dès lors, que la violation en connaissance de cause d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article 121-3 du Code pénal, la Cour d’appel qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision » (Cass. crim. 10 avril 2002 Pourvoi n° 01-84590 Inédit).
« Attendu que, pour déclarer la SCEA du Mirail et ses gérants coupables de dix infractions à la législation sur les contributions indirectes et les seconds du délit d’usurpation d’appellation d’origine contrôlée, les juges du fond, après avoir écarté les éléments opposés par les prévenus aux constatations des agents des Douanes, prononcent par les motifs repris aux moyens ;
Attendu qu’en statuant ainsi et dès lors, d’une part, que le procès-verbal du 11 juin 1998 fait foi jusqu’à preuve contraire, non rapportée en l’espèce, et, d’autre part, que l’intention de commettre les infractions résulte de la violation réitérée des prescriptions légales et réglementaires régissant les activités professionnelles des prévenus, la Cour d’appel a justifié sa décision » (Cass. crim. 17 décembre 2003 Pourvoi n° 02-87224 Inédit).
« En matière de contributions indirectes, la violation en connaissance de cause des prescriptions légales et réglementaires implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article 121-3 du Code pénal ; d’autre part, l’administrateur provisoire d’une société ne peut s’exonérer de sa responsabilité pénale qu’en justifiant avoir délégué ses pouvoirs dans le domaine concerné par les poursuites » (Cass. crim. 5 avril 2006 Pourvoi n° 05-85031 Inédit, Dr. Pén. 2006 comm. 102 J.-H. Robert).
« Pour déclarer les prévenus coupables d’infractions à la législation sur les contributions indirectes, l’arrêt, après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, que les prévenus s’étaient indûment constitué un portefeuille de droits à replantation et qu’ils avaient sciemment menti lors du dépôt des déclarations, énonce que l’intention frauduleuse est caractérisée, pour l’ensemble des infractions constatées, par la violation réitérée des prescriptions légales et réglementaires régissant leur activité professionnelle ; que les juges ajoutent qu’ils ne peuvent invoquer des tolérances qui ne résultent pas de la loi ; en l’état de ces énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision » (Cass. crim. 14 mars 2007 Pourvoi n° 06-82629 Bull. crim. n° 82).
« Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui établissent que la prévenue a exploité, sur la période du 25 septembre 2006 au 24 septembre 2009, une activité commerciale de jeux de hasard qui n’entrait pas dans la classe des lotos traditionnels mentionnés à l’article 6 de la loi du 21 mai 1836 désormais transposé à l’article L.322-4 du Code de la sécurité intérieure et était, à ce titre, tenue de s’acquitter des obligations fiscales y afférentes, et dès lors qu’en matière de contributions indirectes, la violation, en connaissance de cause, a fortiori réitérée, d’une prescription légale ou réglementaire implique, de la part de son auteur, l’intention coupable, la Cour d’appel a justifié sa décision sans porter atteinte à la présomption d’innocence » (Cass. crim. 18 juillet 2017 Pourvoi n° 15-86153 Publié).
2. Les inconvénients et autres fragilités du verrouillage.
La chambre criminelle a tenté de se donner bonne conscience en ouvrant une toute petite fenêtre en faveur de la reconnaissance d’un embryon d’élément intentionnel. Elle l’a fait à l’occasion d’une récente réforme du code pénal mais l’on cherche encore des cas concrets où l’absence de négligence ou d’imprudence a pu être reconnue (Cass. crim. 28 nov.1994 précité). Pour rétablir ensuite le verrou de la présomption qui n’existe pas dans les textes.
Il est remarquable aussi de constater que la Haute juridiction s’applique à rappeler dans plusieurs arrêts que les moyens qui remettent en cause l’appréciation souveraine des juges du fond sont irrecevables tandis que, dans sa décision du 12 septembre 2018, elle conteste l’appréciation souveraine de la Cour de Douai qui était pourtant rédigée dans les règles de l’art.
La Cour d’appel de Douai, dans son arrêt du 7 février 2017, au vu d’une argumentation très documentée et minutieuse de la défense, avait écarté la responsabilité pénale des prévenus pour tous les apurements fictifs poursuivis par la douane… qui ne s’était pas donné la peine de rechercher les fraudeurs.
Elle rappelle que « la base SEED contient l’ensemble des entreprises agréés et opérateurs enregistrés européens autorisés à effectuer des mouvements intracommunautaires de produits en suspension de droits d’accises ainsi que les entrepôts fiscaux » et précise que les enquêteurs de la douane constataient que les sociétés destinataires visées étaient bien enregistrées dans la base communautaire SEED sous leurs numéros d’accises.
Ayant précisé que le système GAMMA est par nature conçu pour sécuriser les expéditeurs puisque les destinataires sont des entrepositaires agréés elle conclut : « Au cas présent, les éléments du dossier ne révèlent pas d’imprudences ou négligences fautives à la charge des prévenus, de sorte qu’ils seront renvoyés des fins de la poursuite à défaut de caractérisation de l’élément intentionnel des infractions qui leur sont reprochées ». Une fois de plus : Vox clamens in deserto !
On peut voir dans cette jurisprudence restrictive le résultat d’une pression permanente des administrations poursuivantes pression qui s’exerce avec la même intensité à l’égard du législateur chaque fois qu’une réforme tente de reconnaître la possibilité d’accepter la démonstration de la bonne foi. Finalement la réforme Aicardi n’a pas servi à grand-chose au plan de la répression, la démonstration de la bonne foi demeure une mission impossible malgré les précautions de langage de la chambre criminelle. Ce mur infranchissable décourage les juridictions inférieures qui ne sont pas dupes des méthodes de la douane.
On le sait, le droit douanier affectionne les présomptions qui facilitent grandement la prévention par renversement de la charge de la preuve [1].
Pourtant, en matière de contributions indirectes qui relève de la compétence de l’Union européenne depuis la suppression des frontières intérieures en 1992, la solution retenue pour s’assurer qu’un transport d’alcool organisé par un entrepositaire agréé a bien été réceptionné par un autre entrepositaire agréé en France ou dans un pays de l’UE ne peut plus s’accommoder du régime franco-français des présomptions. D’ailleurs la transposition en droit interne de la directive 2008/118/CE du Conseil du 16 décembre 2008 ne prévoit pas de présomptions.
3. Le texte applicable.
L’article 10 de la directive n° 2008/118/CE impose d’effectuer des vérifications qui doivent être conduites successivement et dans l’ordre indiqué par ce texte pour déterminer l’État membre territorialement compétent pour recouvrer les droits d’accise :
« 1. Lorsqu’une irrégularité a été commise au cours d’un mouvement de produits soumis à accises sous un régime de suspension de droits, entraînant leur mise à la consommation conformément à l’article 7, paragraphe 2, point a), la mise à la consommation a lieu dans l’État membre où l’irrégularité a été commise.
2. Lorsqu’une irrégularité a été constatée au cours d’un mouvement de produits soumis à accises sous un régime de suspension de droits, entraînant leur mise à la consommation conformément à l’article 7, paragraphe 2, point a), et qu’il n’est pas possible de déterminer le lieu où l’irrégularité a été commise, celle-ci est réputée avoir été commise dans l’État membre et au moment où elle a été constatée.
3. Dans les situations visées aux paragraphes 1 et 2, les autorités compétentes de l’État membre où les produits ont été mis ou sont réputés avoir été mis à la consommation informent les autorités compétentes de l’État membre d’expédition.
4. Lorsque des produits soumis à accises circulant sous un régime de suspension de droits ne sont pas arrivés à leur destination et qu’aucune irrégularité, entraînant leur mise à la consommation, conformément à l’article 7, paragraphe 2, point a), n’a été constatée au cours du mouvement, une irrégularité est réputée avoir été commise dans l’État membre d’expédition et au moment où le mouvement a débuté, sauf si, dans un délai de quatre mois à compter du début du mouvement, conformément à l’article 20, paragraphe 1, la preuve est apportée, à la satisfaction des autorités compétentes de l’État membre d’expédition, de la fin du mouvement, conformément à l’article 20, paragraphe 2, ou du lieu où l’irrégularité a été commise.
Si la personne qui a constitué la garantie prévue à l’article 18 n’a pas eu ou a pu ne pas avoir connaissance du fait que les produits ne sont pas arrivés à leur destination, un délai d’un mois à compter de la communication de cette information par les autorités compétentes de l’État membre d’expédition lui est accordé pour lui permettre d’apporter la preuve de la fin du mouvement conformément à l’article 20, paragraphe 2, ou du lieu où l’irrégularité a été commise.
5. Toutefois, dans les situations visées aux paragraphes 2 et 4, si, avant l’expiration d’une période de trois ans à compter de la date à laquelle le mouvement a débuté, conformément à l’article 20, paragraphe 1, l’État membre dans lequel l’irrégularité a réellement été commise vient à être déterminé, les dispositions du paragraphe Î s’appliquent.
Dans ces situations, les autorités compétentes de l’État membre où l’irrégularité a êté commise informent les autorités compétentes de l’État membre dans lequel les droits d’accise ont été prélevés, qui les remboursent ou les remettent dès que la preuve du prélèvement des droits d’accise dans l’autre État membre a été fournie.
6. Aux fins du présent article, on entend par « irrégularité » une situation se produisant au cours d’un mouvement de produits soumis à accise sous un régime de suspension de droits, autre que celle visée à l’article 7, paragraphe 4, en raison de laquelle ce mouvement ou une partie de ce mouvement de produits soumis à accise n’a pas pris fin conformément à l’article 20, paragraphe 2. »
En vertu du considérant 11 de cette directive : « En cas d’irrégularité, il convient que les droits d’accise soient exigibles dans l’État membre sur le territoire duquel l’irrégularité qui a entraîné la mise à la consommation a été commise ou, s’il n’est pas possible de déterminer où elle a été commise, dans l’État membre où elle a été détectée. Si les produits soumis à accise n’arrivent pas à leur destination sans qu’aucune irrégularité n’ait été détectée, il convient de réputer qu’une irrégularité a été commise dans l’État membre d’expédition des produits ».
L’exposé des motifs de la directive 2008/118/CE du 16 décembre 2008 permet de comprendre la portée qu’il convient de donner à l’article 10 de celle-ci.
En effet, le considérant n° 11 prend bien soin de préciser que les droits sont exigibles « dans l’Etat membre sur le territoire duquel l’irrégularité qui a entrainé la mise à la consommation a été commise ou, s’il n’est pas possible de déterminer où elle a été commise, dans l’Etat membre où elle a été détectée ».
La comparaison de diverses versions linguistiques (anglaise, espagnole, portugaise) permet de mesurer l’unicité de sens qu’il convient de donner au verbe « détecter ».
L’article 10 de la directive sur les accises distingue ainsi trois situations :
si le lieu de commission de l’irrégularité est connu, la mise à la consommation a eu lieu dans l’Etat membre correspondant ;
si ce lieu est inconnu, la mise à la consommation a eu lieu dans l’Etat membre où l’irrégularité a été constatée ;
Enfin, si aucune irrégularité n’a été constatée au cours du mouvement de produits qui ne sont pas arrivés à destination, l’irrégularité est en principe réputée avoir été commise dans l’Etat membre d’expédition.
Pour déterminer le lieu de mise à la consommation et donc quel Etat est compétent pour recouvrer les droits d’accise correspondants à une sortie irrégulière du régime suspensif il faut suivre la méthode suivante.
Dans un premier temps, il faut rechercher le lieu de commission de cette irrégularité.
Si ce lieu est connu, les droits d’accise sont exigibles sur le territoire de l’Etat membre correspondant.
Dans un second temps, si ce lieu reste inconnu, il faut rechercher dans quel Etat membre l’irrégularité a été constatée et la mise à la consommation sera réputée être intervenue dans cet Etat membre.
Il convient de rappeler que la directive 2008/118/CE est « d’effet direct » comme l’a rappelé un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 24 avril 2017 (aff. 16/02120).
Ce mode d’emploi est contraignant pour les administrations et ne devrait plus permettre aux enquêteurs des douanes de monter des dossiers à la hussarde en tapant systématiquement sur les entrepositaires agréés expéditeurs invités à payer des accises sur la foi d’un procès-verbal de notification d’infraction qui fera rarement l’objet d’un avis de mise en recouvrement officiel (AMR) ou même d’une amende de principe ou d’un passer-outre.
Ces perceptions arrachées en violation de la loi communautaire et finalement au préjudice de plusieurs pays sont intolérables mais s’accommodent très bien de la jurisprudence évoquée.
Si l’opérateur résiste, commence alors une certaine forme de chantage à la menace du retrait d’agrément mais à aucun moment la douane ne démontre sa volonté de rechercher le ou les responsables de la fraude, si fraude il y a.
L’administration des douanes a immédiatement formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Douai mais, la SARL relaxée ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, la défense n’a pas pu suivre son combat devant la Cour de cassation. L’affaire reviendra devant la Cour de Douai autrement composée mais faute de combattants qui, pour l’heure, restent relaxés. Et l’entreprise liquidée.
En résumé, la prise de position radicale de la chambre criminelle, en l’absence de la défense, favorise le dévoiement par une administration publique de la règlementation communautaire et tourne le dos à la présomption d’innocence que rappelle le Code pénal en son article 121-3 modifié par la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 :
« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d’autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait… »
Le Code pénal donne ici le mode d’emploi des situations intermédiaires qui correspondent finalement à celle que la Cour d’appel de Douai a analysée : « les éléments du dossier ne révèlent pas d’imprudence ou négligences fautives à la charge des prévenus ».
4. Les Hautes juridictions européennes.
Cette approche commune au Code pénal et à la Cour de Douai s’inscrit aussi dans la logique des arrêts de la Cour européenne qui tolère les présomptions à condition qu’elles prennent en compte la gravité de l’enjeu et préservent les droits de la défense [2].
La CEDH observe que, dans la plupart des textes internationaux ou communautaires applicables en la matière, il est fait référence au caractère proportionné que doivent revêtir les sanctions prévues par les Etats [3].
Un vieil adage dit aussi que la présomption doit s’effacer devant la certitude.
C’est ce qu’admet la Cour de Justice de l’Union européenne à l’occasion d’une question préjudicielle qui pourrait bien faire école.
« Il convient de rappeler, en premier lieu, que les États membres, lorsqu’ils exercent leurs compétences pour choisir les sanctions appropriées dans le cadre de la transposition d’une directive, doivent respecter le principe de sécurité juridique. En effet, la législation de l’Union doit être certaine et son application prévisible pour les justiciables, et cet impératif de sécurité juridique s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des charges financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (arrêt du 16 septembre 2008, Isle of Wight Council e.a., C‑288/07, EU:C:2008:505, point 47 et jurisprudence citée) » [4].
La CJUE enfonce le clou sur le respect du second principe :
« S’agissant, en second lieu, du principe de proportionnalité, il ressort d’une jurisprudence constante que, en l’absence d’harmonisation de la législation de l’Union dans le domaine des sanctions applicables en cas d’inobservation des conditions prévues par un régime institué par cette législation, les États membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées. Ils sont toutefois tenus d’exercer leurs compétences dans le respect du droit de l’Union et de ses principes généraux, et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité (voir, notamment, arrêt du 29 juillet 2010, Profaktor Kulesza, Frankowski, Jóźwiak, Orłowski, C‑188/09, EU:C:2010:454, point 29) » [5].
Cette piqure de rappel antérieure à l’arrêt commenté aurait dû inspirer la Chambre criminelle car elle est pourtant de nature à neutraliser la brutalité des présomptions en encourageant la recherche de la vérité. Elle profitera peut-être un jour aux entrepositaires agréés expéditeurs… s’il en reste encore. Leur disparition, pour le coup, ne fera que favoriser la contrebande.
En conclusion, l’arrêt de la Cour d’appel de Douai méritait un meilleur sort et la règlementation une interprétation plus conforme aux objectifs recherchés.