La Cour fixe, en effet, des règles strictes qui permettent aux accords collectifs, notamment aux conventions collectives nationales (« CCN ») (conventions collectives étendues par arrêté ministériel et ayant valeur de Loi obligatoire au niveau d’une branche d’activité) de déroger au principe juridique européen et français, de plus en plus impérieux, d’égalité de traitement.
Les faits
L’une des décisions concernait le versement d’une prime d’ancienneté prévue par la CCN de l’industrie pharmaceutique au profit des « assimilés cadres » et non des « cadres ». L’autre concernait le versement d’une indemnité de préavis et d’une indemnité de licenciement moins généreuses pour les ETAM que pour les cadres régis par la CCN du bâtiment de la région parisienne.
Les Cours d’appel avaient accueilli favorablement les demandes des salariés et avaient condamné les employeurs au versement de rappels de salaires (ou indemnités). Leur raisonnement juridique consistait à affirmer le principe d’égalité de traitement et à écarter les dispositions contraires des CCN instituant des différences de traitement entre les différentes catégories professionnelles.
Les décisions de cassation
La Cour de cassation adopte le même raisonnement juridique pour casser les deux arrêts d’appel :
Puisque les cours d’appel avaient constaté que les CCN instituaient des différences de traitement entre les différentes catégories professionnelles de salariés, elles auraient dû « rechercher si la différence de traitement résultant de la convention collective n’avait pas pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation de chacune des catégories professionnelles distinctes, définies par la convention collective ».
La Cour de cassation rappelle, en effet, que
(1) la CCN (ou l’accord collectif) ne peut organiser une différence de traitement entre deux catégories de salariés sur le seul fondement de cette différence de catégorie car
(2) toute différence de traitement entre deux catégories de salariés doit avoir une ou des raisons objectives ;
(3) Par conséquent, le juge doit contrôler que la CCN précise la ou les raisons objectives qui conditionnent la différence de traitement entre les catégories de salariés et il analyse leur réalité et leur pertinence.
La Cour de cassation précise dans les deux décisions du 8 juin 2011 quelles peuvent être ces raisons objectives ; la différence de traitement faite par la CCN est juridiquement admise si elle « a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération ».
Conclusion
Les cours d’appel de renvoi vont devoir, dans ces deux affaires, analyser les dispositions des deux CCN pour y rechercher la justification pertinente des différences de traitement constatées. Faute de trouver cette justification, les différences de traitement ne seront pas validées : les deux salariés percevront des indemnités et / ou rappels de salaires.
Mais… imagine-t-on le tsunami juridique qui s’abattra sur les milliers d’entreprises soumises à ces deux CCN à titre obligatoire ? Et les conséquences financières qui en résulteront lorsque les salariés qui y ont intérêt saisiront la justice ?
Les critères de justification possibles qu’énonce la Cour de cassation sont précis comme une feuille de route et balisent la tâche des juges :
(1) conditions d’exercice des fonctions ;
(2) évolution de carrière ;
(3) modalités de rémunération ;
(4) Mais… ils sont tempérés par l’adverbe « notamment », qui a le mérite de laisser ouverte une petite porte par laquelle les juges - et les partenaires sociaux ! - pourront faire passer leur énergie créatrice pour ajouter à la liste ci-dessus.
Conseil RH
Il est donc temps pour les partenaires sociaux de relire et d’amender les CCN qui prévoient des traitements inégalitaires entre catégories professionnelles sans les justifier de façon objective, avec réalité et pertinence.
Il est également temps pour les employeurs et leurs organisations syndicales de salariés de s’asseoir autour de la table de négociation pour amender et compléter les accords collectifs et conventions collectives d’entreprise qui ne mentionneraient pas encore les précisions objectives et pertinentes des inégalités de traitement exigées par les juges comme fondement de leur validité.
Les décisions examinées concernent des « accords collectifs », catégorie juridique qui couvre en particulier les accords collectifs négociés avec les organisations syndicales présentes dans l’entreprise ou avec un délégué du personnel désigné comme délégué syndical dans les entreprises comptant de 11 à 49 salariés.
Mais elles ne valident pas la mise en place de différences de traitement entre ses salariés par une décision unilatérale de l’employeur ou par un usage d’entreprise. Danger !
La porte ouverte par la Cour de cassation est effectivement étroite…