Le Conseil d’État, la liberté d’expression et l’ordre public : "interdiction Dieudonné".

L’interdiction de représentation du spectacle de Dieudonné n’est pas une censure mais une mesure méritée, proportionnée et légitime vu les risques de trouble grave à l’ordre public que l’autorité administrative, à laquelle incombe la police du maintien de la sécurité publique, doit prévenir. Celle-ci étant une valeur consacrée, il appartient à l’autorité publique de la garantir par tous moyens y compris par voie de référé permettant d’agir a priori.

Constamment interpellé ces jours-ci sur la question d’actualité, pas tellement épineuse, tenant à la restriction apportée à la liberté d’expression d’un certain « comique de genre », ainsi qu’à la liberté de réunion à l’occasion de son spectacle, voyons rapidement en guise d’épilogue les tenants qui saisirent en appel le juge administratif du Palais-Royal au regard de sa décision en référé qui est peu comprise bien que parfaitement justifiée en fait comme en droit.

D’aucuns s’émurent sincèrement de l’interdiction absolue d’une représentation qui se voulait être un divertissement pour le public. Et la lecture de l’ordonnance ne comporte pas de construction distinguant suffisamment, pour l’expliciter, l’unique motif prévalant pour interdire la représentation au regard de l’atteinte aux libertés publiques que cela implique.

Certes, la liberté d’expression est un principe sacré inaltérable dans une société démocratique. Mais une fois ce postulat affirmé avec toute la vigueur qu’il mérite il faut aussi concevoir les conséquences de l’usage d’une telle liberté, sans même avoir à regarder son giron de prédilection qu’enserre la loi du 29 juillet 1881.

Or, la décision du juge des référés du Conseil d’État statuant en appel, comporte toute la motivation requise, suffisante et nécessaire qui fonde légalement la mesure arrêtée dans le parfait respect des valeurs que consacre toute république. Au demeurant l’ouverture à recours sur ordonnance de référé du tribunal administratif suppose inéluctablement, édicte l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, qu’il s’agisse d’une liberté fondamentale qui soit menacée gravement de manière manifestement illégale.

La représentation en question de Dieudonné n’a pas été proprement interdite parce qu’elle excédait la mesure « légalement admissible » de l’humour, dont le registre est véritablement sans borne. La mesure n’est ni expéditive ni politique.

De facto, l’interdiction n’a été par essence prononcée qu’à titre de mesure appropriée permettant de prévenir utilement le risque prévu de trouble à l’ordre public que la police administrative ne pouvait garantir d’empêcher ni de contenir en cas de survenance dans un climat de vive tension que caractérise le magistrat au vu des éléments de la procédure soumis et discutés par les parties.

Cette appréciation d’une situation factuelle par le juge qui n’est pas infondée n’encourt par elle-même aucune critique. Constituant le motif déterminant de l’ordonnance elle est pour le juriste indemne de reproche. Ce critère que connaissent tous les référés dans les deux ordres juridictionnels ne peut donc surprendre.

La question n’est donc pas de douter que l’on puisse tout dire car cette garantie est intangible, quitte à comparaître devant l’ordre judiciaire. Par contre, dans un État de droit il appartient objectivement à celui-ci d’envisager proprio motu les conséquences puisqu’il en répond lui-même directement au premier chef pour ce qu’il y a de plus grave en cas de sinistres lors de désordres.

Le clown peut toujours dire et faire n’importe quoi mais uniquement dans les limites qu’il peut assumer et qui du reste sont toujours modestes. Concrètement, celles-ci se cantonnent au simple montant des amendes et dommages-intérêts, du moins lorsqu’il est acquitté par leur redevable…

Cela étant, ni le pitre ni l’organisateur de son spectacle ne peut effectivement garantir toutes les conséquences du dommage considérable, parfois irréparable, que peut occasionner le trouble suscité durant la représentation ou au sortir de celle-ci. C’est d’ailleurs, principalement à l’autorité administrative qu’appartient ce devoir ; ce qui implique sa fonction préventive.

Ainsi, les risques de blessures de spectateurs infligées dans un théâtre ou à l’extérieur ou aux abords de ce dernier à des tiers à l’occasion d’affrontements, d’émeutes ou de débordements de foules ne peuvent être admis fût-ce à titre d’éventualité probable.

Dès lors, c’est à l’autorité administrative de réglementer ce genre d’évènements ; ce qui n’est pas surprenant. Par exemple, des rencontres ou manifestations sportives sont fréquemment interdites lorsque la sécurité des participants est en cause.

C’est donc simplement l’ordre naturel des choses qui commande à l’espèce. Le cirque orchestré par Dieudonné n’est donc pas soumis à un traitement dérogatoire d’exception qui puisse mériter l’anathème. Ce serait artificiellement monter en épingle la victimisation grossière d’un irresponsable qui s’est toujours soustrait à ses condamnations et n’assume rien. L’État quant à lui ne peut se comporter pareillement car il aurait à réparer les conséquences ; ce que la collectivité publique - qui en définitive supporte les coûts - n’admettrait pas

L’unique circonstance notable de l’affaire est seulement, qu’en matière de représentation d’artistes-interprêtes, les prohibitions sont assez rares mais pas sans précédents. Dès qu’une possibilité de danger ou de trouble surgit, il appartient toujours au juge des référés d’intervenir a priori car c’est là son véritable office. Mais il ne s’agit jamais de censure proprement dite.

En l’occurrence, c’est l’ordre administratif qui a œuvré car était initialement en cause un arrêté de police administrative. Il n’y a donc là rien de choquant y compris quant à la performance en termes de célérité de la procédure ; le référé-liberté ayant justement pour propriété la rapidité puisque l’audiencement est prévu à quarante-huit heures et que le contradictoire est toujours de rigueur. En l’état, ce dernier a été scrupuleusement respecté puisque les avocats des intimés-défendeurs ont comparu et été écoutés en leurs arguments.

Résolument, il ne peut être reproché qu’une seule chose à l’ordonnance du Conseil d’État statuant en appel ce qui demeure accessoire. Et si l’on doit admettre que l’humoriste ait son propre style, il est évident que le juge ait le sien ; ce d’autant plus que sans vouloir faire d’élitisme le public de celui-ci est couramment plus averti sinon choisi que pour celui-là.

En lisant les décisions que nous annexons, le profane ne peut à vrai dire que confondre l’articulation du raisonnement et ne pas bien distinguer le stare decisis véritable pour se méprendre complètement sur le mérite de l’argument déterminant valablement l’interdiction. Car ce n’est pas là la liberté d’expression qui est amoindrie et encore moins sacrifiée. Ce qui repose au centre de la prohibition est l’objectif impératif de sécurité, pendante de l’ordre public que l’État doit garantir.

C’est parce que ce but estimable et compréhensible, que consacre au plus haut point la hiérarchie des normes, est la clef de voûte de la mesure adoptée en appel par le Conseil d’État qu’il est à prédire que la France ne devrait pas encourir les foudres d’une cour européenne. Ici le moyen employé est légitime et proportionné dans un État de droit, peu important à cet égard que la motivation ne soit pas impeccablement ciselée pour le crible académique.

À décharge de cette dernière, il est indubitable que le luxe de détails sur le versant relatif aux « abus de la liberté d’expression » précédemment commis par Dieudonné qui ont suscité le trouble actuel ne fait que renforcer la réalité et la consistance de l’appréciation qui qualifie l’intervention du juge de l’urgence et la mesure qu’il prononce à bon droit.

Les détracteurs de ces décisions ne pourront donc pas sérieusement soutenir que leur inspiration est de nature politique. Le juge des référés a certes indéniablement restreint l’exercice de la liberté, d’expression notamment. Ce faisant ses raisons sont pleinement fondées. Mais étaient-elles vraiment nécessaires ?

Nul ne pourra jamais le dire et cela suffit amplement en l’état.

Dieudonné pourrait alors introduire une requête en indemnisation pour discuter l’opportunité de l’interdiction et contester que l’État se soit estimé dans l’incapacité de maîtriser d’éventuels troubles ou n’ait pas cru disposer des moyens matériels et humains requis pour maintenir la paix publique quel qu’en soit le prix. Quoi qu’il en coûte, ledit comique n’en a cure car il ignore ce qu’est de payer le prix, fût-il minime.

Or le risque de trouble existait indéniablement et la constatation de ce critère est suffisamment motivée pour convaincre qu’il convenait de faire absolument l’économie d’un affrontement probable avec l’éventualité inévitable que si les choses avaient dégénéré des hommes auraient pu être blessés voire tués.

La décence, sinon l’élégance, veut que la farce s’arrête à la blessure, morale ou physique. Donc le prix du sang qui n’a jamais à être payé doit être évité.

Dans la perspective d’un contentieux au fond, le requérant se plaindrait que pour garantir l’humour noir de son soir pas assez de treillis noir n’aient eu l’humour de se voir mobiliser un soir sous leurs casques et leurs boucliers. Que penser alors de celui qui ne prétendrait divertir qu’à l’ombre d’escadrons en cohortes assumant le maintien de l’ordre…

Quoi qu’il en soit, le tribunal administratif de Paris qui serait saisi du fond de l’affaire pourra toujours relever que, quand bien même l’État aurait eu tort de ne pas consentir toute la débauche de moyens propices au maintien de l’ordre, la mise en œuvre d’un tel dispositif n’aurait jamais pu, quelle que soit l’envergure du déploiement envisagé, empêcher la survenance de dommages graves aux personnes ; ce qui est normalement prévisible dans ce genre d’évènements.

Concluons par dire qu’ayant motivé de la sorte, le Conseil d’État ne saurait être suspecté de menacer à terme le liberté d’expression. C’est là finalement l’essentiel. La justice qui n’est pas une farce a été rendue de manière estimable dans des circonstances qui sont tout à l’honneur de la faculté de discernement de ce juge d’appel que nous saluons car la tâche était difficile.

Les sceptiques, désireux d’achever de se convaincre, se donneront la peine de lire les deux ordonnances en question.

Les ordonnances Dieudonné de janvier 2014

David BOCCARA
Docteur d’État en droit
Avocat à la Cour de Paris

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Discussions en cours :

  • J’avoue avoir été stupéfait à la lecture de ce commentaire d’arrêt, qui me semble davantage relever du commentaire politique ou morale que juridique, car assez orienté je trouve...
    Tout d’abord sur la rapidité avec laquelle le Conseil d’Etat a statué ; elle doit être saluée, car après tout, cette rapidité absolument exceptionnelle est inédite au vu des dernières décennies... Dommage que l’avocat principal de l’une des parties n’ait même pas eu le temps de se rendre à l’audience...
    Sur le fond : Me Boccara semble justifier l’interdiction du spectacle parce qu’il y avait risque de trouble à l’ordre public, et que cette mesure serait légitime et proportionnée ; mais c’est oublier bien vite que l’apport de l’arrêt Benjamin de 1933 —que nous avons tous appris en 2e année de droit— était précisément que même s’il y a risque de trouble à l’ordre public, la liberté demeure le principe. Après tout, M. Benjamin avait prévu une réunion politique, ses opposants manifestaient contre elle, ce qui risquait de créer un trouble à l’ordre public, mais comme la police suffisait à maintenir l’ordre, la réunion n’avait pas pu être annulée. La liberté ne saurait donc être limitée que si les moyens de police pour maintenir l’ordre deviennent insuffisants et que l’interdiction est le dernier moyen à disposition des pouvoirs publics pour maintenir l’ordre. Or en l’espèce à Nantes, ce n’était pas le cas : à part la frustration des clients après la notification de la décision du CE, il n’y a pas eu le moindre trouble et la seule compagnie de CRS présente sur place n’a même pas eu à intervenir.
    En fait, le danger pour la liberté dans l’arrêt "Dieudonné" réside dans le fait que l’appréciation de la proportionnalité de l’atteinte a changé. Donc si on peut interdire une réunion politique, ou un spectacle, simplement à cause d’un risque de trouble à l’ordre public avant même d’envisager une autre solution pour le maintenir, cela contrevient à l’esprit même de l’arrêt Benjamin. Les conséquences de cette décision sont importantes si celle-ci venait à faire jurisprudence (et si elle ne fait pas jurisprudence, on pourra vraiment parler de justice d’exception dans laquelle la morale deviendrait le droit) et même assez graves, car rappelons que ce sont les détracteurs du sieur M’Bala M’Bala qui ont appelé à manifester pour troubler l’ordre public (Arno Klarsfeld, pourtant membre du Conseil d’Etat, ce qui met à mal la théorie de l’apparence —de l’impartialité— imposée par la CEDH aux juges...). Est-il imaginable d’interdire une réunion politique contre laquelle les militants d’un parti concurrent manifestent bruyamment, et ce au nom du risque de trouble à l’ordre public ? Cela reviendrait non seulement à punir la victime du trouble, mais à priver de parole des personnes parce que d’autres ne partageraient pas leur opinion...
    Si le sieur Dieudonné avait saisi la CEDH —peut-être qu’il le fera— nul doute que cette Cour aurait condamné une nouvelle fois la France pour violation de la liberté d’expression, vu sa jurisprudence.
    Rechercher la sécurité des gens est un but louable, mais quand cette recherche —lorsqu’elle est sincère, et non le prétexte à une lutte idéologique visant à faire triompher une morale en y soumettant le droit— a pour finalité la diminution des libertés, alors c’est l’esprit républicain qui est en danger et les libertés qu’il porte, dont l’une des plus importantes d’entre elles : la liberté d’expression.
    Après tout, Benjamin Franklin disait avec sagesse que "lorsqu’on est prêt à abandonner un peu de liberté contre un peu de sécurité, alors on ne mérite ni l’une ni l’autre, et on finit toujours pas perdre les deux"...

    • Votre argumentation est entendue.

      Mais la nuance de l’espèce réside précisément dans la circonstance qu’il s’agit uniquement d’un spectacle et non d’une réunion politique.
      Son objet est de divertir. Il y a donc un prix à ne pas exposer dont la limite varie en fonction de la nature de l’évènement.

      Il ne faut donc pas confondre avec l’arrêt Benjamin de 1933 (année prophétique...), justement.

      Il y a des distinctions :

      — Un meeting politique, qui n’est pas un spectacle stricto sensu, d’un parti régulier doit pouvoir se tenir coûte que coûte.
      Ici la citation de Franklin s’applique -mais la citation seulement (car la relation de celui-ci avec Washington notamment et son comportement "politicienne" durant l’Indépendance ne semble pas en adéquation avec sa phrase admirable).

      — Une réunion sportive ou musicale, voire celle d’un chansonnier, qui ne sont jamais que des divertissements publics admettent par nature que le prix à payer pour maintenir l’ordre ou la sécurité ne soit pas le même. Car ce n’est pas aussi essentiel.

      — Un parti, une faction, une organisation, un club interdits n’ont pas à avoir de tribune et n’auraient pas droit de libre expression.

      Enfin, c’est le type de manifestation qui doit être considéré.

      Rappelons-nous l’affaire des caricatures d’un prophète. Il s’agissait d’une publication d’un canard satirique.
      Mais ici la pure procédure de presse applicable, et notamment les mesures envisageables en référé (délimitées par Pierre Drai lorsqu’il présidait le Tribunal de Paris dans une autre parution), ressortissait alors d’un domaine où les règles de police administrative n’interféraient pas.

      La liberté d’expression/publication est parfois aussi malmenée. Furent interdits a priori : les clichés du corps d’un préfet assassiné en Corse, les photos prises lors d’un accident de téléphérique en montagne, la représentation d’un attentat dans le métro (proche du Palais), les reproductions du cadavre d’un mineur....

      L’ordre public peut donc valablement emporter des restrictions. C’est le droit.

      Ce dernier est plus sourcilleux lorsqu’est en cause un spectacle ou une repésentation.

      En somme, le débat licite proprement idéologique doit toujours pouvoir se tenir.
      Ce n’est pas le cas d’une idéologie, se donnant en spectacle fût-ce sous couvert du costume de l’humoriste, qui susciterait des troubles.

      (Quant à "l’Arno", il n’est membre du Conseil qu’au tour extérieur. Il n’a pas qualité de juge. Et le magistrat membre de la section du contentieux qui a statué le fit à juge unique en référé dans les circonstances d’un référé. Il appartient alors aux confrères qui occupent dans ces cas de se rendre disponibles comme nous devons le faire tous aussi parfois. C’est le lot de notre condition.)

    • Je partage parfaitement votre analyse et en tout point. Interdire a priori, au gré des circonstances et des émotions, apparait tant contre-productif, qu’inacceptable juridiquement.

    • Je suis ravi que nous puissions échanger nos points de vues, mon commentaire n’aura pas été vain.

      J’ai entendu votre argumentation en réplique et je dois dire qu’elle ne me convainc toujours pas, ni juridiquement, ni philosophiquement. En effet, vous distinguez en fonction de l’objet du rassemblement en question : si l’objet est d’être un meeting politique, alors la liberté d’expression devrait être plus jalousement protégée que s’il s’agissait au contraire d’un spectacle ayant pour but l’amusement. Ce point de vue mérite au moins deux remarques.
      La première est que précisément les détracteurs de Dieudonné —dont vous semblez faire partie au vu des saillies dans votre article— estiment qu’il ne fait pas de l’humour mais de la politique. Donc vouloir interdire un spectacle du coup moins protégeable selon votre raisonnement parce qu’il n’est qu’un spectacle d’amusement sous l’argument pourtant qu’il s’agit de politique déguisé me semble un peu fallacieux, pour ne pas dire franchement hypocrite. Car si ce n’est que de l’humour (car c’est un spectacle d’amusement), pourquoi ses détracteurs le prennent au 1er degré —d’où le trouble éventuel à l’ordre public— et donc pourquoi l’interdire ? Et par ailleurs, cela amène la question de la frontière : à partir de quand peut-on considérer que le rassemblement est un spectacle (moins protégeable car moins important) ou un meeting politique (plus protégeable car plus important) ? Cette distinction est dangereuse à faire parce qu’elle supprime des conditions d’objectivité au profit de la subjectivité du juge qui risque de juger en fonction de son opinion politique, son idéologie, ou de sa sensibilité... Et on retombe sur la problématique de la théorie de l’apparence et l’impartialité du juge...
      Ce qui m’amène à ma deuxième remarque : vous le savez comme moi, "il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas", or c’est ce que fait le Conseil d’État et c’est ce que vous faites vous. Vous opérez une distinction jamais prévue ni par les textes ni par la jurisprudence à ma connaissance, d’où d’ailleurs l’étonnement de très nombreux juristes (dont moi) et de professeurs de droit public quant à la décision... Sans compter les risques que peut amener la nécessité de faire une telle distinction et que j’ai déjà exposés. La liberté d’expression n’est pas censée être à "échelle" si j’ose dire... Du reste, en admettant que l’on fasse une distinction, il ne me semblerait pas judicieux de placer sur le même plan un match de foot et un spectacle de "fou du roi".

      Vous dites également que la liberté d’expression est fréquemment malmenée, comme si cela justifiait qu’on la malmène davantage, mais c’est justement pour cela que la France est si souvent condamnée par la CEDH ; le troisième pays le plus condamné pour l’atteinte à cette liberté, comme il l’a été rappelé récemment par les détracteurs politiques de la décision du CE. Si cela n’indigne pas, cela laisse au moins songeur... D’ailleurs, vous savez que la Cour n’admet que très difficilement des restrictions à la liberté d’expression pour protéger la morale, et plus généralement elle tolère à peine les limites à cette liberté (affaire Isorni contre France avec condamnation de cette dernière par exemple). Si cette affaire devait aller devant la CEDH, je pense que cette dernière condamnerait la France. Et je suis d’accord avec elle : au delà du fait qu’il ne faudrait même pas faire de distinction selon l’objet du rassemblement à l’occasion duquel on s’exprime, je pense que l’ordre public ne devrait pouvoir justifier une telle restriction à la liberté d’expression que lorsque toutes les mesures alternatives ont échoué. C’était toute la sagesse de l’arrêt Benjamin que l’on a abandonné. Or en l’espèce, je l’ai dit, il n’y a pas eu trouble, et si trouble il y aurait eu, il aurait été gérable par la police, donc l’interdiction n’aurait pas dû être de mise. Trouble d’ailleurs qui serait venu des détracteurs de M’Bala M’Bala ; donc interdire ce dernier revient en équité à punir la victime et récompenser les fauteurs de troubles.

      Quant à "Arno", il n’est certes qu’au tour extérieur, mais il fait partie de la juridiction. La France a dû renommer ses "commissaires du gouvernement" en "rapporteurs publics" à cause de la théorie de l’apparence de la CEDH, imaginez maintenant ce que cette dernière penserait d’une atteinte à la liberté d’expression au nom de l’ordre public venant d’une juridiction dont l’un des membres (certes non juge de l’espèce) a publiquement appelé au trouble à l’ordre public pour faire interdire au nom de sa morale à lui...

      Cordialement.

    • Notre échange est effectivement intéressant à plus d’un titre car justement, je suis complètement de votre avis, à une infime nuance près qui concrétise notre divergence.
      Mais ce n’est là qu’un "détail" que je vais m’efforcer encore de préciser.

      - I - Contrairement à ce que vous pensez, étant moi-même amateur de mauvais goût Dieudonné m’amuse. Et lorsqu’il est "border line", je conçois que c’est le risque.
      Je suis personnellement contre la loi Gayssot et pense qu’il vaut mieux laisser un Faurisson s’empêtrer dans ses inepties avec lesquelles il creusse sa fosse tout seul avec un talent qu’il ignore.

      S’il est un reproche que Dieudonné mérite c’est ce lamentable manque de courage qui le poussse à se soustraire à ses condamnations.
      Il n’est certes jamais agréable de perdre, ne serait-ce que pour l’ego, mais celui-ci s’affirme en assumant les conséquences.
      C’est là cause seule de ma critique, car ce comportement déçoit profondément.

      On peut dire tout et n’importe quoi, à notre époque, mais il faut alors accepter le prix ; ce n’est que de l’argent.

      La provocation est un art qui sied mal avec la mesquinerie ! Elle est acceptable, voire louable, lorsqu’elle n’est pas vile.
      Or la pingrerie, l’esprit de resquille d’un individu desservent toujours celui dont ils émanent.

      M’étant situé par rapport au personnage pour lever toute ambiguïté, voyons ce qui lui vaut l’interdiction de spectacle.

      Le spectacle n’est pas toujours aisé à discerner et le sera sans doute encore moins à l’avenir avec les "performers" en tous genres.
      Mais quand il y a billetterie et affiche en tant que telles, c’est sans aucun doute un spectacle, donc soumis aux règles de police administrative régissant les regroupements dans les lieux publics.
      Un match de football en est un, tout comme une course de côtes.

      À l’inverse, que Dieudonné ne vende pas de billet et tienne meeting à Nantes ou Orléans -dans des conditions respectants les normes de sécurité du public- sa liberté d’expression ne tenant plus alors du pur spectacle, n’étant ni de nature artistique ni à finalité commerciale, l’État devra mettre tout en oeuvre pour permettre cette réunion.

      Vous parlez d’absence de distinction dans notre ordre normatif. Or au contraire, la distinction existe c’est notre outil privilégié surtout en la matière. C’est ce dont est fait ce droit pragmatique et sensible qui ne s’enseigne pas mais que nous fabriquons.

      Je suis un tenant du free speech vous avez le droit de bruler le drapeau, de détruire vos livrets de conscription, de faire une blague mortelle dans un cinéma et même de planter des croix du KKK dans un jardinet. Pire, contra legem, j’admets que l’on kidnappe des nains de jardinet dans un esprit de farce. Tous ces exemples sont bien connus...

      Toutefois, il est une limite : il ne faut pas que ce faisant - n’importe quoi (pour se divertir ce qui est "humain) - on expose autrui à un péril.

      D’un autre côté, il faut percevoir que l’on puisse parfois avoir à payer le prix de son propre sang pour ses idées.
      Mais alors cette exigence implique que ce sacrifice ne soit jamais exigé de quiconque pour un simple spectacle, un amusement.

      L’impératif de sécurité est également garanti. Ce n’est pas un prétexte.

      Quant à situer une gradation thématique comme je le fais, vous peser vous même qu’il ne faudrait pas mettre sur le même plan un match et un amuseur.
      Pour ma part, je ne distingue que ce qui est un spectacle de ce qui ne l’est pas ; ce qui demeure encore pour l’instant assez aisé.

      - II - Ensuite, vous portez le débat sur le terrain d’appréciation en opportunité.
      Peut-être avez vous raison. C’est là la véritable question : l’unique.
      L’appréciation factuelle qui semble pour ma part motivée quant à son existence, ce qui ne préjuge pas du bien fondé mais seulement du contrôle de légalité inhérent à la décision, appartient souverainement au juge mais à celui qui statue au fond.

      Peut être qu’à terme, une juridiction supra-nationale estimera le contraire, peut-être...

      Mais mon expérience des référés de cette sorte me permet de considérer que l’appréciation qui a été réalisée en l’espèce est conforme à ce que l’on fait habituellement dans ces circonstances.

      Ici le juge administratif y a porté une atteinte qui est en deça de ce qu’admet communément son homologue judiciaire qui parfois censure la diffusion pour son contenu intrinsèque. Mais dans l’affaire Dieudonné ce qui est remarquable est que ce n’est pas une censure proprement dite. À cet égard, il eût été pertinent pour prévenir une telle interdiction de se rapprocher des autorités administratives pour concevoir de concert une meilleure organisation ce qui -soit dit en passant - est encore plus compliqué que de soutenir une QPC qui se tienne..... Ce qui est précisé quitte à articuler cette mesure avec un référé.

      (Quant à "l’Arno", ne lui donnons pas trop d’importance, il fait avec moins de maestria ce que Dieudonné fait aussi. Nous avons là deux professionnels patentés de la communication dans des registres divergents dont l’un ne prévaut pas sur l’autre. Mais je préfère nettement l’humour du second bien qu’il se dise que l’autre pourrait avoir un aussi certain succès au Palais-Royal...)

    • Votre dernier mot est impropre. Car le droit n’est pas ce donné pré-construit inaltérable qui s’appliquerait in abstracto et descendrait du néant pour régir, mouler, la réalité dans la masse d’airain qu’un Dieu nous aurait imposé dans les foudres que vous vous seriez imaginées.

      C’est nous misérables mortels qui fabriquons le droit, comme nous le pouvons.

      Vous, André-Charles, oui, vous ! qu’auriez-vous fait ?

      En la circonstance, puisque nous n’y étions pas, acceptons le postulat de risques probables d’affrontements.

      Alors, fallait-il vraiment exiger que les préfets prescrivent l’envoi de blindés de la gendarmerie-mobile pour calmer les esprits échauffés...

      N’oublions pas que ce n’était qu’un spectacle visant à divertir.

    • Le dialogue continue, et j’en suis toujours aussi heureux. Je trouve également notre échange très intéressant, et je suis ravi de voir que vous êtes complètement de mon avis, à "une infime nuance près".

      Vous dîtes être amateur de Dieudonné, c’est votre droit, et je pense dans ce cas que vous le cachez bien. Vous êtes également contre la loi Fabius-Gayssot (nom complet de cette loi si je ne m’abuse), et c’est votre droit, et il est vrai que le défenseur de la liberté d’expression que je suis trouve cette loi scélérate, et hypocrite au vu de la dernière jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui avait censuré la loi pénalisant la négation du génocide arménien. Peu importe ce que dit le sieur Faurisson, c’est une question de principe républicain et de liberté fondamentale. Mais ce n’est pas notre sujet.

      J’ai en revanche beaucoup moins compris le manque de courage que vous reprochez au désormais célèbre sieur M’Bala M’Bala : que l’on soit d’accord ou pas avec ce qu’il dit, que l’on considère cela comme du premier ou du second degré, le fait est qu’il a pris le risque de se prendre en pleine poire —pardonnez cette familiarité— la fameuse pensée unique et les puissantes associations antiracistes, et d’en pâtir socialement. Le non-paiement des amendes que vous lui reprochez ne semble, à mon sens, n’être qu’une provocation de plus, non un manque de courage. Mais ce qui m’a surpris dans votre point de vue, c’est que vous dîtes que ce non paiement est la cause seule de votre critique, car vous êtes déçu de l’homme. Si j’ai bien compris, vous essayez de justifier dans un commentaire d’arrêt une décision dont vous partagez mon analyse quand je dis qu’elle est juridiquement injustifiable, simplement parce que Dieudonné ne paie pas ses amendes ? Vous savez pourtant qu’il existe des procédures et des voies d’exécution pour faire exécuter des jugements passés en force de chose jugée et revêtant la formule exécutoire... Nul besoin d’une "vengeance" de la justice par la voie d’une interdiction par voie de police administrative...
      Et personnellement, pour en finir sur ce point, je suis d’accord avec vous lorsque vous dîtes qu’il est noble de payer le prix du sang pour ses idées, mais cela ne devrait pas être le cas en démocratie qui est justement fondée sur la possibilité d’exprimer ses idées (la liberté d’expression étant l’un des fondements essentiels de la démocratie selon la CEDH dans son fameux arrêt Handyside c/ RU) sans avoir à en payer le prix du sang ! Cela revient à admettre que toutes les opinions ne sont pas admises et que l’État de droit est à deux vitesses ! Et devoir payer de l’argent pour dire une chose est en soi choquant, car ce n’est pas l’argent qui importe, mais l’idée qu’il représente une peine pour punir une opinion, aussi stupide qu’elle puisse paraître...

      Sur la distinction entre spectacles et meetings politiques, je vous avait dit qu’"il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas" ; que pourtant c’est ce que faisiez le Conseil d’État et vous même ; que vous opériez une distinction jamais prévue ni par les textes ni par la jurisprudence. Je disais qu’en opérer une poserait la question de savoir comment la faire, sur quels critères (avec le risque des critères subjectifs et moraux par définition ennemis du droit et de l’objectivité), et amènerait nécessairement le risque d’une insécurité juridique supplémentaire créant un flou dont les libertés et nous autres praticiens nous serions bien passés. Vous proposez le critère du paiement d’un prix d’entrée, avec billetteries et affiches publicitaires, et j’avoue qu’un instant votre idée m’a séduit. Toutefois, deux remarques s’imposent. D’une part, on peut faire passer un message politique subliminal dans un spectacle d’amusement (reproche fait à Dieudonné), or ce message serait moins protégeable selon vous (l’interdiction étant plus facilement envisageable) que celui passé dans un meeting, alors qu’il s’agit là de deux opinions ? Je pense que le bon sens et la défense des libertés commandent de ne pas limiter les lieux dans lesquels les opinions des uns et des autres peuvent être émises. Et au risque de me répéter encore ; "il n’y a pas lieu de distinguer là ou la loi ne distingue pas", ce que vous faites...
      D’autre part, laissez-moi vous faire remarquer que pour entrer dans certaines conférences ou forums littéraires, il faut payer un prix d’entré, un billet, une participation, et pourtant ce ne sont pas des spectacles d’amusement ! Et, comble du comble, c’est également le cas lors de certains meetings politiques (comme les universités d’été) si je ne m’abuse ! Le critère de distinction que vous proposez n’est donc pas valable car il ne permettrait même pas de distinguer le spectacle du meeting politique.
      Admettez-le, faire une distinction meeting/spectacle d’amusement quant au régime de police à appliquer n’a aucun sens, et d’ailleurs, en toute franchise, je pense que ce n’était même pas l’intention du Conseil d’État. C’est davantage un argument sorti par vous en désespoir de cause pour justifier une erreur injustifiable. Le CE s’est contenté de juger précipitamment en fonction de sa sensibilité morale pour punir un homme qu’il considère être antisémite. Et pour cela, il a mis fin au sage arrêt Benjamin qui posait l’interdiction comme la mesure de la dernière chance. Je ne peux que vous exhorter, cher Maître, à ne pas défendre une erreur, car même les profanes ont vu que la morale a fait plier le droit, or vous le savez : "le droit n’est pas la morale" pour des raisons évidentes...
      Enfin, je ne suis pas convaincu que l’impératif de sécurité justifiait l’interdiction, car il n’y a pas eu trouble, et il n’y avait même pas de manifestation anti-dieudonné ce jour-là. Et s’il y en avait eu une, la police aurait suffit à maintenir l’ordre. L’interdiction n’était donc pas de mise, au vu de l’arrêt Benjamin, donc l’atteinte est à mon sens gravement disproportionnée. L’interprétation de la situation qu’a fait le juge était partiale, et il l’a fait pour des raisons morales. Et parce qu’il a utilisé l’interdiction comme première mesure sans se demander si la police suffisait à maintenir l’ordre, il a mis fin à la jurisprudence Benjamin.
      Cet arrêt Dieudonné est pour moi un arrêt liberticide qui est une honte pour le droit administratif français.

      Quant au juge judiciaire, il juge avec un droit différent (le droit privé : pénal pour les atteintes à l’honneur, les diffamations, injures publics et autres incitations à la haine raciale ; et civil pour les droits à l’image et à la vie privée) des problématiques différents pas comparables aux mesures de police et à l’ordre public et toujours a posteriori. Mais c’est un autre débat que je serais ravi d’avoir.

      Cordialement.

    • Nous allons finir par nous mettre d’accord vous allez voir...

      Personnellement, si j’avais eu à statuer, je l’aurais sans doute fait dans les termes du premier juge des référés Du tribunal administratif de Nantes ; qui fut par la suite infirmé, vous le savez, pour un motif factuel dont on peut certes douter mais qu’en définitive nous devons accepter pour le motif qui en traite.

      N’ayant pas pas, en effet, occupé sur le dossier je ne puis que faire crédit au juge d’appel qui a retenu le risque de trouble qualifié.

      Celui-ci était-il avéré ? Je l’ignore en définitive, nul ne peut savoir. Mais ce considérant factuel qui est suffisamment détaillé existe et doit permettre de supposer valablement que le juge d’appel a fait son travail ; il ne manque pas de base légale à sa décision sur ce point précis et donc il n’y a pas de critique formelle sur cette appréciation.

      Et si l’interdiction était une vengeance nul doute qu’elle serait absolument inadmissible.

      Je conçois certes que le fait de se soustraire à ses amendes puisse être une provocation supplémentaire, ce qui est parfaitement envisageable. Mais alors, il eût mieux convenu de le revendiquer. Peut-être que Dieudonné l’a du reste fait, je l’ignore, il faudrait en tous cas qu’il le fasse mieux entendre... Cela est toutefois hors débat.

      Ensuite, sur le critère de disctinction à raison du spectacle, qui n’est jamais que divertissement.
      Le paiement du billet n’est qu’un accessoire car il est certain qu’un meeting politique puisse exiger un prix d’entrée.

      Donc c’est le caractère proprement de représentation publique d’un spectacle (à distinguer de la diffusion ou publication qui ne ressortissent que de la loi sur la presse) qui prime car il soumet à autorisation administrative préalable.

      Est-ce là une disctinction que le loi ne prévoit pas ?

      Oui, vous avez raison, la liberté d’expression ne le prévoit pas dans son détail car elle n’a pas à le faire en tant que tel. Mais, entendu largement, la Loi, et notamment les dispositions afférentes au juge des référés qui figurent au Code des juridictions adminstratives induisent clairement de telles restrictions à titre de droit commun du référé adminstratif ; ce que connaît aussi le processualiste civiliste.

      Cette nuance prime donc au regard des exigences administrativistes qui s’imposaient au juge des référés administratif.

      Qu’aucun enseignant de droit public ne le dise ne m’étonne pas car ceux ferrus de libertés publiques ne sont pas spécialistes de contentieux administratif. Et le privatiste pur de presse ne saurait non plus en connaître car il pratique peu l’ordre administratif.

      En vértié, on le voit aisément, l’espèce Dieudonné est à la croisée entre droit de la presse/liberté d’expression & autorisation admnistrative d’évènements publics.

      Toute la difficulté vient donc que le crible administrativiste se soit appliqué, comme en matière de réunion sportive (foot, courses de voitures etc...), pour avoir "chapeauté" ici la loi de 1881.

      Vous dites que, cela étant posé, j’aurais dissocié artificiellement en tentant de sauver la décision du Conseil d’État qui ne l’aurait pas posé comme tel ou ne l’aurait pas pensé ainsi.

      Peut-être... Mais voyez que c’est la raison pour laquelle je fais grief à cette décision son manque de hiérarchisation puisqu’elle passe pour une censure alors qu’elle n’est qu’une interdiction ad hoc.

      Cela étant, il faut admettre deux choses : Les caractéristiques que sont la représentation publique et le divertissement, d’une part, ET l’arrêt Benjamin -qui n’est pas désavoué-, d’autre part, permettent résolument de comprendre la logique juridique du Conseil d’État qui se tient techniquement dans ce dossier.

      C’est l’unique chose que je soutiens. J’admets en effet que le juge ait pû être abusé à bon compte par le ministère de l’intérieur mais il n’y a rien d’objectif qui permette de croire qu’il y ait une erreur volontaire ou une intention délibérée de sa part de faire taire Dieudonné. Ce serait là un procès d’intentions d’autant plus mauvais qu’il est inutile de pousser aussi loin la suspicion qui n’est pas assez suffisamment bien étayée.

      Il est, néanmoins, possible que vous ayez raison.

      Toutefois, vous êtes aussi assez clairvoyant -on le voit par votre argumentation poussée- pour comprendre que la distinction opérée par ledit Conseil, à raison d’un trouble à l’ordre public à l’occasion d’un divertissement, ait pu déterminer en appel une restriction compte tenu du fait que les pouvoirs de police administrative s’estimaient dans l’incapacité d’y remédier.

      En juridiction, la mauvaise foi n’est jamais ignorée. Elle est un outil des parties que celles-ci doivent toujours prévenir.

      Dès lors, il fallait mettre les pouvoirs publics en mesure de ne pas éluder trop commodément, comme ils le firent avec succès, leurs propres devoirs : maintenir l’ordre.

      Il fallait donc que les intimés s’y reprennent à deux fois et sollicitent à nouveau des dates à Nantes & Orléans auprès des préfectures pour que le spectacle "Le Mur" puisse se tenir dans des conditions propices où les services de maintien de l’ordre auraient -enfin- pu garantir la sécurité publique.

      On peut alors créditer les représentant de l’État d’une certaine mauvaise volonté de circonstance. Ce qui est, reconnaissons-le, le jeu de tout adversaire surtout lorsqu’il s’agit des services de l’Intérieur...

      Mais cette éventualité peu surprenante est indifférente. Car en s’y prenant suffisamment de temps à l’avance nul doute qu’une demande, sous forme de réclamation préalable au préfet, dans les formes contentieuses, aurait permi au juge administratif -statuant en référés- de qualifier un refus illicite résultant non d’une incapactié matérielle mais d’une volonté délibérée de ne pas permettre de garantir la sécurité publique à l’occasion d’un spectacle. Et là il faut prévoir loin car il est à craindre qu’il faille attendre le refus implicite....

      Il n’est pas étonnant que les universitaires ne perçoivent pas ainsi les choses comme vous le rapportez. Il s’agit là d’une matière processuelle administrativiste ayant l’inconvénient de toucher à la liberté d’expression qui est enseignée de manière tellement abstraite en méconnaissance complète du régime de 1881, qui n’est même pas abordé en filière de droit privé (...), que les praticiens ont à découvrir tous seuls, in situ, les tenants & aboutissants qu’ils peinent ensuite à faire comprendre à leurs semblables. C’est d’autant plus hardu lorsqu’il s’agit d’expliciter une décision administrative en la matière.

  • Je me réjouis de constater que certains internautes ont réagi défavorablement à votre article. Vous ne faites pas preuve d’objectivité.

    Souvenez-vous de Voltaire : "Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire."
    La liberté d’expression permet même à des gens comme vous d’essayer de pratiquer la désinformation.

    Malgré toute votre réthorique, vous ne m’avez pas convaincue....

    • par DDBLAW , Le 22 janvier 2014 à 19:40

      Dommage que nous ne nous comprenions toujours vraiment pas.
      Mais je ne désespère pas et en tous cas il ne faut pas se réjouir...

      Objectivement, le juge d’appel du Conseil statuant en référé, n’a pas proprement censuré le droit de libre expression de cet humoriste qu’il rappelle en tant que principe dans son ordonnance. Pourquoi vouloir lui faire dire le contraire !

      Et le mot de Voltaire n’est discuté par personne.

      C’est uniquement à la faveur des circonstances qu’il a appréciées en appel, qu’il a estimé que l’arrêté administratif était finalement licite.
      Avait-il tort ou pas, cette appréciation factuelle lui appartenait et il était mieux renseigné que nous puisqu’il tenait l’audience.

      Qu’est-ce à dire que vous ne voulez donc pas comprendre ?

      Il ne s’agit pas de faire taire Dieudonné. Mais uniquement de s’assurer que son spectacle puisse se dérouler normalement sans danger, ce qui sied à un divertissement.

      Et ces deux ordonnances n’interdisent pas le spectacle "Le Mur" en tant que tel mais seulement les conditions dans lesquelles il devait se tenir lors des représentations à Nantes & Orléans telles qu’elles étaient prévues quant aux modalités organisationnelles applicables à l’instant considéré.

      Comment vous le dire avec des mots simples ?

      Ce spectacle n’avait pas à être abandonné. Je m’interroge d’ailleurs de la rapidité avec laquelle Dieudonné l’a lui-même aussi rapidement sabordé mais ce droit lui appartient et il dérive au premier chef du droit de l’auteur de divulguer ou faire ce qu’il veut de sa création dans les conditions qu’il choisit.

      Il ne faut pas penser que le Pouvoir lui aurait intimer l’ordre de se taire. C’est faux !

      Que devaient faire les organisateurs ? Remettre à plus tard le projet après avoir étudié de concert avec les préfectures concernées, ainsi que celles du siège des autres tournées, les conditions permettant effectivement de prévenir les risques de troubles ; et ce sous contrôle du juge administratif - au fond - qui aurait alors à dire si l’Etat jouait correctement le jeu. Car, en effet, ne nous voilons pas, une certaine mauvaise grâce des pouvoirs publics est à envisager.

      Un spectacle ne dépend pas seulement de la liberté de la presse qui elle permet une vraie censure.

      C’est parce qu’une telle réunion implique une autorisation a priori de police administrative que le juge administratif peut interdire la tenue d’un spectacle mais non le contenu de celui-ci ; ce qui n’appartient qu’au tribunaux judiciaires qui sont beaucoup plus sélectifs.

      C’est parce que ce spectacle se tient en public que son traitement connaît des exigences supplémentaires que n’aurait pas à subir par exemple une radio-diffusion ou une publication sur le net d’un enregistrement de celui-ci car aucun participants ne serait exposé.

      Prenons un autre exemple : si les caricatures d’un éminent prophète, pourtant déjà librement parues dans la presse, étaient exposées cette représentation susceptible de causer un trouble à l’ordre public par les désordres occasionnés par des constestataires seraient interdite, en vérité différée jusqu’à ce que les pouvoirs de police trouvent le moyen de préserver la paix publique.

      Il n’y a rien de politique mais seulement que la nature d’une représentation publique expose à plus de précautions par les risques qu’elle fait encourir aux participants, spectateurs, usagers de la voie publique et autres tiers.

      Me comprenez-vous ou toujours pas ?

      Dans les espèces de Nantes & Orléans, il n’y a donc qu’une impréparation.

      On peut seulement douter de l’incapacité réelle des pouvoirs publics mais rien de plus et cela ne prête pas à conséquence.
      D’ailleurs cette impuissance de l’Etat s’illustre ailleurs puisque l’on peut être attéré que le Trésor public ne parvienne pas à recouvrer des amendes sur l’artiste en question ; ce qui assez drôle en fin de compte et suffisamment évocateur d’un système relativement libéral.

      Le Prince est un incapable ! Mais ne voyez pas dans les juridictions un laquais. Car vous n’avez pas épuisé toutes le ressources de votre discernement pour que vous puissiez vous permettre de le dire.

      Certes, vous pourrez toujours le faire et la critique est toujours bonne même mauvaise.

      Cependant, ne croyez pas qu’on ne veuille pas vous entendre.

      In fine, la formation d’appel a peut être été abusée par le Ministère de l’intérieur en surestimant le caractère ingérable des risques de troubles.
      C’est à craindre mais la motivation des ordonnances permet de dire que cet aspect a été considéré par le juge qui en a été convaincu.

      Il y a donc un doute mais pas un complot ni une menace pour la liberté d’expression.

      D’ailleurs, si vous voulez vous prémunir d’un tel risque, ne vous exprimez jamais de telle manière qu’il vous faille solliciter une autorisation adminitrative préalable...

  • Concluons par dire que David, comme la célèbre étoile, ne saurait suspecter le Conseil d’État de menacer à terme sa liberté d’expression. C’est là finalement l’essentiel, même si cet article est une farce qui ne fait guère honneur à la faculté de discernement de son auteur.

    • Comprenez le bien. Ce n’est pas le Conseil d’État qui à terme est susceptible de porter atteinte à la liberté d’expression mais les conséquences de l’exercice d’une liberté d’expression qui susciterait un trouble à l’occasion d’un spectacle soumis à la police administrative.

      Il en serait de même si lors de cette représentation les gradins du public n’étaient pas conformes....

      Et il incomberait alors au juge de qualifier ce risque caractérisé dans le cadre d’une représentation, et non d’une réunion politique ni d’une plaidoirie précisément, pour interdire un tel spectacle.

      (Sur la très fine allusion -du reste manquée- à mon prénom (...), je ne dois pas celui-ci à l’étoile mais à un ami de mes parents officier de la Home fleet compagnon de Winston).

  • Merci pour cet article, c’était vraiment instructif.

    • On critique beaucoup ces décisions. La raison est qu’il s’agit de la liberté d’expression trop idolatrée par ceux qui n’y connaissent rien mais tiennent à parler, pour s’exprimer évidemment.
      Et les atteintes qui sont actuellement acceptées quant à la liberté de réunion, mais qui ne l’était pas au XVIIIème siècle, passent encore...
      Ce n’est pas le moindre des paradoxes.

      Pour preuve, les interdictions de matchs de foot, de concerts, de courses mécanisées sont admises car elles sont courantes.
      Pour celles-ci, les interdictions motivées par les considérations de sécurité publique ne suscitent aucun émoi.
      Quanrt aux corridas, elles mettent en cause d’autres justifications.

      Mais au motif que l’évènement prohibé ne soit pas celui d’un chanteur ou d’un sportif, mais d’un comique s’exprimant oralement, la liberté d’expression serait absolue...

      Ainsi, celui qui n’admet pas l’interdiction d’un "humoriste" ne verrait aucun problème à celle d’une pièce de théatre.
      Pire, plus le genre du spectacle interdit serait éloigné de la sphère artistique et parlée, plus l’interdiction administrative serait aisée à acceptée.

      Mais le droit administratif ne distingue pas en fonction de la nature du spectacle public.
      Et là le juges des référés, qu’il soit administratif ou judiciaire, n’a pas à le faire et ne le fait pas.

      C’est parce qu’il s’agissait d’une représentation visant à divertir que l’objectif sécuritaire a prévalu.
      Il y a certes une atteinte à la liberté d’expression mais en substance le contenu de celle-ci n’était pas fondamentale, à la différence de ce qu’implique une réunion politique. Or celle-ci n’est pas un "spectacle" proprement dit dont le but est l’amusement.

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