Marques géographiques : deux lois cette année qui vont impacter votre politique de marque.

Par Mathilde Ponchel, CPI et Pauline Raymond, Stagiaire.

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Explorer : # indications géographiques # droit des marques # politique de marque # opposition à l'enregistrement

Révision du système de la marque communautaire, loi Hamon, loi d’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt… 2014 est une année faste pour la propriété industrielle.
L’attention du législateur français s’est principalement portée sur les indications géographiques et la procédure d’opposition. En effet, ces deux lois viennent sensiblement modifier le droit en vigueur : la loi Hamon, adoptée en début d’année, et, la loi d’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt, en cours d’approbation au parlement.
Quels sont les changements ?

-

1/ Extension des produits concernés par les indications géographiques :

L’une des modifications apportées par la loi Hamon au Code de propriété intellectuelle concerne la création des « indications géographiques protégées des produits industriels et artisanaux ».

En effet, jusqu’ici existaient :

*Les Appellations d’Origine Protégée (AOP) ou Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) qui désignent des produits bruts dont toutes les étapes de fabrication, de production et de transformation sont concentrées dans la même zone géographique. Exemples d’AOP : Champagne, Noix de Grenoble, Miel de Corse, Piment d’Espelette… et se limitaient à l’agro-alimentaire.
*Les Indication Géographique Protégée (IGP) : Une IGP distingue des produits alimentaires dont seulement une des étapes –pas toutes- a eu lieu dans une zone géographique précise. Exemple : canard à foie gras du Sud-Ouest.

Désormais, à côté de ces AOP et IGP dites « alimentaires », certains produits non alimentaires pourront faire l’objet d’une protection similaire. En effet, l’article 721-2 du Code de propriété intellectuelle, introduit par la loi Hamon, crée une nouvelle catégorie : les Indications Géographique protégeant des Produits Industriels et Artisanaux (« IGPIA »). Celles-ci sont définit comme « la dénomination d’une zone géographique ou d’un lieu déterminé servant à désigner un produit, autre qu’agricole, forestier, alimentaire ou de la mer, qui en est originaire et qui possède une qualité déterminée, une réputation ou d’autres caractéristiques qui peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique les IGPA vont protéger »
Ces IGPIA concernent n’importe quels types de produits manufacturés (couteau, porcelaine, dentelles, verres etc…), à partir du moment où ceux-ci sont originaires d’une zone géographique particulière et qu’ils présentent certaines caractéristiques essentiellement attribuées à cette origine (qualité, réputation, etc…). Exemple : la dentelle du Puy.

Comme l’ensemble des indications d’origine, la protection de ces IGPIA est soumise à l’homologation préalable d’un cahier des charges. Il faudra donc attendre a minima fin 2014 pour voir les premières IGPIA voir le jour.
Côté AOC/IGP alimentaires, la loi sur l’avenir de l’agriculture, de l’alimentation et de la forêt prévoit de faciliter la reconnaissance des AOC/IGP alimentaires en simplifiant notamment le mécanisme d’homologation du cahier des charges et le rôle de l’Institut National de l’Origine et de la Qualité (INAO).

2/ L’ouverture de la procédure d’opposition à l’enregistrement d’une marque à d’autres droits antérieurs :

En matière de droit des marques, l’ensemble de ces indications d’origines constitue autant d’antériorités pouvant faire obstacle à l’enregistrement de marques postérieures.

Si le nombre d’indications géographiques risque d’augmenter sensiblement ces prochaines années, la plupart de ces antériorités étaient déjà prévues à l’article 711-4 du CPI. Les conditions de disponibilité du signe ne sont donc pas fondamentalement modifiées par les récentes législations.

En revanche, la disposition qui modifiera sensiblement la pratique du droit des marques, est l’ouverture de la procédure d’opposition.

En effet, jusqu’à présent, seul le titulaire d’une marque antérieure pouvait initier une procédure d’opposition afin de faire reconnaitre l’antériorité de son droit. Les titulaires d’autres droits antérieurs ne disposaient que de la procédure judiciaire d’annulation ou de la possibilité de déposer des observations de tiers auprès de l’INPI (observations que l’INPI peut ou non prendre en compte dans le cadre de l’examen de la demande de marque).

Or, les deux lois évoquées plus haut ont toutes deux pour but d’ouvrir à ces antériorités la procédure d’opposition, jusque-là réservée aux seuls titulaires d’un droit de marque antérieur. Désormais, les titulaires desdites antériorité pourront agir au moment du dépôt.

Ce qui change ce n’est donc pas le fond mais le médium, la procédure, par laquelle ces antériorités pourront être prises en compte.

Ainsi, la loi Hamon prévoit que la procédure d’opposition pourra être initiée :

-  Par un organisme de défense et de gestion, sur la base d’une IGPIA, à l’encontre une marque désignant des produits similaires.

-  Par une collectivité territoriale, dans le cas d’un risque d’atteinte au nom ou à la réputation d’un nom de collectivité territoriale.

Le projet de loi sur l’avenir de l’agriculture, prévoit, quant à lui, l’ouverture de la procédure d’opposition :

-  Au directeur de l’INAO, dans le cas d’un risque d’atteinte à l’image, à la réputation ou à la notoriété d’une AOC ou d’une IGP. A l’heure actuelle, les débats s’orientent vers une possible ouverture de ce droit d’opposition à l’encontre de toutes demandes de marque y compris celles désignant des produits non similaires aux AOC/IGP.
Cette ouverture de la procédure d’opposition est donc restreinte à certains acteurs (Organisme de défense, directeur de l’INAO, collectivité territoriale) et à certains cas, dont celui du risque d’atteinte au nom, à l’image ou à la réputation.
Or, cette notion est particulièrement subjective et les tribunaux font preuve d’une interprétation fluctuante en matière de droit au nom de la collectivité territoriale.
A titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris a pu juger que la marque « Paris l’été » portait atteinte au nom, à l’image ou à la renommée de la ville de Paris [1]. A l’inverse, la marque Laguiole ne portent pas atteinte à la commune du même nom [2] Pour en savoir davantage : http://www.ip-talk.fr/2014/05/13/couteaux-tires-la-saga-laguiole/

Dans l’immédiat, ce sont les collectivités territoriales qui devraient être les plus réactives, notamment grâce à la procédure d’alerte (nouvel article L. 712-2-1 du CPI), mise en place par la loi Hamon, qui permet à toute collectivité territoriale de demander à l’INPI d’être alertée dans le cas où un dépôt de marque reprend son nom. Soulignons, au passage, que ce mécanisme d’alerte n’est autre que ce que les praticiens appellent une surveillance de marque. A la différence que ces surveillances sont mises en place par les titulaires de marque, à leurs propres frais, et pas prises en charge par l’INPI.

La division de l’opposition de l’INPI aura donc fort à faire dans les prochaines années. Selon les calculs du législateur, cette ouverture de l’opposition à d’autres droits antérieurs pourrait d’ailleurs entrainer une hausse de 20% des procédures.

Alors face à ces nouveaux risques d’opposition, quels seront les bons réflexes ?

3/ les bons réflexes à intégrer dans votre Politique de Marque :

- Afin de réduire le risque d’opposition de tiers lors d’un nouveau dépôt, il est désormais nécessaire de vérifier qu’il n’existe pas sous le même nom :
*Une IGPIA uniquement sur des produits similaires
*Une IGP/AOC y compris sur des produits non similaires
*Les noms de collectivités territoriales

Comme toutes les antériorités qui peuvent être relevées lors d’une recherche de ce type, la présence d’une antériorité n’est pas, en soi, bloquante pour le dépôt de marque. C’est en effet, l’analyse juridique de ces antériorités qui permettra de déterminer le potentiel bloquant de ces antériorités. La clé de ces nouvelles dispositions étant, sans aucun doute, la notion de risque d’atteinte au nom ou à la réputation.

- Mettre en place une surveillance sur les nouvelles IGPIA / IGP :

*et ce surtout si votre marque est un nom géographique : lors de la reconnaissance d’une nouvelle IGPIA/IGP/AOC, le principe est celui de la coexistence avec la marque antérieure identique ou similaire. Cependant, les restrictions vis-à-vis des titulaires de marques reprenant un nom géographique augmentent : Si votre marque devenait un jour une IGP, IPGPIA ou une AOP, cela réduirait à néant votre monopole pour la catégorie de produit concerné puisque le nom géographique pourrait être utilisé librement par toutes les personnes qui respectent les conditions fixés par l’AO. Par ailleurs, en cas de forte notoriété de l’AO, cela pourrait également restreindre l’exploitation de votre marque à une plus grande catégorie de produits.

*et si votre marque est notoire : car la situation est différente lorsque la marque antérieure est une marque de renommée. En effet, en matière d’IGP/AOC alimentaires, le droit européen prévoit qu’ : « (...) une appellation d’origine ou une indication géographique n’est pas enregistrée lorsque, compte tenu de la renommée d’une marque, de sa notoriété et de la durée de son usage, l’enregistrement est de nature à induire le consommateur en erreur quant à la véritable identité du produit  ». [3]

En matière d’IGPIA, la loi Hamon prévoit que le titulaire d’une marque antérieure ne peut faire obstacle à une IGPIA identique ou similaire, sauf lorsque cette marque « compte tenu de sa notoriété et la durée de son usage, est à l’origine exclusive de la réputation ou de la connaissance par le consommateur du produit pour lequel une indication géographique est demandée  ». [4]. Dans ce cas, le titulaire d’une marque antérieure de renommée pourra donc demander qu’une IGPIA identique ou similaire soit limitée ou interdite.

En conclusion, ces nouvelles dispositions doivent être prises en compte dans la stratégie attachée à votre marque et ce d’autant plus si vous utilisez des noms géographiques. Il est essentiel d’établir et d’écrire une Politique de Marque pour mettre en place la veille et la stratégie de réaction adaptée à votre situation.

Mathilde PONCHEL

CPI chez INLEX IP EXPERTISE

Pauline RAYMOND
Stagiaire chez INLEX IP EXPERTISE

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Notes de l'article:

[1CA Paris, 12 décembre 2007 RG n°06/20595

[2CA Paris, 4 Avril 2014 RG n° 12/20559, cf :http://www.laguiole.tm.fr/photos/pdf/ARRET%20LAGUIOLE%2004-04-2014.pdf

[3Cons. UE, règl. (CE) n° 510/2006, art. 3, 4. - Cons. UE, règl. (CE) n° 491/2009, art. 118 duodecies, 2. - PE et Cons. UE, règl. (CE) n° 110/2008, art. 23, 3)

[4L. 713-6 c du CPI

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