1) Faits et procédure.
Un salarié chef de chantier, engagé en 2005 en qualité d’ETAM, était devenu depuis 2013, adjoint conducteur de travaux.
Suite à la démission du conducteur des travaux qui n’avait pas été remplacé, il remplissait une véritable mission d’encadrement au sein de la société et effectuait à ce titre de nombreuses heures supplémentaires.
Suite au refus de la société de lui accorder le statut de cadre, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes pour demander la reconnaissance du statut de cadre et le paiement d’heures supplémentaires.
La Cour d’appel de Limoges dans son arrêt rendu le 2 mai 2017 a jugé que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail du salarié devait produire les effets d’un licenciement nul et a accordé au salarié le paiement de ses heures supplémentaires, mais seulement sur la période antérieure à 2013.
Pour la Cour d’appel, le défaut de pointage, pour des salariés autonomes et susceptibles de se déplacer, ne plaçait pas le salarié en position d’obtenir le paiement d’heures supplémentaires.
L’entreprise a formé un pourvoi en cassation afin de contester la décision rendue par les juges du fond.
Par un pourvoi incident, le salarié faisait valoir, que malgré le passage à un échelon supérieur, et son autonomie, il avait effectué des heures supplémentaires, et que celles-ci étaient dues.
La Cour de Cassation a rendu le 24 octobre 2018, un arrêt de cassation partielle.
2) Solution de l’arrêt.
Dans son arrêt du 24 octobre 2018 n° 17-20691, la Cour de Cassation a confirmé la décision de la Cour d’Appel dans sa requalification de la prise d’acte en licenciement nul.
Toutefois, elle a cassé la décision de la Cour d’Appel concernant l’appréciation du paiement des heures supplémentaires, en affirmant que : « la qualité de cadre et l’existence d’une liberté d’organisation dans le travail ne suffise pas à exclure le droit au paiement d’heures supplémentaires ».
En effet, la seule qualité de cadre n’exclut pas le droit du salarié au paiement des heures supplémentaires accomplies.
3) Portée de l’arrêt.
3.1) Jurisprudences récentes sur le paiement des heures supplémentaires.
Dans cet arrêt, la Cour de Cassation rappelle le régime applicable au cadre en matière d’heures supplémentaires.
Aux termes de l’article L3121-28 du code du travail, les heures supplémentaires sont des heures de travail accomplies par le salarié au-delà de la durée légale du travail ouvrant droit à une majoration salariale ou un repos compensateur.
Si les heures supplémentaires ne peuvent être effectuées qu’à la demande de l’entreprise, les tribunaux admettent que cette demande puisse être implicite (Cass. soc, 31 janvier 2012, n°10-21.750).
Les juges sont allés plus loin en considérant que malgré l’opposition de l’employeur à l’exécution d’heures supplémentaires, celles-ci étaient dues dès lors qu’elles avaient été rendues nécessaires par les tâches qui lui ont été confiées (Cass soc, 14 novembre 2018 n°17-20.659).
Les heures supplémentaires sont également dues lorsque le salarié n’a pas respecté la procédure d’autorisation préalable (Cass soc, 14 novembre 2018 n°17-16.959).
Dès lors, l’employeur qui ne s’oppose pas à la pratique d’un salarié qui « n’hésite pas à prolonger son travail au-delà de la durée normale » cautionne les heures supplémentaires effectuées et doit les rémunérer (Cass soc, 31 mars 1998 n°96-41.878).
3.2) Calcul des heures supplémentaires.
Les heures supplémentaires se décomptent de manière hebdomadaire (L. 3121-35 C.trav). Les 8 premières heures supplémentaires sont majorées de 25%, et les suivantes à 50%, en l’absence d’accord conventionnel (L. 3121-36 C.trav).
3.3) Les différents « types » de cadres.
3.3.1) Les cadres non soumis à un forfait.
Dans l’espèce de l’arrêt du 24 octobre 2018 (n°17-20691), le salarié s’était vu refusé le paiement des heures supplémentaires par la Cour d’Appel.
En l’absence de pointage, et en raison de son autonomie et de sa capacité à se déplacer sur les chantiers, la demande avait été rejetée.
Or bien que le salarié n’était pas soumis à l’horaire collectif, il n’avait nullement conclu de convention de forfait.
En conséquent, il bénéficiait au même titre que les autres salariés du régime des heures supplémentaires.
La Haute juridiction dans son arrêt du 24 octobre 2018, rappelle que la qualité de cadre et l’existence d’une liberté d’organisation dans le travail ne suffisent pas à exclure le paiement des heures supplémentaires à un salarié cadre.
Cet arrêt doit être approuvé.
3.3.2) Attention aux « faux » cadres dirigeants !
Les cadres dirigeants ne sont, en principe, pas soumis à la législation sur les heures supplémentaires.
Toutefois, leur paiement peut être obtenues, à condition de prouver que les 3 conditions cumulatives définissant le cadre dirigeant ne sont pas remplies, à savoir :
Responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps ;
Habilitation à prendre des décisions de façon largement autonome ;
Rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement (c. trav. art. L. 3111-2).
La requalification d’un statut de cadre dirigeant en cadre donne ainsi droit au paiement des heures supplémentaires.
A titre d’exemple, dans un arrêt du 23 mai 2017 (CA Paris 6-3, n°14/10516), la cour d’appel de Paris a refusé la qualité de cadre dirigeant à une Styliste senior d’un groupe international de luxe.
Pour prononcer la nullité de son statut de cadre dirigeant, la cour d’appel a notamment retenu que :
La styliste exerçait ses fonctions selon les instructions du directeur artistique et studio coordinateur et de ses autres supérieurs hiérarchiques et ne disposait pas de la capacité de prendre des décisions de façon autonome ;
l’employeur n’a pas répondu à la sommation de la salarié de communiquer les bulletins de paie nécessaires pour justifier de la rémunération concrètement perçue par d’autres salariés ;
la salariée sollicitait des autorisations d’absence, son agenda de réunions était fixé compte tenu de la disponibilité de la directrice générale ou d’autres collaborateurs, ses frais de déplacement faisaient l’objet d’une autorisation préalable de sorte qu’elle ne bénéficiait pas d’une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps et de son travail (Voir notre article : "Droit des cadres dirigeants : panorama de jurisprudence 2016/2017").
3.3.3) Cadres au forfait jours : l’employeur doit prouver que le salarié a été soumis à un contrôle de sa charge de travail et de l’amplitude de son temps de travail ; A défaut, ce dernier est privé d’effet et il peut obtenir le paiement de ses heures supplémentaires
De même, ne peuvent prétendre au paiement de leurs heures supplémentaires, les salariés ayant signé une convention de forfait.
Seuls les salariés répondant à des conditions précises peuvent être soumis à une convention de forfait :
Les cadres dont la nature des fonctions ne les conduit pas à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, de l’équipe ou du service auquel ils sont intégrés ;
Les salariés, cadres ou non cadres, qui disposent d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps (art L 3121-56 c. trav).
Attention toutefois, le seul fait de remplir l’un de ces critères, n’implique pas la soustraction automatique au régime des heures supplémentaires, encore faut-il avoir conclu une convention de forfait valide.
Dans un arrêt du 19 décembre 2018, (n°17-18725) la Cour de cassation a affirmé qu’il incombe à l’employeur de rapporter la preuve qu’il a respecté les stipulations de l’accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours.
La Haute Cour ajoute « qu’ayant relevé qu’il n’était pas établi par l’employeur que, dans le cadre de l’exécution de la convention de forfait en jours, le salarié avait été soumis à un moment quelconque à un contrôle de sa charge de travail et de l’amplitude de son temps de travail, la cour d’appel, qui en a déduit que la convention de forfait en jours était sans effet, en sorte que le salarié était en droit de solliciter le règlement de ses heures supplémentaires a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision ».
Source : Légifrance
C. Cass 24.10.2018 n°17-20691 ;
Voir aussi nos articles :
Salariés, cadres : comment prouver et vous faire payer vos heures supplémentaires aux prud’hommes ?
Salariés cadres au forfait jours faites annuler votre convention de forfait jours et obtenez le paiement de vos heures supplémentaires [1]
Comment obtenir le paiement de ses heures supplémentaires aux prud’hommes ?
Discussion en cours :
Bonjour,
Veuillez prendre en compte les conclusions de la Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 juin 2020, n° Q 18-21.935 décision n°10389 F.
la cours s’appui sur le fait que :
1- Je n’ai pas eu l’accord de l’employeur afin de pouvoir faire les heures supplémentaires nécessaires.
2- Je n’ai pas apporté la preuve que les heures supplémentaires étaient nécessaires à l’accomplissement de mes tâches.
3- Que je bénéficiais d’une relative autonomie dans l’exécution de la prestation de travail du à mes déplacements.
A ma connaissance, la cours d’appel ne ma pas demandé ni même auprès de la partie adverse les pièces ou documents permettant de vérifier si les heures accomplies étaient rendues nécessaires à la réalisation des tâches, quid ?
De plus, il appartient à l’employeur d’adapter la charge de travail de ses salariés pour que ces derniers ne dépassent pas la durée légale hebdomadaire de travail. Si l’employeur ne le fait pas, il devra payer des heures supplémentaires, pour rappel, il peut le faire en faisant l’entretient annuel permettant entre autre d’évaluer les compétences, le planning, les objectifs. Sans oublier les sujets suivants qui sont abordés et notifiés dans le compte rendu :
Comment se sent-il au travail ?
Quelle est sa charge de travail actuelle ?
Quels horaires le salarié pratique-t-il ? Respecte-t-il les durées maximales du travail ?
Travaille-t-il de chez lui ? quels horaires ? A quelle fréquence ? Et pourquoi ?
Arrive-t-il à s’organiser ? souhaite-t-il de l’aide de la part de l’employeur pour mieux s’organiser ?
Arrive-t-il à jongler avec sa vie familiale ?
Rappeler au salarié qu’un relevé des journées et demi-journées travaillées doit être établi et remis à l’employeur pour contrôle régulier
Bien entendu, j’ai été débouté sur le moyen concernant le non établissement de l’entretien annuel, puisque je n’aurai pas subi de préjudice.
Concernant ma soit distante "autonomie", mes déplacements étaient réalisés dans mes heures de travail et à la demande de mon employeur en effet, durant la période de l’exercice au sein de l’entreprise tout salarié doit resté à disposition de son employeur dans le laps de temps horaire acté sur le contrat de travail.
D’autant plus que le mot "autonomie" a été interprété et non vérifié, j’étais certes autonome dans l’exécution de mes tâches mes pas autonome dans l’organisation et la gestion de celles-ci qui étaient sous la responsabilité de mon employeur et/ou de mon supérieur hiérarchique voir de mes chefs de projets, cela fait une différence et la cours d’appel n’a pas cherché à vérifier cela.
En conclusion, tout employé étiqueté d’avoir une relative autonomie ne pourra plus demander ses heures supplémentaires.
C’est pas beau ça ??? Et quid de l’article L 3171-4 du CPC...