S’agissant d’une clause dont la nécessaire mise en œuvre de bonne foi a souvent été rappelée par les juges, la Haute Cour montre depuis quelques années une attention toute particulière en venant réglementer son contenu par une limitation à deux vitesses, tant quant à son étendue géographique (A) qu’à son objet (B).
A - Limitation géographique de la mobilité
Avant 2006, la clause de mobilité géographique n’était pas soumise à une limitation géographique particulière, du moment qu’elle ne heurtait pas excessivement la liberté fondamentale du salarié au libre choix de son domicile (Soc. 12 janvier 1999). On commença à penser que l’étendue géographique de la mobilité dut être soumise au double principe de proportionnalité et de finalité énoncé par l’article L1121-1 du Code du travail (Soc. 19 mai 2004). Si en 1999, ce double principe était déjà invoqué, c’était dans la mise en œuvre de la clause, et non dans la limitation géographique du contenu de la clause en tant que tel, que le contrôle s’effectuait. La volonté de limitation géographique s’est faite de plus en plus savoir et a été confirmée par la Cour suprême en 2006.
Ainsi, depuis l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 7 juin 2006, il est largement admis que « la clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d’application et ne peut conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée ». Les juges ont donc annulé une clause qui prévoyait une mobilité étendue à l’ensemble de la zone d’activité de l’employeur, susceptible de varier au gré de l’évolution de la taille de l’entreprise. De manière générale, le critère de la précision renverrait à deux choses. L’étendue se limiterait soit à une zone précise soit à une base d’éléments de variation qui s’appuieraient sur des critères objectifs (comme c’est admis en matière de clause de variation de rémunération, à savoir que celle-ci ne peut reposer que sur des éléments objectifs sur lesquels l’employeur n’a pas eu d’influence directe. Par exemple, s’agissant toujours des clauses de variation, une baisse de rémunération liée à une baisse du chiffre d’affaires qui ne serait pas du fait de l’employeur).
Si la clause manque à cette exigence et est totalement imprécise, elle encourt alors la nullité. Et si elle est à moitié précise, elle encourt la réfaction (dans le cas par exemple où elle mentionnerait à la fois des établissements déterminés et des établissements indéterminables au moment de la signature de la clause).
Cette solution peut s’expliquer de plusieurs manières dont deux retiennent particulièrement notre attention. D’un point de vue civiliste, elle est à mettre en rapport avec l’article 1174 du Code civil qui interdit les contrats reposant sur une condition purement potestative. La condition potestative est la condition qui ne repose que sur la volonté d’une des parties contractantes. D’un point de vue social, la solution prend pour exemple la jurisprudence sur la clause de non concurrence qui rend illicite une clause dans laquelle l’employeur se réserve le droit de modifier le champ géographique ou le champ temporel de la clause (Soc. 28 avril 1994). Mais d’autres fondements d’égale importance peuvent être invoqués.
Ainsi d’une part de l’interdiction faite à l’employeur de modifier un élément qui implique une modification du contrat tel que le lieu de travail (à ce sujet, le fait que la simple mention du lieu de travail n’a que valeur d’information, comme le précise la cour de cassation en 2003, ne change rien au fait que la modification du lieu de travail constitue une modification du contrat). En effet, le droit de refuser une modification de son contrat de travail, au titre de l’article 1134 alinéa 2 du Code civil, est d’ordre public et le salarié ne saurait y renoncer par avance. C’est ce que la Cour de cassation a jugé s’agissant des clauses de variation dans lesquelles l’employeur se réservait le droit unilatéral de modifier la rémunération (Soc. 19 février 2001). Il est clair que la jurisprudence s’évertue depuis 1996 à interdire la modification du contrat unilatéral à l’initiative de l’employeur, ce n’est pas pour que ce dernier retrouve ce pouvoir artificiellement par le détour des clauses insérées au contrat de travail, fussent-elles réputées acceptées par le salarié.
D’autre part une telle solution pourrait se fonder sur la nécessaire soumission de la clause au double principe de proportionnalité et de finalité mentionné à l’article L1121-1, qui est de portée générale. Cet article interdit l’atteinte aux droits et libertés à moins qu’elle soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché. L’on ne voit pas pourquoi il n’aurait pas vertu à s’appliquer en matière de clause de mobilité qui porte atteinte, par nature, à la liberté de choix du domicile. On attendrait encore que la cour de cassation vienne juger, comme en 2004, de manière claire la validité du contenu d’une clause de mobilité sur ce fondement. Car l’on rappellera encore que la solution de 1999 a eu recours à cette notion de liberté fondamentale et à l’article L1121-1, mais uniquement dans la mise en œuvre de la clause de mobilité et non dans son contenu. Mais, à notre sens, les conditions de l’arrêt de 2006 satisfont à tous ces fondements, et constituent à elles seules leur justification, sans besoin de recourir à d’autre fondement que leur existence désormais établie de manière pérenne dans la jurisprudence de la Chambre sociale.
La Cour ne s’arrête pas à la limitation géographique s’agissant de ce qu’on pourrait communément appeler la « police » des clauses de mobilité, et va plus loin. Elle s’attache à vérifier que la clause affecte strictement et uniquement son objet qu’est la mobilité géographique du salarié.
B - Limitation dans l’objet de la clause
Une clause de mobilité a pour objet de prévoir le déplacement physique et géographique du salarié. Mais concrètement, elle peut avoir pour effet une variation des autres éléments du contrat tels que la rémunération, la fonction, les horaires et la durée du travail du salarié. Or tous ces éléments liés à la définition du contrat de travail sont communément réputés comme des thèmes dont la modification implique modification du contrat de travail. La jurisprudence s’attache donc à ce que de tels éléments ne soient pas modifiés par la modification du lieu de travail, et ainsi que la clause de mobilité n’ait pour objet et pour effet que la simple mobilité du salarié, à moins de recueillir l’accord de ce dernier au moment de la mise en œuvre de la dite-clause. La clause doit prévoir la mobilité, toute la mobilité, mais rien que la mobilité.
Ainsi deux arrêts du 14 octobre 2008 de la chambre sociale sont venus montrer un renforcement du contrôle de la clause à ce niveau-là. Elle ne mentionne pas de manière générale le principe qui veut que la clause de mobilité ne peut affecter les autres éléments du contrat qui nécessitent pour leur modification l’accord du salarié. Elle est venue simplement, ça et là, appliquer ce principe qui s’inscrit dans une large jurisprudence. Ainsi d’une clause de mobilité qui implique un passage d’horaire de jour à un horaire de nuit, et inversement.
Egalement s’agissant d’un partage du temps de travail entre plusieurs établissements (Soc. 20 déc. 2006) à moins que la répartition du travail soit si faible qu’elle constitue un simple changement des conditions de travail. Idem, pour la mobilité entraînant une baisse de rémunération (Soc. 15 déc.2004) ou qui rend provisoire une partie de la rémunération perçue avant la mobilité (Soc. 3 mai 2006). S’agissant de cet élément, le salarié peut refuser cette mobilité en raison des conséquences sur sa rémunération, et même en raison des conséquences prévisibles sur celle-ci, car tout changement de rémunération, même minime, constitue une modification du contrat de travail.
La mobilité ne peut, en outre, intervenir dans une autre société du même groupe, car elle implique un changement d’employeur qui est une modification du contrat (Soc. 23 sept. 2003). Dans un registre sensiblement différent mais proche, une clause de mobilité ne permet pas à un employeur de cesser de faire travailler un salarié à son domicile une partie de la semaine (Soc. 13 avril 2005 ; confirmé par un arrêt de 2006). Cette solution s’explique car le télétravail n’est pas un lieu d’exécution du travail en tant que tel, mais une véritable modalité d’exécution de la prestation de travail. Et en tant que modification d’une modalité d’exécution de la prestation de travail, elle implique une modification du contrat de travail. On le voit donc, la jurisprudence est tout particulièrement sévère quand l’employeur est soupçonné d’opérer par le truchement de la modification liée à la mobilité du salarié de modifier d’autres éléments du contrat sans l’accord de ce dernier.
La question qui reste en suspens à la lecture de cette jurisprudence est celle de la sanction de cette clause. En pratique, le licenciement frappant le refus par le salarié de la mobilité en raison de l’affectation de la clause de mobilité sur d’autres éléments de son contrat est considéré comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse (voir notamment Soc. 13 décembre 2000). Mais la clause en elle-même est-elle nulle ou sa mise en œuvre est-elle simplement subordonnée à l’accord du salarié ?
Si la clause prévoyant la mobilité est particulièrement large quant aux autres éléments qui vont être modifiés et que c’est l’employeur qui se réserve discrétionnairement le droit de modifier ces éléments, la clause a toutes les raisons d’être frappée de nullité à l’instar des clauses de variation. Toutefois, si elle prévoit une variation des autres éléments sur la base de critères objectifs, la question selon laquelle elle doit être révisée devant les juges pour devenir licite mérite éclaircissement (avant tout contentieux sur la mobilité par exemple).