L’arrêt du 15 janvier 2013 sur les nouvelles règles de prescription des faits fautifs.

Par Pierre Mettra, Juriste.

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Explorer : # prescription # sanction disciplinaire # modification du contrat de travail # licenciement

En matière disciplinaire, l’employeur voit son action limitée dans le temps. Il doit respecter des délais stricts pour sanctionner son salarié, et ce particulièrement quand la sanction qu’il envisage doit modifier le contrat de travail de ce dernier. Le droit du travail est formel. Il faut recueillir le consentement du salarié à toute modification de son contrat de travail. Les délais d’actions s’en voient affecter puisqu’il faut faire intervenir le salarié dans la procédure.
L’arrêt du 15 janvier 2013 publié au bulletin d’information de la Cour de cassation vient donner des règles nouvelles en la matière.

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En l’espèce, il s’agissait d’un salarié qui avait commis des faits que son employeur envisageait de sanctionner. Le 11 février 2008, il a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. Ce dernier s’est tenu le 19 février. Après quoi, le 17 mars, son employeur lui a notifié une intention de rétrogradation, avec possibilité de refuser ou d’accepter ce projet de modification du contrat de travail. Le 15 avril, le salarié a fait savoir par lettre qu’il contestait les griefs avancés et qu’il souhaitait réintégrer le poste qu’il occupait auparavant. Le 10 juin, il a été convoqué à un entretien préalable à une autre sanction, et le 18 juin il a été licencié pour faute grave.

La Cour d’appel de Toulouse a jugé ce licenciement sans cause réelle et sérieuse, en considérant qu’en l’absence de refus exprimé par le salarié face à la proposition de rétrogradation dans les deux mois de la convocation du 11 février, l’action de l’employeur en vue de le licencier était prescrite à compter du 11 avril, de sorte qu’il ne pouvait nullement le licencier le 18 juin.

La question qui était posée devant la Cour de cassation était la suivante : à partir de quand l’action de l’employeur en vue de sanctionner un salarié qui refuse une mesure de rétrogradation est-elle prescrite ?

La Cour a répondu à cette question en précisant l’importance de la notification par l’employeur de la modification du contrat de travail du salarié dans l’interruption de la prescription de l’article L1332-4 du Code du travail. Elle a donc cassé l’arrêt d’appel, en jugeant que l’action n’était pas prescrite au jour de la convocation du 20 mai 2008.

Le droit disciplinaire s’articule avec le droit de la modification du contrat de travail. L’employeur doit recueillir le consentement du salarié en cas de sanction entraînant une modification du contrat de travail (I), et son action est enfermée dans des délais nouvellement prescrits par cet arrêt (II).

I – L’accord exprès du salarié et la sanction modification

Il est constant depuis 1996 que le salarié peut refuser toute modification de son contrat de travail quelque soit sa cause. Et depuis l’arrêt Hotel le Berry (Soc. 16 juin 1998, 95-45033), cette règle a été précisée en matière disciplinaire. Ainsi, une modification du contrat de travail prononcée à titre de sanction disciplinaire ne peut être imposée au salarié. L’employeur qui notifie au salarié une sanction modifiant son contrat de travail doit donc informer ce dernier de sa faculté d’accepter ou de refuser cette mesure (Soc. 28 avril 2011, 09-70619). Et il est de règle que la modification du contrat, pour quelque cause que ce soit, implique un accord exprès du salarié qui ne peut résulter de son silence ou de la poursuite de son contrat de travail (Soc. 24 mars 2010).

En cas de refus du salarié, l’employeur est en droit de prononcer une autre sanction disciplinaire pour les faits qui étaient à l’origine de la première sanction prononcée (et non pour le refus, Soc.19 février 2003, Soc. 15 juin 2000), cette sanction pouvant aller jusqu’au licenciement (Soc. 31 janvier 2007, Soc. 11 janvier 2009, 06-45897, faute grave). Il lui reviendra alors de convoquer le salarié à un nouvel entretien (Soc. 27 mars 2007).

II – Les nouvelles règles de prescription des faits fautifs

Aux termes de l’article L1233-4 du Code du travail, l’employeur a deux mois pour sanctionner un fait fautif du salarié à compter du moment où il en a eu connaissance. A compter de la convocation à l’entretien préalable à la sanction envisagée, on considère que la prescription est interrompue, c’est-à-dire qu’un nouveau délai d’une durée égale de deux mois se met à courir pour que la sanction puisse être prononcée (Soc. 9 oct. 2001, 99-41217).

En 2011, le refus du salarié à cette sanction a aussi été jugé comme interruptif de prescription (Soc. 28 avril 2011, 10-13979), de sorte que l’employeur ait le temps de prononcer une autre sanction pouvant aller jusqu’au licenciement.

En l’espèce, la Cour d’appel de Toulouse a appliqué strictement ces règles en jugeant que la prescription des faits fautifs était acquise. La convocation à l’entretien à la sanction avait eu lieu le 11 février, et en l’absence de refus exprimé par le salarié dans les deux mois, la sanction prononcée après le 11 avril dépassait le délai prévu en matière disciplinaire. C’est sur ce point que l’arrêt de ce jour est venu apporter un élément nouveau à l’édifice jurisprudentiel existant.

L’arrêt de ce jour ajoute à ces deux causes interruptives de prescription, que sont la convocation et le refus du salarié, la notification par l’employeur de la modification du contrat de travail comme troisième cause interruptive de prescription.
Elle donne donc les règles nouvelles applicables en matière de prescription d’un fait fautif : «  la notification par l’employeur, après l’engagement de la procédure disciplinaire, d’une proposition de modification de contrat de travail soumise au salarié, interrompt le délai de deux mois prévu par l’article L. 1332-4 du code du travail qui court depuis la convocation à l’entretien préalable  ». Le refus de cette proposition par le salarié interrompt à nouveau ce délai, et « il s’ensuit que la convocation du salarié par l’employeur à un entretien préalable en vue d’une autre sanction disciplinaire doit intervenir dans les deux mois de ce refus ».

En l’absence d’un refus exprimé à la suite de la notification de la proposition de modification du contrat de travail dans le délai de deux mois, l’employeur ne pourra donc licencier le salarié pour ces faits. Il lui reviendra de le maintenir dans les conditions contractuelles initiales, et s’il le souhaite le convoquer pour un licenciement pour d’autres griefs passé ce délai.

Pour résumé, les règles en jeu dans cet arrêt sont simples :

I – accord exprès du salarié et sanction-modification

- le salarié ne peut se voir imposer une modification de son contrat de travail quelque soit sa cause
- le salarié peut donc refuser une sanction disciplinaire qui a pour effet une modification de son contrat de travail
- la modification du contrat de travail doit faire l’objet d’un accord exprès du salarié et ne saurait résulter du silence ou de la poursuite du contrat aux conditions nouvelles par ce dernier
- en cas du refus du salarié, l’employeur est en droit de prononcer une autre sanction disciplinaire à l’encontre de ce dernier pouvant aller jusqu’au licenciement pour les faits qui ont motivé la première sanction disciplinaire

II – prescription des faits fautifs

- l’employeur a deux mois pour sanctionner le salarié à compter de la connaissance des faits fautifs
- ce délai de deux mois peut faire l’objet d’interruptions, auquel cas il recommence à courir pour une nouvelle durée de deux mois
- la convocation à l’entretien préalable au prononcé de la sanction disciplinaire interrompt le délai de deux mois
- la notification d’une proposition de modification du contrat de travail résultant de cette sanction disciplinaire est également une cause interruptive de ce délai
- le refus et lui seul de cette modification est enfin aussi une cause interruptive de ce délai de deux mois
- l’employeur doit donc attendre le refus du salarié pour pouvoir le licencier
passé ce délai de deux mois après la notification, en l’absence de refus, la prescription est acquise, et l’employeur est tenu de maintenir le salarié aux conditions antérieures du contrat ou d’envisager son licenciement pour d’autres faits

Pierre Mettra

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