C’est sur cette base légale et au nom du principe d’une « atteinte excessive au droit à une vie personnelle et familiale du salarié » que la Cour de Cassation rappelle à l’ordre les employeurs qui modifient irrégulièrement les contrats de travail de leurs salariés.
En 2021 les contestations portent sur :
1. La nécessité d’un accord exprès du salarié [3].
Les juges appliquent aussi ce principe en matière d’heures supplémentaires (en savoir plus : Salariés, vous pouvez obtenir le paiement de vos heures supplémentaires).
Une Cour d’Appel avait retenu que le salarié aurait accepté la modification de contrat de travail car il occuperait ces nouvelles fonctions sans discontinuer depuis plusieurs années. La Cour de Cassation casse l’arrêt des Juge du fonds en rappelant que : « L’acceptation de la modification du contrat de travail par le salarié ne se présume pas et ne peut résulter de la seule poursuite par ce dernier de l’exécution du contrat de travail dans ses nouvelles conditions ».
2. La modification du lieu de travail du salarié [4].
Les Juges doivent analyser la clause de mobilité figurant dans le contrat de travail du salarié et l’étendue de la mobilité imposée par l’employeur (en savoir plus : Salariés, sachez contester la modification de votre contrat de travail en 2019).
Un salarié muté à Paris conteste cette mutation en estimant qu’il s’agit d’une modification, de son contrat de travail à laquelle il n’a pas donné un accord express. Son employeur lui rétorque que sa mutation à Paris « répondait au souhait géographique qu’il avait exprimé précédemment », la seule absence d’indication d’une zone géographique dans la clause de mobilité de son contrat de travail ne remettant pas en cause, selon lui, son accord.
La Cour de Cassation casse l’arrêt de la Cour d’Appel au motif que : « la clause de mobilité stipulée au contrat ne définissait pas sa zone géographique d’application, de sorte que la mutation constituait non un changement des conditions de travail, mais une modification du contrat (à laquelle) la salariée n’avait pas donné son accord ».
Il ne suffit pas que le salarié exprime un « souhait géographique de travailler sur Paris » pour que ce « souhait » constitue un accord exprès à une modification de son contrat de travail qui ne prévoyait pas une mobilité dans cette « zone géographique ». L’accord du salarié doit être exprès par la signature entre autre d’un avenant à son contrat de travail.
3. Attention au formalisme du pouvoir de direction [5].
C’est ce qu’a appris une société à ses dépens en adressant au salarié un document qu’il dénomme « avenant à votre contrat de travail » alors que le contrat de travail du salarié ne contenait pas de clause de mobilité.
La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel en observant que : « La lettre de détachement du 17 décembre 2014 mentionnait comme objet "avenant à votre contrat de travail" et que l’employeur remerciait le salarié de bien vouloir lui retourner un exemplaire de cette proposition signée avec la mention manuscrite "lu et approuvé", ce dont il résultait que "l’entreprise reconnaissait qu’elle procédait ainsi à une modification du contrat de travail que le salarié était en droit de refuser" ».
4. La modification de la rémunération variable [6].
Les Juges scrutent avec vigilance l’accord exprès du salarié à la modification de sa rémunération (en savoir plus : Salariés, obtenez votre prime d’objectif en 2019).
Il s’agissait d’un salarié qui contestait une modification de sa part variable.
La Cour de Cassation confirme l’arrêt d’appel et rappelle le pouvoir des Juges du fond d’apprécier seuls si les conditions de fixation de la prime d’objectifs ne dépend pas d’éléments potestatifs c’est-à-dire dépendant de la volonté de l’employeur (en savoir plus : Comment obtenir le paiement de ma prime d’objectifs en 2020).
La Cour suprême approuve les Juges du fond d’avoir retenu que les nouvelles conditions de fixation de la prime d’objectifs
« entraînaient une modification de la part variable de la rémunération du salarié, en fonction de critères nouveaux qui ne reposaient pas sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur et que ce dernier avait mis en place puis maintenu ce dispositif en dépit du refus exprès du salarié ».
5. L’exception du salarié protégé [7].
Lorsque le salarié est représentant des salariés dans l’entreprise aucune modification de son contrat de travail et donc aucun changement de ses conditions de travail ne peut lui être imposé (en savoir plus Salariés protégés, connaissez vos droits en 2020).
L’employeur invoquait vainement que la tâche demandée à la salariée correspondait à sa qualification. La Cour de Cassation confirme l’arrêt d’appel qui a reconnu une modification des conditions de travail de la déléguée du personnel, peu important que les fonctions confiées correspondent ou non à la qualification de la salariée dès lors que les conditions de travail de la salariée étaient bien modifiées.
6. L’atteinte excessive au droit à la vie personnelle et familiale du salarié [8].
Le contrat de travail est régi par le droit commun des contrats, l’employeur ne peut donc pas au nom de son « pouvoir de direction » appliquer aux salariés une clause lui permettant de procéder à toute modification de la rémunération et/ou des horaires du travail du salarié et ce même si le salarié y « adhère » en signant son contrat de travail.
Sans surprise au visa de la règle prétorienne selon laquelle « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché », la Cour de Cassation casse l’arrêt en jugeant que :
« le contrat de travail prévoit… la modification des horaires de travail et précise que ces modifications ne constitueront pas par elle-même une modification substantielle du contrat et qu’ainsi la modification de de la rémunération et des horaires de travail a été contractuellement admise par les salariés et ne peut justifier leur refus d’affectation sur un autre site »... « si le changement d’affectation des salariés s’accompagnait pas du passage même partiel d’un horaire de nuit à un horaire de jour et d’une baisse de la rémunération (la cour aurait dû rechercher) si la mise en œuvre de la clause de mobilité ne portait pas une atteinte excessive à leur droit à une vie personnelle et familiale ».
7. Hors contexte d’un licenciement pour motif économique, la situation économique de l’entreprise ne justifie pas une modification unilatérale du contrat de travail du salarié [9].
Arguant d’une situation économique précaire, une entreprise diminue les responsabilités d’une salariée ainsi qu’une partie de ses commissions, décision validée par une Cour d’Appel au motif « qu’elle serait rendue nécessaire par la situation économique de l’association ».
Décision cassée par la Cour suprême : « l’employeur avait unilatéralement retiré à la salariée ses responsabilités d’encadrement définies dans le contrat de travail et s’était abstenu de verser, pour l’année 2013, la rémunération variable », ce qui constituait une violation suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail par la salariée aux torts de l’employeur.
Ces quelques exemples d’une jurisprudence très dense en matière de modification du contrat de travail du salarié reflètent l’importance du socle contractuel définissant les droits et obligations de chacun des co-contractants : le salarié et l’employeur doivent tous deux respecter le principe de la loyauté contractuelle et le respect des règles du droit commun des contrats.