Comment remettre en cause une enquête interne ?

Par Nathalie Leroy, Avocate.

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Explorer : # enquête interne # droits de la défense # preuve # vie privée

La Cour d’appel de Pau, Chambre sociale, 10 février 2022, n° 19/01351 nous éclaire sur les moyens pertinents ou non pertinents de remise en cause de l’enquête interne et confirme tout l’intérêt de recourir à une enquête objective [1].

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Un salarié demande à ce que soient écartées des débats les pièces relatives à l’enquête interne, en raison de leur irrecevabilité.

Il invoque le fait que, selon lui, l’enquête a été réalisée à charge, au mépris du procès équitable, des droits de la défense, notamment du principe du contradictoire, en raison du caractère illicite et déloyal de la preuve, les moyens de contrôle informatique ne respectant aucune des conditions cumulatives de licéité (pas d’information et de consultation préalable des représentants du personnel, pas d’information préalable du salarié, pas de déclaration à la CNIL et pas de protection des données à caractère personnel) et de l’impossibilité de se constituer une preuve à soi-même, de la double violation de la vie privée et de la confidentialité absolue du rapport d’enquête.

Ses arguments, bien que pertinents, n’ont pas fait mouche. Pourquoi ?

Sur l’argument de la constitution de preuve à soi-même.

La Cour répond qu’en matière prud’homale la preuve est libre et que rien ne s’oppose à ce que le juge examine un rapport d’enquête interne établi par l’employeur ou une autre société du groupe.
Elle précise qu’il appartient seulement au juge d’en apprécier la valeur et la portée, en vérifiant notamment si l’enquête n’a pas été menée à charge. Autrement dit, Il appartient au juge de se faire son opinion. Mais sur quel fondement ? Le juge a-t-il été formé pour savoir ce qu’est une enquête à charge ? Connait-il les techniques d’audition ? Comment saura t’il si les auditions ont été orientées ?

Sur le droit à la défense.

La Cour rappelle que l’employeur n’est pas tenu de permettre au salarié de se faire assister à l’occasion d’une enquête interne. Elle précise que les « ’droits de défense’ » ne sont pas applicables, l’enquête n’étant ni un entretien préalable, ni un procès, lesquels interviennent, le cas échéant, après l’enquête.

Cette position, qui relève d’une tendance jurisprudentielle actuelle, pose question, puisque en cas d’enquête réalisée par un avocat, le salarié « incriminé » pourra se faire assister, ce qui semble fondamental. En effet, le rapport d’enquête permettra à l’employeur d’éclairer sa décision de sanction, le cas échéant. Certes le rapport n’empêche pas l’employeur de prendre une décision autonome, il intervient donc en amont. Mais l’enquête est un moment stressant pour chaque partie entendues et peut être déstabilisant. Pourquoi empêcher la victime présumée, comme la personne incriminée, de se faire assister ? Pourquoi ne permet on pas aux personnes dont la carrière est en jeu, d’être accompagnées et assistées ?

Sur l’accès aux mails professionnels et les connexions aux sites Internet dans le cadre de l’enquête.

L’accès aux mails professionnels ne constitue pas un dispositif de surveillance devant donner lieu à consultation préalable des représentants du personnel. L’absence de déclaration simplifiée d’un système de messagerie électronique professionnelle non pourvu d’un contrôle individuel de l’activité des salariés, n’est pas susceptible de porter atteinte à la vie privée ou aux libertés au sens de l’article 24 de la loi «  informatique et libertés  ». Cet accès ne rend pas illicite la production en justice des courriels adressés par l’employeur ou par le salarié dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés et conservés par le système informatique.IL en va de même des connexions établies par un salarié sur des sites internet pendant son temps de travail grâce à l’outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l’exécution de son travail
Selon la Cour, l’absence d’information du salarié, de consultation des représentants du personnel et de déclaration à la CNIL de ce système d’information et de collecte sont sans incidence sur leur recevabilité devant la juridiction.

Moralité.

Un salarié pourra remettre en cause une enquête s’il peut faire la démonstration du caractère non objectif de celle-ci, à savoir, s’il prouve qu’elle a été menée « à charge ».
Cela implique de connaître la méthode employée pour mener cette enquête.
Comment sont effectués les entretiens ? Comment ont été sélectionnés les témoins ? Bien des cabinets ou des services internes n’emploient pas de méthodologie particulière. Il existe à ce stade un énorme point faible.
Construire un questionnaire n’est pas mener une enquête.

Notre avis.

L’enquête est un moment de déstabilisation dans une entreprise. Permettre et favoriser l’expression des salariés sur des sujets lourds n’est pas anodin et peut ajouter une crise, à la crise.
Cela requiert une mise en confiance des personnes entendues, un grand professionnalisme, le décryptage de la désinformation à laquelle est confronté l’enquêteur, que ce soit de la part de la personne suspectée, de la victime présumée, de l’employeur, des personnes entendues.
Mener une enquête requiert une remise en question constante des enquêteurs, l’absence d’idées reçues et une grande honnêteté intellectuelle. Voilà pourquoi le professionnalisme et l’indépendance, assis sur une déontologie sans concessions sont indispensables pour mener une enquête sérieuse et fiable.
La gravité des décisions qui en découleront ne laissent pas de place à l’amateurisme.

Nathalie Leroy Avocate enquêtrice en harcèlement moral et sexuel au travail
www.her.eu.com et www.25ruegounod.fr

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