Contrôle URSSAF au sein des sociétés multi-établissements : quid du destinataire de l’avis de contrôle ?

Par Alexandra Dabrowiecki et Marine Musa, Avocats.

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Explorer : # contrôle urssaf # sociétés multi-établissements # avis de contrôle # principe du contradictoire

Afin d’assurer le respect des droits de la défense dans le cadre des procédures de contrôle menées par les URSSAF (Union de Recouvrement des cotisations de Sécurité Sociale et d’Allocations Familiales), le décret n°99-434 du 28 mai 1999 a institué à l’Article R243-59, l’obligation pour l’URSSAF d’adresser au cotisant un avis, préalable au contrôle, destiné à l’informer du passage des services de contrôle.

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Si l’établissement ne doit pas figurer sur l’avis de contrôle unique adressé au siège social de l’entreprise…

Depuis le 1er juillet 2016, date d’entrée en vigueur du décret n°2016-941 du 8 juillet 2016, l’Article R.243-59 du Code de la sécurité sociale prévoit que « sauf précision contraire, cet avis vaut pour l’ensemble des établissements de la personne contrôlée ».

Avant l’entrée en vigueur de cette règle, se posait la question du contenu de l’avis de contrôle pour les sociétés multi-établissements. Celui-ci devait-il préciser les établissements compris dans le périmètre du contrôle ?

Certaines sociétés ont réussi à obtenir l’annulation du redressement en faisant valoir que le seul envoi d’un avis de contrôle au siège social d’une société à établissements multiples avisant cette dernière d’un contrôle susceptible de viser tous ses établissements sans davantage de précision quant aux dates et lieux de contrôle prévus contrevenait au principe du contradictoire [1].

Cette position a toutefois été censurée par la Cour de cassation qui a jugé que « l’avis adressé à l’employeur n’a pas à préciser, le cas échéant, ceux des établissements susceptibles de faire l’objet d’un contrôle » [2].

Cette décision est, à notre sens, contestable à, au moins, deux égards :
- En pratique, la comptabilité des établissements n’est pas toujours centralisée au siège social de la société et se trouve archivée au sein des différents établissements. Il est donc crucial pour une entreprise multi-établissements de connaître les établissements compris dans le contrôle pour lui permettre de s’y préparer efficacement ;
- On peut, en outre, légitimement s’interroger sur le point de savoir pour quelles raisons, la Haute Juridiction refuse de considérer cette précision comme une formalité substantielle, alors qu’elle est tout aussi indispensable au respect du principe du contradictoire et aux droits de la défense du cotisant que d’autres mentions dont le défaut entraîne pourtant la nullité du contrôle, à l’instar de la date de la première visite dans l’avis de contrôle [3], de la mention dans la lettre d’observations de la faculté pour le cotisant de se faire assister par un conseil de son choix [4]. Rappelons qu’en dernier lieu, la Cour de cassation a jugé que le défaut d’indication du délai de paiement entraînait la nullité de la mise en demeure et des opérations de contrôle alors même que le défaut de cette mention ne porte pas en soi atteinte au principe du contradictoire [5].

Aux termes de son arrêt du 4 avril 2019, la Cour de cassation a, rappelé le principe selon lequel l’avis de contrôle doit être adressé exclusivement à la personne qui est tenue en sa qualité d’employeur, aux obligations afférentes au paiement des cotisations et contributions qui font l’objet du contrôle [6].

Elle ne s’est, toutefois, pas prononcée clairement sur ce qu’il convient d’entendre par « employeur ».

…il doit, dans certains cas, être destinataire de son propre avis de contrôle.

Dans les sociétés multi-établissements, se posait, en effet, la question de savoir si l’avis de contrôle pouvait être adressé au seul siège social ou s’il devait être adressé à chacun des établissements faisant l’objet d’un contrôle.

Dans sa rédaction en vigueur avant le décret du 8 juillet 2016, l’Article R243-59 du Code de la sécurité sociale prévoyait cependant seulement « l’envoi par l’organisme chargé du recouvrement des cotisations d’un avis adressé à l’employeur ou au travailleur indépendant par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception ».

Certains juges du fond ont retenu que la qualité d’employeur de l’établissement était démontrée dès lors qu’il disposait d’un compte individuel auprès de l’URSSAF et qu’il procédait au paiement de ses cotisations sociales :

« La Société communique toutefois des pièces qui permettent d’établir d’une part que chaque établissement est régulièrement identifié au moyen d’un numéro de SIRET propre (Système d’Identification du Répertoire des ETablissements) et d’autre part qu’il dispose d’un compte individuel auprès de l’URSSAF et au moyen duquel les déclarations et paiements ne sont pas effectués par la Société de manière indifférenciée.
L’examen des numéros de compte bancaires à partie desquels le paiement des cotisations étaient effectués en 2015 permet par ailleurs d’établir que le compte bancaire ouvert du nom du siège social de la société requérante, situé à Neuilly sur Marne, n’est pas le même que celui de ses établissements, de sorte que la comptabilité entre le siège social et les établissements était manifestement tenue de manière séparée […]
Aussi, au sein du droit de la sécurité sociale, résulte-t-il de ce qui précède que chaque établissement de la Société concerné par la présente procédure est un employeur dès lors qu’il est démontré qu’il déclare les salaires et paie ses cotisations de manière individuelle.
Il appartenait à l’URSSAF, dans ces conditions, d’adresser à chacun de ces établissements, un avis de contrôle individuel
 » [7].

« En l’espèce, la Société communique toutefois des pièces qui permettait d’établir que chaque établissement dispose d’un compte individuel auprès de l’URSSAF, est identifiable au moyen d’un numéro SIRET propre et procède individuellement aux déclarations dématérialisées des éléments de salaire et d’effectif nécessaire au calcul des cotisations [8]. De même, l’examen du journal des règlements produits tant pour le siège social que pour l’établissement situé dans les Yvelines de février 2018, permet d’établir que les paiements de cotisation s’effectuent à partir d’entités portefeuille et de compte distincts, propre à chaque établissement.
En considération de ce qui précède, il convient de reconnaître à chacun des établissements de la société concernés par la présente procédure la qualité d’employeur dès lors qu’il apparaît démontré qu’il déclare les salaires et paie les cotisations de manière individuelle.
Il appartenait par conséquent à l’URSSAF d’adresser à chacun de ces établissements un avis de contrôle individuel
 » [9].

Cette position est, cependant, contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le fait pour un établissement de disposer d’un numéro de cotisant particulier et de procéder à la déclaration de ses cotisations sociales [10] ou de les régler [11] n’est pas suffisant pour caractériser la qualité d’employeur de cet établissement.

Pour se conformer aux exigences de la Cour de cassation, certaines sociétés ont étayé leur démonstration en produisant des bulletins de paie et des contrats de travail sur lesquels apparaissaient les établissements, identifiés par leur adresse et leur numéro SIRET.

Plusieurs juridictions fond ont considéré que la mention de l’établissement sur les bulletins de paie et les contrats de travail permettait de démontrer sa qualité d’employeur :

« En l’espèce, outre le fait que l’établissement de Laval a la qualité d’employeur au sens du droit du travail, preuve en est l’ensemble des bulletins de paie et contrats de travail produits dans le cadre du délibéré, il doit également être considéré comme étant celui tenu au paiement des cotisations et contributions, au sens du droit de la sécurité sociale. En effet, d’une part c’est l’établissement de Laval qui a annuellement rempli la déclaration sociale nominative et d’autre part c’est sur un compte propre à l’établissement que le paiement des cotisations a été imputé in fine par le siège social […] L’existence d’une centralisation du paiement des salaires et donc des cotisations au niveau du siège social ne suffit pas en soi à faire du siège social la personne morale tenue au paiement des cotisations et contributions sociales […]
Il s’ensuit qu’un avis de contrôle aurait dû être envoyé à l’établissement de Laval et qu’à défaut le contrôle doit être annulé
 » [12].

« La Société précise que l’établissement de Marly est identifié par un numéro de SIRET propre, qu’il procède en sa qualité d’employeur à la déclaration et au paiement de ses cotisations sociales, pour en justifier elle produit des bulletins de paie de l’établissement des années 2014 et 2015, force est de constater que l’employeur repris sur les bulletins est l’établissement, que le bulletin de paie reprend le numéro de SIRET de l’établissement, qu’il y est également indiqué l’adresse de l’URSSAF gestionnaire de cet établissement […], que chacun de ces deux autres établissements ont des adresses différentes ainsi que des codes URSSAF différents.
Il convient donc de constater qu’il existe un processus de versement des cotisations et des salaires pour chacun des établissements en des lieux différents, les établissements disposant chacun d’un numéro de compte et d’un numéro SIRET propre.
Dès lors au vu de ces éléments, la qualité d’employeur devait être retenue à la personne qui est en charge des obligations afférentes au paiement des cotisations et contributions qui font l’objet du contrôle, l’établissement devait être destinataire de l’avis de contrôle, pour lui permettre notamment d’être informé de la date de la première visite de l’inspecteur du recouvrement, d’organiser sa défense ou d’être encore assisté du conseil de son choix, que l’établissement n’a reçu aucune information et ne pouvait aucunement se préparer à la visite, la seule date communiquée étant la visite au sein de la société
 » [13].

Plus récemment, le Pôle social du TGI de Limoges a jugé qu’un établissement qui procède au paiement de ses cotisations sociales et apparaît comme l’employeur sur les contrats de travail et les bulletins de paie des salariés est doté de la qualité d’employeur et doit, par conséquent, être destinataire de l’avis de contrôle :

« Cependant, la société justifie par les pièces produites de ce que l’établissement de Limoges identifié par son propre numéro SIRET dispose de son propre numéro de compte URSSAF et procède directement au paiement de ses cotisations sociales.
Il s’ensuit que l’établissement de Limoges est bien tenu aux obligations afférentes au paiement des cotisations et contributions qui font l’objet du contrôle.
La société produit par ailleurs les contrats de travail, les bulletins de salaire sur lesquels l’établissement de Limoges apparaît comme l’employeur des salariés.
En considération de l’ensemble de ces éléments, la qualité d’employeur sera reconnue à l’établissement de Limoges qui devait par voie de conséquence être destinataire de l’avis individuel de contrôle de l’URSSAF du Limousin.
Il s’ensuit que les opérations de contrôle de l’URSSAF seront annulées ainsi que la mise en demeure du 20 décembre 2016
 ». [14].

« La société fait valoir et justifie de ce que l’établissement de Saint Junien, identifié par son numéro SIRET et son numéro de compte URSSAF propre, procède directement au paiement de cotisations sociales ; que cet établissement apparaît comme l’employeur des salariés de l’établissement sur les bulletins de salaire ainsi que les contrats de travail et qu’i procède enfin directement aux déclarations d’embauche des salariés auprès de l’URSSAF.
En outre, l’Article L244-2 du code de la sécurité sociale dispose que si la poursuite n’a pas lieu à requête du ministère public, l’avertissement est remplacé par une mise en demeure adressée par lettre recommandée à l’employeur ou au travailleur indépendant.
Or, en l’espèce, une mise en demeure a été adressée à l’établissement de Saint-Junien, pratique quelque peu en contradiction avec celle consistant en l’envoi d’un avis unique de contrôle au siège de la société.
En considération de l’ensemble de ces éléments, la qualité d’employeur sera reconnue à l’établissement de Saint-Junien qui devait par voie de conséquence être destinataire de l’avis individuel de contrôle.
Il s’ensuit que les opérations de contrôle de l’URSSAF seront annulées pour l’établissement de Saint-Junien, ainsi que la mise en demeure du 24 décembre 2015
 » [15].

Cette position semble logique dès lors que dans la majorité des contrôles URSSAF, chaque établissement est également destinataire de sa propre lettre d’observations et de sa propre mise en demeure.

Notons que ces décisions, qui ne sont pas définitives, n’ont vocation à s’appliquer qu’aux contrôles engagés avant le 1er juillet 2016.

Depuis le 1er juillet 2016, date d’entrée en vigueur du décret n°2016-941 du 8 juillet 2016, l’Article R243-59 du Code de la sécurité sociale spécifie, en effet, que « lorsque la personne contrôlée est une personne morale, l’avis de contrôle est adressé à l’attention de son représentant légal et envoyé à l’adresse du siège social de l’entreprise ou le cas échéant à celle de son établissement principal, telles que ces informations ont été préalablement déclarées ».

Alexandra Dabrowiecki avocat, cabinet MGG VOLTAIRE
et Marine Musa avocat, cabinet MGG VOLTAIRE

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Notes de l'article:

[1CA Limoges, 23 janvier 2018, n° 17/00303 ; TASS Bobigny, 14 sept. 2018, n° 18-00563/B à n° 18-00568/B ; TASS Bobigny, 18 sept. 2018, n° 18-00628/B ; TGI Arras, pôle social, 15 mars 2019, n° 17/00348 ; TGI Valenciennes, pôle social, 29 mars 2019, n° 19/00202, à n° 19/00204 ; TGI Nanterre, pôle social, 17 avr. 2019, n° 19/279.

[2Cass. 2e civ. 4 avril 2019, n°18-14.142.

[3Cass. 2e civ. 25 avr. 2013, n° 12-30.049.

[4Cass. 2e civ., 10 oct. 2013, n° 12-26.586 ; Cass. 2e civ., 3 avr. 2014, n° 13-11.516.

[5Cass. 2e civ. 4 avril 2019, n°18-14.142.

[6Cass. 2e civ. 6 novembre 2014, n°13-23.433 ; Cass. 2e civ. 2 avril 2015, n°14-14.528 et 14-14.529.

[7TASS Bobigny, 14 septembre 2018, n°18-00563/B à 18-00568/B.

[8Récapitulatif - DUCS URSSAF de janvier 2018.

[9TGI Nanterre Pôle social, 17 avril 2019, n°19/279.

[10Cass. 2e civ. 4 mai 2017, n°16-14.144.

[11Cass. 2e civ. 9 mars 2017, n°16-12.133.

[12TASS Laval, 27 décembre 2018, n°21700092.

[13TGI Valenciennes Pôle social, 29 mars 2019, n°19/00201.

[14TGI Limoges Pôle social, 19 décembre 2019, n°18/00206.

[15TGI Limoges Pôle social, 30 janvier 2020, n°18/00189.

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