Dans toute société et notamment dans les sociétés anonymes, il arrive assez fréquemment que les dirigeants sociaux cumulent leur mandat avec un contrat de travail. A cet égard le principe général est clair : l’existence d’un mandat social n’est pas exclusive de l’existence d’un contrat de travail dès lors que ce contrat correspond à un emploi effectif [1] . Cette position est d’ailleurs confortée par une jurisprudence constante. [2]
Ce cumul souhaité est cependant sources de difficultés en ce qui concerne le cas spécifique du directeur général.
A ce propos, le 08 mars 2012 [3], la Cour commune de justice et d’arbitrage [4] s’est prononcée sur la question du cumul du mandat de directeur général de société anonyme avec conseil d’administration et d’un contrat de travail.
En l’espèce, après avoir exercé pendant deux ans et demi les fonctions de directeur général, le demandeur signa un « contrat de travail ».
Par la suite, une réunion du conseil d’administration décida de mettre un terme à son mandat de directeur général.
Dans sa déclaration faite au cours de cette même réunion du conseil d’administration que sa « révocation et la rupture unilatérale du contrat en question relève de l’infraction de licenciement abusif et des sanctions qui s’y rapportent dont celle de l’obligation à indemniser la victime. », il saisit le juge social pour faire juger que sa révocation constituait un licenciement abusif et lui allouer en conséquence une réparation totale.
Il intenta alors une action en justice devant le Tribunal de travail aux fins de percevoir, par l’invocation de l’existence du contrat de travail qu’il avait conclu, des indemnités pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse. La Cour d’appel, saisie de l’affaire, rend un arrêt par lequel elle tranche en faveur des prétentions de l’ex-directeur général. La société s’est dès lors pourvue en cassation et fit grief à l’arrêt d’appel d’avoir porté atteinte au principe d’ordre public de la libre révocation du mandat.
La CCJA s’est donc trouvée confrontée à la question de savoir quels sont les effets que peuvent entraîner l’exercice d’un mandat social, à savoir celui de directeur général, cumulativement avec un contrat de travail conclu postérieurement par l’intéressé. C’est à cette question que la CCJA est venue apporter une réponse en rendant un arrêt le 08 mars 2012 par lequel elle casse l’arrêt d’appel et se justifie dans son dispositif en énonçant : « qu’en signant un contrat avec X pour garantir la stabilité d’un mandat qu’il exerçait déjà depuis plus de deux ans, M. Y a procédé à un pacte qui n’avait pour finalité ou pour effet que de restreindre ou d’entraver la révocation ad nutum du directeur général de X qu’il était, et se ménager ainsi un préavis contraire au principe de la révocabilité ad nutum ; … qu’un tel contrat, qui ne correspond à aucun emploi effectif exercé cumulativement avec la fonction de Directeur général, distinct du mandat de directeur général de société anonyme au sens de l’article 426 susvisé et conclu dans le seul objectif de contourner la rigueur d’un principe d’ordre public, ne revêt aucune valeur juridique ».
Cette décision est en tout en point conforme avec le principe de la révocabilité ad nutum des organes de direction notamment le directeur général prévue par la législation OHADA en la matière [5].
Il se dégage de la solution retenue par la CCJA dans cet arrêt que le contrat de travail conclu dans le seul objectif de contourner la rigueur du principe d’ordre public de révocabilité ad nutum du mandat social ne revêt aucune valeur juridique
Afin de pousser davantage notre réflexion, imaginons une hypothèse d’école en sens inverse. Quid du cumul dans le cas de figure où le contrat de travail est antérieur à la nomination aux fonctions de directeur général ?
En vertu du lien de subordination inhérent à tout contrat de travail, les fonctions salariées sont distinctes du mandat social. Un directeur général ne saurait être salarié « sous sa propre autorité ». N’étant pas en tant que tel un salarié. Il est exclu de facto du champ d’application du travail [6]
La nomination au poste de directeur général opère dès lors une novation expresse dans la mesure où le mandat social vient se substituer au contrat de travail [7].
Même dans ce cas de figure, le cumul nous semble impossible. La révocation ad nutum demeurant la règle.
Toutefois, le principe de la libre révocation ne peut s’exercer sans le strict respect d’un certain nombre de règles notamment : le principe du contradictoire, l’obligation de loyauté.
Il a été jugé dans une espèce que si la révocation peut intervenir à tout moment, elle peut cependant se révéler abusive et ouvrir la voie aux dommages-intérêts dès lors qu’elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation ou à l’honneur de la personne démise ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l’obligation de loyauté dans l’exercice du droit de révocation [8].
Il est donc impératif que les administrateurs s’imprègnent des règles juridiques régissant le fonctionnement des sociétés au regard des risques encourus. C’est d’ailleurs l’occasion de joindre notre voix à celle du Cercle Montesquieu dans le plaidoyer que mène cette association en faveur de la nomination de professionnels du droit dans les conseils d’administration [9].
Discussions en cours :
Je note que cet article assez brillant essaie de faire un distinguo entre le contrat de travail d’un dirigeant social et le mandat qui peut lui être donné par le conseil d’administration.
Il s’agit en effet de deux modes de désignation des dirigeants sociaux dans une société anonyme ; la difficulté pour ma part peut résulter de la relation intrinsèque du directeur général
avec l’entreprise qu’il est appelé à diriger. En tout état de cause qu’il ait un contrat de travail ou simplement un mandat obtenu du conseil d’administration ou de la collectivité des associés ; la révocations du directeur général à mon sens est soumises aux mêmes conditions. Car toute révocation ad notum faite avec une légèreté blâmable donne droit à réparation au même titre que la rupture abusive d’un contrat de travail qui constitue un licenciement abusif.
A ce niveau le contrat de travail comme le mandat que pourrait cumuler le Directeur Général d’une société anonyme ne constituent aucune difficulté à partir du moment où la fonction de Directeur d’entreprise correspond à un emploi effectif dans une société anonyme.
La question peut être intéressante davantage dans le cas où le Directeur Général est un associé nommé par le conseil d’administration qui obtient par la suite un contrat de travail.
En tout état de cause cette question touche en même temps le droit travail encore non harmonisé dans l’espace OHADA , et le droit de sociétés réglementé par l’acte uniforme y relatif ; ce qui est assez intéressant ; il convient de se demander si la CCJA avait plénitude de compétence pour statuer en l’espèce ?
JJ Ebelé, c’est ma question en effet : comment la CCJA a pu eu compétence pour statuer dans cette affaire que je crois avoir lu a commencé devant l’instance sociale ?
A la suite des divers échanges, je suis tenté de penser que la juridiction compétente est le Tribunal de Première ou de grande instance en fonction de l’intérêt du litige, statuant en matière commerciale.
la cour d’appel de Dakar ne s’est pas prononcée en faveur de l’ex Directeur, elle s’est prononcée au contraire en faveur de la société en déclarant le tribunal du travail qui avait condamné la société pour licenciement abusif incompétent.
Je crois que la juridiction sociale n’est pas compétente en l’espèce car il ne semble pas y avoir un travail effectif. Sans travail effectif pas de possibilité d’existence d’un contrat de travail. Les juridictions commerciales nationales auraient dû trancher ce litige qui trouve sa solution dans l’Acte uniforme ce qui rend la CCJA compétente en cassation. C’est l’AUSCGEI qui dispose que le cumul d’un mandat social avec un contrat de travail n’est possible que si ce contrat est conclu pour un travail effectif.