Entretien annuel/professionnel : modalités et conséquences sur la carrière du salarié.

Par M. Kebir, Avocat et Brando Marcolini, Juriste-Stagiaire.

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Explorer : # entretien d'évaluation # entretien professionnel # obligations de l'employeur # conséquences juridiques

S’inscrivant dans une logique de suivi de la carrière du salarié, l’entretien annuel d’évaluation, loin d’être une formalité, procède d’une clarification et évaluation des objectifs, ainsi que la mise en évidence des attentes quant à la bonne exécution du contrat de travail.

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L’entretien d’évaluation, réalisé souvent annuellement, fait naître des conséquences juridiques. Dans un arrêt récent, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé, à ce titre, qu’un mauvais compte rendu d’entretien d’évaluation pouvait constituer un avertissement [1] :

« Après avoir relevé que, dans son compte rendu d’entretien, l’employeur reprochait au salarié son attitude dure et fermée aux changements (...) et l’invitait de manière impérative et comminatoire et sans délai à un changement complet et total, la cour d’appel en a exactement déduit que ce document comportant des griefs précis sanctionnait un comportement considéré comme fautif et constituait un avertissement ».

L’entretien professionnel, institué par la loi du 5 mars 2014 [2], se décline en un entretien tous les deux ans et un entretien d’état des lieux tous les 6 ans [3].

Au fond, ces rencontres entre l’employeur dépositaire du pouvoir de direction et le salarié, reposent sur des régimes distincts. Les conflits y afférents résultent, souvent, de la méconnaissance de cadre.

L’objectif assigné aux entretiens.

Afin d’accorder des promotions ou augmentations de façon ciblée, l’employeur peut organiser des entretiens individuels d’évaluation. Cela relève de son pouvoir de direction, et découle de l’obligation d’adaptation du salarié à son poste de travail [4]. Tout comme l’entretien professionnel, lequel diffère cependant sur le plan des objectifs et sur le caractère obligatoire.

D’une part, l’entretien d’évaluation peut porter sur la charge de travail du salarié, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié. D’où il suit que son utilité est d’autant plus justifiée du point de vue de la santé au travail et la gestion des ressources humaines.

D’autre part, l’entretien professionnel est régi par l’Article L6315-1.1 du Code du travail : « (..) ne porte pas sur l’évaluation du travail du salarié. Cet entretien comporte également des informations relatives à la validation des acquis de l’expérience (VAE), à l’activation par le salarié de son compte personnel de formation (CPF), aux abondements de ce compte que l’employeur est susceptible de financer et au conseil en évolution professionnelle (CEP) ».

A cet égard, un arrêt de la Cour de Cassation du 6 juillet 2016 [5] a précisé les contours de l’entretien professionnel : un temps d’échange sur l’évolution professionnelle du salarié au sens large, ne se bornant pas au recueil des souhaits en matière de formation.

Dès lors, cet entretien ne peut porter sur l’évaluation du salarié. Celui-ci peut cependant servir, outre les prévisions de l’article L6315-1.1 CT, à discuter du projet professionnel du salarié, ses besoins de formation, ses possibilités de développement des compétences ainsi que d’une éventuelle mobilité.

Sont-ils obligatoires ?

À défaut d’un encadrement par le Code du travail, l’employeur n’est pas soumis, dès lors, à l’obligation d’organiser les entretiens individuels d‘évaluation. Sauf quand telle obligation est issue d’un accord collectif. Par exemple, dans le notariat, la convention collective du 19 février 2015 dispose, en son article 16 : « un entretien individuel d’évaluation a lieu chaque année dans le courant du premier semestre civil » [6].

De plus, même si l’entretien d’évaluation prend souvent la forme d’un entretien annuel, il est loisible à l’employeur de choisir librement la fréquence et le moment de l’année propice. Par ailleurs, le même entretien ne requiert aucune forme écrite, alors que l’entretien professionnel donne lieu à la rédaction d’un document dont une copie est remise au salarié [7].

En cela, en application de l’article L6315-1 Code du travail, l’entretien professionnel est obligatoire tous les deux ans, depuis la loi du 5 mars 2014 : « A l’occasion de son embauche, le salarié est informé qu’il bénéficie tous les deux ans d’un entretien professionnel avec son employeur ».

« L’employeur doit également recevoir systématiquement en entretien professionnel les salariés de retour de congé maternité, paternité ou d’adoption ; de congé parental, d’un congé sabbatique ou d’une période de mobilité volontaire ; qui reprennent un travail à temps plein après une activité à temps partiel ; à l’issue d’un mandat syndical ; ayant été absents du fait d’un long congé maladie ».

En substance, il s’agit là d’une obligation de l’employeur quand bien même les salariés n’en font pas la demande. De sorte que l’employeur ne peut pas s’exonérer de cette obligation même s’il estime que former le salarié n’est pas nécessaire en raison de sa situation [8].

A cet égard, l’entreprise qui s’y soustrait peut être condamnée à verser des dommages et intérêts. Toujours est-il que l’employeur ne peut fusionner l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation puisqu’il s’agit d’un manquement assorti de sanctions [9].

S’agissant du contenu et projections s’y rapportant, il est prévu à l’article L6315-1.2 Code du travail que :
- « Tous les six ans, l’entretien professionnel (…) fait un état des lieux récapitulatif du parcours professionnel du salarié. Cette durée s’apprécie par référence à l’ancienneté du salarié dans l’entreprise.
- Cet état des lieux, permet de vérifier que le salarié a bénéficié au cours des six dernières années des entretiens professionnels et d’apprécier s’il a :
- 1° Suivi au moins une action de formation ;
- 2° Acquis des éléments de certification par la formation ou par une validation des acquis de son expérience ;
- 3° Bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle
 ».

En termes de sanctions, l’article L6315-1.3 du même code prescrit que « si au cours des 6 années le salarié n’a pas bénéficié des entretiens prévus et d’au moins d’une formation formation autre que celle mentionnée à l’article L6321-2 (donc une formation non obligatoire), son CPF est abondé ». Ce principe prévoit une exception : « Un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche peut définir un cadre, des objectifs et des critères collectifs d’abondement par l’employeur du CPF des salariés ».

Pour les entreprises de plus de 50 salariés, la somme abondée est de 3 000 euros. Les entreprises de moins de 50 salariés échappent à cette sanction, mais les salariés concernés pourraient solliciter des dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de formation et d’adaptation [10].

Ces critères semblent donc cumulatifs. Or, la Cour d’appel de Paris a jugé dans un arrêt du 2 décembre 2020 [11], par une interprétation de la version d’L6315-1 CT antérieure à la loi Avenir, qu’un salarié n’ayant pas bénéficié des entretiens prévus mais ayant eu une augmentation salariale ou une formation complémentaire n’a pas le bénéfice du versement des abondements.

Cet entretien récapitulatif aurait dû avoir lieu le 30 juin 2021 au plus tard pour les employés embauchés avant juillet 2015. Toutefois, la loi du 31 mai 2021 sur la gestion de la crise sanitaire a suspendu les dispositions sur l’obligation de payer l’abondement correctif [12] :

« Les dispositions qui prévoient un abondement correctif au compte personnel de formation (CPF) du salarié, si celui-ci n’a pas bénéficié des obligations prévues, sont suspendues jusqu’au 30 septembre 2021. L’abondement correctif devra être effectué à partir du 1er octobre 2021 et avant le 1er mars 2022, date limite de versement du solde de la contribution à la formation professionnelle ».

Écueils des entretiens d’évaluation.

Bien qu’il puisse organiser un entretien d’évaluation en vertu de son pouvoir de contrôle, l’employeur doit observer néanmoins des règles essentielles.

Depuis l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 10 juillet 2002 [13], le dispositif d’évaluation doit être porté préalablement à la connaissance des salariés.

Dans le même ordre d’idée, l’article L1222-3 CT pose une obligation d’information à la charge de l’employeur :
- « Le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d’évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard ;
- Les résultats obtenus sont confidentiels
 ».

De surcroît, aucune information concernant personnellement le salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance [14].

Si l’employeur en a informé le salarié, il peut, dès lors, recueillir des données personnelles en prévision de l’entretien d’évaluation, conformément aux normes fixées par le RGPD et la loi informatique et libertés du 6 Janvier 1978 [15] modifiée par la loi du 20 Juin 2018 [16].

Par ailleurs, à cet effet, les instances représentatives du personnel ont vocation à accompagner le salarié. Ainsi, le CHSCT (devenu le CSSCT) doit être consulté en ce que l’entretien peut être facteur de stress [17].

En outre, les méthodes d’évaluation doivent être licites :
- Le système d’évaluation doit reposer sur des critères permettant une évaluation objective et contradictoire [18] ;
- Les méthodes et les techniques d’évaluation doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie [19] ;
- Les informations demandées doivent avoir pour seule finalité l’évaluation des aptitudes professionnelles [20] ;
- La prise en compte de critères comportementaux dans l’évaluation doit être précisée et exclusivement professionnelle, dans un souci d’objectivité. Si cela n’est pas le cas, l’évaluation peut être suspendue [21].

L’employeur doit être vigilant quant à la discrimination, notamment en matière syndicale :
- Si l’employeur décide de mettre en place un système d’évaluation, celui-ci doit concerner l’ensemble des salariés de l’entreprise [22] ;
- L’employeur ne peut prendre en compte l’appartenance à un syndicat ou l’exercice d’une activité syndicale dans l’évaluation professionnelle du salarié [23] ;
- Les fiches d’évaluation faisant mention d’une disponibilité réduite du salarié du fait de ses fonctions syndicales laissent présumer l’existence d’une discrimination [24].

En clair, eu égard aux enjeux susmentionnés, ces entretiens, menées avec tact, délicatesse et parcimonie, sont susceptibles de constituer sinon un tournant du moins un cap significatif dans le parcours du salarié.

Portée et conséquences.

L’intérêt du salarié commande que celui-ci se rende à un entretien d’évaluation.

Déclinaison de son pouvoir de direction, l’employeur est fondé à l’organiser à un moment de son choix. La chambre sociale de la Cour de Cassation retient, dans un arrêt du 10 juillet 2002, que le refus réitéré de se rendre à cet entretien constitue une faute qui peut être sanctionnée par un licenciement [25].

En cas d’évaluation positive, l’employeur pourrait dans certains cas octroyer une augmentation, une prime, voire une promotion au salarié.

Si l’évaluation est peu satisfaisante, aucune rétrogradation ou baisse de salaire ne peuvent être décidées unilatéralement par les parties, pour la raison que ce sont là deux éléments essentiels du contrat de travail, soumis à l’acceptation du salarié [26].

Qui plus est, l’entretien d’évaluation ne saurait constituer une cause d’un licenciement prononcé pour insuffisance professionnelle.

Sur ce point, la Haute juridiction a jugé dans un arrêt récent [27] qu’un compte-rendu d’entretien annuel d’évaluation, dans lequel l’employeur reproche au salarié son attitude dure et fermée aux changements, peut être interprété comme un avertissement, de telle sorte que les mêmes faits ne peuvent plus justifier un licenciement ultérieur.

En outre, depuis l’arrêt de la chambre sociale de la Cour régulatrice du 22 mars 2011 [28], si l’entretien d’évaluation d’un salarié est positif, cela peut contredire un licenciement pour insuffisance professionnelle en le privant de cause réelle et sérieuse.

En somme, l’entretien professionnel et l’entretien d’évaluation sont donc très différents sur un grand nombre de points.

L’entretien professionnel est très encadré, avec des conditions très strictes et un risque de dommages et intérêts pour l’entreprise si elles ne sont pas respectées.

L’entretien d’évaluation est quant à lui moins encadré, la loi ne l’impose pas même si elle dispose d’une limite importante : l’information des salariés des méthodes d’évaluation ainsi que l’utilisation de méthodes objectives, transparentes et non discriminatoires.

Cet entretien n’est pas un réquisitoire contre le travail du salarié lors de l’année écoulée, mais une libre discussion en collaboration entre l’employé/manageur et le salarié, afin de trouver conjointement les moyens pour rendre meilleure la relation de travail.

Pour conclure, il résulte de ce panorama jurisprudentiel que l’évaluation des salariés est une pratique de plus en plus généralisée. La jurisprudence l’envisage sous l’angle du pouvoir de direction - strictement encadré. Le lien de subordination s’accompagne aussi de la garantie du bien-être du salarié et la pleine promotion de sa carrière ; gage de performance pour l’entreprise.

Il va de soi que les litiges y afférents peuvent trouver une issue apaisée, rapide, qui plus est moins coûteuse. A travers la médiation et plus généralement les MARD.

Me. Kebir
Avocat à la Cour - Barreau de Paris
Médiateur agréé, certifié CNMA

et Brando Marcolini, Juriste-Stagiaire

Cabinet Kebir Avocat
E-mail : contact chez kebir-avocat-paris.fr
Site internet : www.kebir-avocat-paris.fr
LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

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Notes de l'article:

[1Cass. soc. 2-2-2022 n° 20-13.833.

[2Loi n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale.

[3Article L6315-1 Code du travail.

[4Art. L6321-1 CT.

[5Cass, soc, 6 juillet 2016, n° 15-18.419.

[6Nouvelle convention collective nationale du notariat du 19 février 2015, Accord du 19 février 2015 portant actualisation et consolidation de la convention nationale du notariat du 8 juin 2001.

[7Article L6315-1 Code du travail.

[8Cass. soc., 8 juillet 2020, n°19-12.105.

[9Dommages et intérêts versés aux salariés, Cass. Soc. 6 juillet 2016, N° 15-18.419.

[10Article L6321-1 Code du travail.

[11CA Paris, pôle 6 - ch. 10, 2 déc. 2020, n° 18/05343.

[12Ministère du Travail, Covid-19 : adaptation du dispositif des entretiens professionnels.

[13Cass. Soc. 10 juillet 2002, pourvoi n°00-42.368.

[14Article L1222-4 Code précité.

[15Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

[16Loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles.

[17Cass.Soc. 28 novembre 2007 n 06-21964.

[18Cour d’Appel de Versailles, 26 mai 2011 n° 09/09814.

[19Article L1222-3 CT.

[20Article L1222-2 CT.

[21Cour d’appel de Toulouse, 21 septembre 2011, 11/00604.

[22Cass. Soc. 23 mars 2011 n°09-72.733.

[23Cour de cassation, chambre sociale, 1er février 2017 n°15-20799.

[24Cour de Cassation, chambre sociale, 11 janvier 2012 n°10-16.655.

[25Cour de Cassation, chambre sociale, 10 juillet 2002, pourvoi n°00-42.368.

[26Article L1222-6 CT.

[27Cour de Cassation, chambre sociale, 2 février 2022 n° 20-13.833.

[28Cour de Cassation, chambre sociale, 22 mars 2011, n° 09-68.693.

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