Parmi les amendements votés par l’Assemblée Nationale, l’un d’eux ajoute la disposition suivante à la loi de 1955 encadrant l’état d’urgence : « Le ministre de l’intérieur peut prendre toute mesure pour assurer l’interruption de tout service de communication au public en ligne provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie » [1].
Ce dispositif est-il nouveau ?
La loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme mettait déjà en place un dispositif de blocage des sites internet provoquant à des actes terroristes ou en faisant l’apologie. D’après ce texte, l’Office Central de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC), rattaché au ministère de l’Intérieur, peut demander le blocage d’un site Internet. Le dispositif prévoit deux phases.
Dans un premier temps, l’autorité administrative demande aux éditeurs et hébergeurs de retirer les contenus litigieux et informe de sa démarche les fournisseurs d’accès à internet.
A défaut de retrait dans les 24 heures, l’autorité administrative demande aux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer l’accès aux sites en cause. Ceux-ci sont alors tenus de réagir « sans délai » sous peine de sanctions [2].
La loi du 13 novembre 2014 prévoit toutefois une garantie : la CNIL est chargée de contrôler la mise en œuvre de ce dispositif. Elle s’assure ainsi du bien-fondé des demandes de retrait ou de blocage que l’OCLCTIC doit lui transmettre et peut saisir le juge administratif en cas d’irrégularité.
Le texte voté en prorogation de l’état d’urgence prévoit un renforcement de ce dispositif. En effet, il ne parle plus de retrait, blocage ou déréférencement mais de « toute mesure pour assurer l’interruption » offrant en pratique des pouvoirs plus larges et le choix des moyens à l’Administration.
Le ministre de l’Intérieur n’est plus non plus soumis à la première phase de 24 heures mais peut désormais exiger le blocage sans délai.
Existe-t-il des recours en cas d’abus ?
Comme le résume parfaitement l’historien François Saint-Bonnet : « Plus la latitude du pouvoir est grande, plus les citoyens doivent être vigilants » [3].
La notion de site « provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie » n’étant pas définie dans la loi, le risque d’interprétations extensives n’est pas nul.
La frontière entre la provocation au terrorisme et la contestation de l’ordre social établi peut être particulièrement difficile à tracer. Des sites contestant ouvertement la politique extérieure de la France ou dont le contenu serait exagérément provocateur ne risqueraient-ils pas d’être censurés ?
Certes, des recours existent : toute personne intéressée par le blocage ou le retrait du site pourra, a posteriori, exercer un recours administratif devant le ministre de l’Intérieur lui-même, ou contester l’abus du gouvernement devant le juge administratif.
Mais en l’absence de contrôle par la CNIL, on peut craindre que les potentiels abus ou censure ne soient jamais dénoncés. Il existerait alors un risque de pouvoir arbitraire. Les mesures d’exception et le renforcement du pouvoir exécutif nécessitent donc d’avoir fortement confiance en ceux qui nous gouvernent.
Qui est responsable du contenu de ces sites ?
Au stade de la sanction, la loi du 26 novembre 2015 ne modifie pas le dispositif antérieur. La loi 13 novembre 2014 prévoit une peine de 7 ans d’emprisonnement et 100.000€ d’amende en cas de provocation directe ou d’apologie d’actes de terrorisme au moyen d’un service de communication au public en ligne [4]. L’auteur du contenu publié sur Internet en est responsable et sera condamné si ce contenu s’avère illicite.
L’hébergeur quant à lui n’a aucune obligation générale de surveillance des contenus stockés par ses soins, mais doit permettre à la justice d’identifier leurs auteurs. Il ne peut être considéré responsable que s’il a eu connaissance de l’existence de contenus présentant un caractère manifestement illicite [5], c’est-à-dire constituant une violation évidente de la loi et s’il n’a pas agi promptement pour retirer ces éléments lorsqu’il en a eu connaissance [6].
Si le contenu litigieux se trouve dans un commentaire, de la même manière, le directeur de publication n’est responsable que s’il en a eu connaissance et n’a pas réagit promptement pour le retirer.
Et dans trois mois ?
Tant que les Français plébisciteront largement les mesures d’exception, comme c’est le cas aujourd’hui, on peut considérer que le renforcement des pouvoirs de l’Administration est avant tout un choix de la volonté générale.
Mais, passé le choc, en ayant à l’esprit que la menace terroriste ne prendra probablement pas fin dans trois mois, qu’en sera-t-il ? Faudra-t-il prolonger de nouveau l’Etat d’urgence et voir l’exception devenir la norme ?
C’est déjà ce qu’a laissé entendre Bernard Cazeneuve, le 30 novembre dernier, lors de l’émission Des paroles et des actes, affirmant qu’il « n’excluait pas » la prolongation de l’état d’urgence au-delà de la période effective de trois mois.
Les craintes d’une dérive liberticide, relayées depuis plusieurs semaines par les syndicats d’avocats et de magistrats, ne relèvent donc peut-être pas du simple fantasme.