Les enjeux juridiques des commotions cérébrales chez les sportifs. Par Vincent Ricouleau, Avocat.

Les enjeux juridiques des commotions cérébrales chez les sportifs.

Par Vincent Ricouleau, Avocat.

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Explorer : # commotions cérébrales # responsabilité juridique # santé des sportifs # prévention

Les commotions cérébrales répétées chez les sportifs professionnels ou amateurs, enfants, adolescents, adultes, entraînent des lésions neurologiques et des handicaps à terme. Les spécialistes sont catégoriques, le principe de précaution, une prévention et une adaptation des règles s’imposent. Mais quelles sont les responsabilités juridiques des acteurs du monde du sport ?

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On connaît depuis longtemps les dommages au cerveau provoqués par les sports de combat, notamment la boxe avec la démence du boxeur.

L’évolution des morphotypes dans d’autres sports, notamment le rugby, le foot masculin, le foot féminin, le hockey sur glace, le foot Us, le basket, entraîne une accélération des courses et une multiplication des impacts.

Le Lancet Neurology a sonné l’alerte après le Mondial. La répétition des commotions cérébrales – avec des pertes de connaissances ou pas - peut générer des encéphalopathies traumatiques chroniques (ETC), une maladie neuro dégénérative avec des lésions cérébrales comparables à celles de la maladie d’Alzheimer, notamment une démence précoce. Les joueurs peuvent aussi souffrir de sclérose latérale amyotrophique ou d’autres séquelles neuro psychiatriques très invalidantes telles une dépression nerveuse, de troubles de la mémoire et de la parole.

Les recherches, notamment les autopsies de certains joueurs, pratiquées par la Boston University School of Medicine confirment l’extrême danger des commotions cérébrales répétées.

La question est fondamentale : l’enjeu sportif peut-il primer sur la santé du sportif ? Quelles sont les responsabilités juridiques des intervenants du monde du sport ? Entraîneurs, arbitres, professeurs de sport, éducateurs, universités, Etat, médecins ?

Aux Etats-Unis, les actions en responsabilité se multiplient. Les directeurs d’écoles et les entraîneurs de clubs des sports sont poursuivis par les parents des enfants, pour défaut de mise en place de procédures de sécurité et de recrutement de préparateurs physiques, formés spécialement à la prévention des commotions cérébrales. Le Concussion blog de Dustin Fink indique quelles sont les législations applicables dans chaque Etat.

Les assureurs américains, inquiets de tels risques, imposent des primes astronomiques.

La ligue de Foot US, la National Foot League, a versé une somme de 765 millions de dollars à 4.500 joueurs après avoir été accusée d’avoir délibérément minimisé les conséquences des commotions cérébrales. Un financement d’un organisme de recherches a même été prévu dans la transaction.

Au Canada, les procès se multiplient aussi. La ligue de hockey sur glace a pris des mesures urgentes suite notamment aux mises en garde de la société canadienne de pédiatrie. L’hôpital de Montréal a même mis au point un kit aidant au diagnostic. Le député canadien Matthew Dubé a déposé un projet de loi concernant les commotions cérébrales dans le sport amateur.

Face à une telle prise de conscience, comment expliquer le retour sur le terrain du joueur de rugby Florian Fritz, quelques minutes après avoir été recousu au front suite à un impact très violent, lors du barrage de top 14 le 10 mai 2014 ?

Ce retour au jeu a démontré l’absence de prise de conscience de certains responsables sportifs et de certains médecins.

Florian Fritz avait subi a priori le questionnaire PSCA visant à diagnostiquer les commotions cérébrales. D’autres tests permettent d’évaluer une commotion cérébrale comme le SCAT 2 (Sport Concussion Assessment Tool), décrit notamment sur le site de la fédération française de hockey sur glace. On constate que les fédérations les plus concernées privilégient l’information et la prévention avec des tests spécifiques. Mais quelle est l’efficacité ? Des actions en responsabilité sont-elles ainsi évitées ?

Rien ne remplace immédiatement après l’impact un examen neurologique pratiqué par un médecin rompu au diagnostic de la commotion cérébrale. Encore faut-il disposer d’un examen neurologique effectué avant la saison afin de faire des comparaisons. La première règle est de faire sortir le sportif de l’aire de jeu afin de ne pas le réexposer à d’autres impacts. Toute action en responsabilité se focalisera sur la prise en charge médicale adaptée ou non aux connaissances médicales actuelles, sur les premiers soins et sur la réexposition du joueur. Il faut savoir aussi qu’un joueur peut souffrir d’une commotion cérébrale sans choc direct à la tête, mais par une onde de choc induite par un impact violent.

« Quand on retourne dans le jeu, on a cinq à sept fois plus de chances de se faire cogner à nouveau ».

Le docteur Dave Ellemberg de l’université de Montréal, précise que lorsque des protocoles de gestion des commotions cérébrales adéquats sont en place, le nombre réel de commotions cérébrales correctement identifiées peut être multiplié par cinq. Un diagnostic exact permet un traitement médical adéquat. Un comportement médical adapté réduit nécessairement le risque de poursuites juridiques.

Le médecin joue un rôle central et engage sa responsabilité juridique au premier plan.

Un médecin, même s’il est le médecin d’un club, d’une structure sportive, ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit.
L’article R.4127-32 du CSP indique que le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents ou des connaissances médicales avérées.

L’article R.4127-34 du CSP rappelle que le médecin doit veiller à la compréhension du patient.

Or, à la suite d’une commotion cérébrale, le sportif n’est pas forcément en état de comprendre la portée des explications médicales et les enjeux.

Le sportif ne peut jamais imposer son retour au jeu.

Toute commotion cérébrale doit être mentionnée dans le dossier médical. Si l’encadrement sportif impose le retour au jeu, le médecin doit absolument consigner son opposition dans le dossier médical. Le médecin doit au besoin alerter l’arbitre si un conflit persiste avec l’entraîneur. Il doit mentionner dans le dossier médical avoir informé l’arbitre des risques médicaux courus par le joueur.

L’article R.4127-34 précise aussi que le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Le médecin doit proposer au joueur de faire un bilan complet, scanner, IRM et surtout des tests neuro psychologiques reproductibles.

Un rappel important est que le joueur a le libre choix du praticien, principe fondamental rappelé aux articles L.1110-8 du CSP et L.162-2 du Code de la sécurité sociale.

Dans la pratique, le médecin est celui du club ou de la Fédération.

Le docteur Ellemberg, à l’instar de nombreux experts, préconise de mettre fin à la pratique sportive d’un joueur après trois commotions.

Ces recommandations médicales fondées sur des recherches non discutables vont avoir des conséquences juridiques extrêmement importantes dans le monde du sport.

Les conséquences d’une fin de carrière anticipée pour un joueur professionnel peuvent en effet être dramatiques tant sur le plan financier que psychologique.

Les préjudices corporels, patrimoniaux, extra patrimoniaux, peuvent être très importants.

Leur indemnisation dépend de nombre de facteurs juridiques, de l’origine du dommage, une faute pénale, un accident du travail, par le gardien d’une chose, par un auteur mineur, majeur, de la mise en cause de l’entraîneur, de la fédération, d’un club, d’une université, de l’arbitre, d’un médecin présent sur le terrain, d’un hôpital…

Opposer au joueur la connaissance des risques de la pratique d’un sport exposé aux commotions cérébrales, n’est pas un argument recevable.

A ce propos, la Cour de Cassation, dans son arrêt du 21 mai 2015, [1] vient de rappeler que la victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384 al 1 à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques. Il s’agissait d’un accident de rallye automobile.

La réinsertion et la reconversion des joueurs dépendront directement de leur état médical.

Clubs, fédérations, assureurs doivent adopter des protocoles.

Des clauses spécifiques dans les contrats de travail des sportifs professionnels sont à l’étude.

Leur rémunération évoluera aussi compte tenu de carrières plus courtes avec un risque médical intégré dans la gestion de la carrière.

Le rôle des syndicats des joueurs doit s’affirmer dans la défense de l’intégrité physique et psychologique de leurs adhérents.

Des experts médicaux doivent se former dans les pathologies cérébrales des sportifs tant pour prévenir que pour soigner.

Le rôle et la responsabilité de l’arbitre vont également évoluer car il doit s’opposer au retour au jeu d’un joueur victime d’une commotion cérébrale pour ne pas aggraver la blessure. Une formation adaptée est nécessaire.

L’objectif médical est que le cerveau ne doit être la cible d’aucun sport.

On en est loin pour le moment.

Mais les actions en responsabilité ne tarderont pas à mettre au pas les récalcitrants.

Aucun intervenant du monde du sport n’est sensé ignorer la médecine.

Reste à savoir si certaines règles de jeu dans les sports les plus exposés seront modifiées sans dénaturer la discipline, en vertu du principe de précaution, fondamental en la matière.

Bibliographie :

Dustin Fink The concussion blog

Decq Philippe, professeur de neurochirurgie, l’encéphalopathie chronique post traumatique – traumatologie, physiopathologie des conséquences des commotions cérébrales répétées- Congrès de la société française de neurochirurgie -

Webside Center Studies Chronic Traumatic Encephalopathy – Boston University Alzheimer Disease Center –

Webside Brain Legacy Institute

Webside Sport Legacy Institute

Actes du colloque CNOSF sur la commotion cérébrale en pratique sportive – 8 février 2012 – analyse du professeur de droit de la santé Vialla François –

Le quotidien du médecin – L’encéphalopathie traumatique chronique chez 36 athlètes décédés – docteur Béatrice Vuaille

Florian Fritz – Youtube –

Dave Ellemberg – les commotions cérébrales dans le sport – une épidémie silencieuse – les éditions Québec Livre -

Webside Société Canadienne de Pédiatrie

Webside du député canadien Matthew Duré
Chicago Tribune, NFL, Players agree to settle concussion lawsuit.

Vincent Ricouleau
Professeur de droit -Vietnam -
Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières -
Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d\\’évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5)

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[12 ème Civ, 21 mai 2015 n°14-14812.

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