Licenciement pour insuffisance professionnelle : conditions et réalisation des objectifs.

Par M. Kebir, Avocat.

9214 lectures 1re Parution: 3.71  /5

Explorer : # licenciement # insuffisance professionnelle # compétence # formation

Rattachée à la "compétence" du salarié dans l’exécution des missions contractuelles, la motivation du licenciement pour insuffisance professionnelle requiert prudence et rigueur.
En outre, incombant à l’employeur, la preuve de l’incompétence doit démontrer que le licenciement est consécutif à l’insuffisance présumée. Laquelle est nécessairement imputable au salarié, présentant par ailleurs une certaine gravité.

-

Contrairement à la rupture fautive aux torts du salarié, l’insuffisance professionnelle ne sera fondée que si le grief, relatif au manque de compétence invoqué - une cause réelle et sérieuse - est suffisamment précis et matériellement vérifiable, au travers des éléments concrets et objectifs.

L’insuffisance professionnelle est, dans certains cas, une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Concrètement, le salarié n’est pas en mesure d’exécuter ses missions, conformément aux attentes raisonnables de l’entreprise.

Au fond, l’insuffisance est appréciée au cas par cas, susceptible de constituer un motif personnel de licenciement.

A la différence des aux autres motifs de licenciement, l’insuffisance professionnelle repose sur une motivation propre inhérente, non pas à une quelconque faute, mais à l’écart entre la compétence du salarié et les exigences du poste.

Aussi est-elle exclusive de toute faute : le régime juridique applicable n’est pas celui appliqué au licenciement pour motif disciplinaire.

Sur le terrain procédural, la procédure de licenciement relève du droit commun [1].

Pour constituer une cause réelle et sérieuse (Voir notre publication Licenciement sans faute : la voie étroite de rupture pour insuffisance de compétence ou de résultats), l’insuffisance professionnelle doit être prouvée par des éléments concrets, objectifs, vérifiables, imputables au salarié [2].

Dit autrement, la preuve, à la charge de l’employeur, repose nécessairement sur :

  • des faits précis
  • vérifiables, prouvant l’existence de cette insuffisance (Horaires, échanges écrits, rapports etc…).

En cela, il est écarté le "manque d’imagination, d’initiative et de dynamisme commercial" [3].

Pour le dire autrement, à chaque fois que l’insuffisance professionnelle n’est pas établie, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse [4].

Licenciement pour insuffisance professionnelle : illustration de l’"incompétence".

S’agissant des cas d’ouverture, le motif de l’insuffisance professionnelle est fonction du poste. Quelques motifs admis :

  • l’inadaptation professionnelle [5]
  • l’incompétence [6] : un cadre qui ne peut pas assumer les responsabilités lui incombant
  • la désorganisation et le travail insuffisant [7]
  • le manque de qualification nonobstant l’effort fourni par l’employeur, en termes de formation.

Par une une appréciation souveraine, le juge prend en compte notamment :

  • la réalité des reproches formulés
  • la carrière
  • la nature des missions
  • la qualification professionnelle/ ancienneté…

Par ailleurs, l’employeur qui licencie un salarié pour insuffisance professionnelle doit avoir respecté son obligation de formation et d’adaptation du salarié à l’évolution de son poste de travail conformément aux dispositions de l’article L6321-1 Code du travail :

"L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations.
Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu’à la lutte contre l’illettrisme, notamment des actions d’évaluation et de formation permettant l’accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret.
Les actions de formation mises en œuvre à ces fins sont prévues, le cas échéant, par le plan de développement des compétences
" [8].

En ce sens, les erreurs du salarié ne doivent pas être imputables à un manque de formation. Qui plus est, l’employeur doit adapter le travail à l’Homme [9].

Du reste, l’insuffisance professionnelle est distincte de l’insuffisance de résultats : la seule insuffisance de résultats n’est pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement :

"Aucune clause du contrat de travail ne peut valablement décider qu’une circonstance quelconque constituera une cause de licenciement ; qu’il appartient au juge d’apprécier, dans le cadre des pouvoirs qu’il tient de l’article L122-14-3 du Code du travail, si les faits invoqués par l’employeur dans la lettre de licenciement peuvent caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors qu’il lui appartenait d’apprécier, d’une part, si les objectifs, fussent-ils définis au contrat, étaient réalistes, d’autre part, si la salariée était en faute de ne pas les avoir atteints, la cour d’appel, qui a méconnu ses pouvoirs, a violé le texte susvisé
" [10].

Insuffisance professionnelle et obligation d’adaptation de l’employeur.

Tel que rappelé plus haut, eu égard aux dispositions de l’article L6321-1 du Code du travail, l’employeur doit assurer l’adaptation de ses salariés à leur poste de travail.

Concrètement, il lui incombe de proposer aux salariés les actions de formation nécessaires, adaptées et conformes aux exigences du poste et l’évolution légitime de la carrière du salarié.

Sur ce fondement, l’insuffisance professionnelle serait opérante seulement et seulement si les moyens en termes de formation et de temps d’adaptation lui sont assurés.

En conséquence, tel n’est pas le cas lorsque l’employeur n’a pas mis en œuvre la formation spécifique et l’accompagnement suffisants qu’exigeait l’exécution de tâches consécutives à l’évolution du poste :

"La fonction de responsable d’exploitation n’impliquait pas celle d’exécuter la préfacturation informatique confiée à la secrétaire que le salarié avait dû remplacer à compter du mois de février 2003 en raison d’un congé-maladie de longue durée, sans autre formation informatique que celle de deux jours dispensée en mai 2002 aux directeurs régionaux, de secteur, responsables d’exploitation, commerciaux et secrétaires, la cour d’appel qui a constaté que l’employeur n’avait pas mis en place la formation spécifique et l’accompagnement suffisants qu’exigeait l’exécution de tâches nouvelles sur un nouveau logiciel, a pu décider sans se contredire, que le licenciement du salarié qui n’avait jamais fait l’objet d’une quelconque critique dans ses fonctions de responsable d’exploitation, était dépourvu de cause réelle et sérieuse" [11].

Rémunération variable et objectifs "réalisables".

La partie variable du salaire, au-delà des pratiques diverses, est strictement encadrée par la Jurisprudence.

De principe constant, les objectifs d’un salarié peuvent être définis par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction [12].

En ce sens, la Chambre sociale a récemment rappelé que la rémunération variable dépend d’objectifs définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction :

  • à défaut de fixation desdits objectifs, la rémunération variable doit être payée intégralement [13].

En outre, au visa de l’article L1321-6 Code du travail, la Haute cour a jugé que l’obligation de rédiger en français les objectifs retenus pour le calcul de la rémunération variable.

  • même si la langue de travail de l’entreprise est l’anglais [14].

Au fond, la fixation unilatérale des objectifs est atténuée par des principes prétoriens protégeant le salarié :

  • les objectifs fixés doivent être réalisables [15]
  • si tel n’est pas le cas, il ne peut être reproché au salarié de ne pas les avoir atteints [16]
  • les objectifs doivent être portés à la connaissance du salarié en début d’exercice [17], l’informant des modalités de détermination de son salaire
  • "lorsque le contrat de travail prévoit que la rémunération variable dépend d’objectifs fixés annuellement par l’employeur, le défaut de fixation de ces derniers constitue un manquement justifiant une prise d’acte de la rupture par le salarié" [18].

Le manquement de l’employeur peut ainsi justifier la prise d’acte de la rupture du contrat ou une résiliation judiciaire.

En ce sens, il appartient au juge du fond de déterminer le montant de la rémunération variable, en fonction des critères visés au contrat de travail et des accords conclus les années précédentes et, à défaut, des données de la cause [19].

Par ailleurs, l’employeur qui licencie un salarié pour insuffisance professionnelle doit avoir respecté son obligation de formation et d’adaptation du salarié à l’évolution de son poste [20] :

  • les erreurs du salarié ne doivent pas être imputables à un manque de formation
  • l’employeur doit adapter le travail à l’homme [21].

Du reste, l’insuffisance professionnelle est distincte de l’insuffisance de résultats :

  • la seule insuffisance de résultats n’était pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement [22].

En définitive, l’appréciation de la compétence dépend, au fond, de l’exécution de bonne foi de la relation contractuelle et la réalisation loyale des objectifs. Le salarié licencié pour ce motif a droit au respect du préavis et au bénéfice des indemnités de licenciement. Les litiges y afférentes gagneraient à trouver une issue concertée, voulue, rapide et durable au travers les modes amiables.

Me. Kebir
Avocat à la Cour - Barreau de Paris
Médiateur agréé, certifié CNMA
Cabinet Kebir Avocat
E-mail : contact chez kebir-avocat-paris.fr
Site internet : www.kebir-avocat-paris.fr
LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

7 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Articles L1232-2 à L1232-6 Code du travail.

[2Cass. Soc, 20 sept. 2006, n°04-48.381.

[3Cass. Soc, 2 juin 1988, n°2069 D.

[4Cass. Soc., 1er juillet 1981, N°79-42.423.

[5Cass. Soc. 6 décembre 2000, n° 98-45.929.

[6Cass. Soc. 20 février 1990 n° 87-43.411.

[7Cass. Soc, 4 janvier 2000 n°97-45.292.

[8Article L6321-1 Code du travail.

[9Article L4121-2 Code du travail.

[10Cass. Soc. 14 nov. 2000, n° 98-42.371 P.

[11Cass. Soc., 20 mai 2009, n° 07-42.945.

[12Cass. Soc. 22-05-2001 n° 99-41.838.

[13Cass. Soc. 7 juin 2023 n°21-23.232.

[14Cass. Soc., 7 juin 2023, n° 21-20.322.

[15Cass. Soc. 2-12-2003 n° 01-44.192.

[16Cass. Soc. 13-01-2009 n° 06-46.208.

[17Cass. Soc. 2-03-2011 n° 08-44.978.

[18Cass. Soc. 29-06-2011 n° 09-65.710.

[19Cass. Soc. 15-5-2019 n°17-20.615.

[20Article L6321-1 Code du travail.

[21Article L4121-2 Code du travail.

[22Cass. Soc. 14 nov. 2000, n° 98-42.371 P.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27879 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs