1.
Quelques semaines auparavant, une autre formation de jugement (2ème et 7ème chambres réunies) avait séparé le bon grain de l’ivraie, en matière d’effet direct s’agissant de l’article 6 & 1 de la convention d’Aarhus en jugeant que : « Si le a) du paragraphe 1er de l’article 6 de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998, combiné à l’annexe I à la convention, est d’effet direct, il n’en va pas de même du b) du même paragraphe, qui nécessite des actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers » (CE 06 octobre 2021 Association PRIARTEM n° 446302, mentionnée dans les tables du recueil Lebon sur ce point).
C’est dans la décision Association Force 5 et autre ici évoquée, une nouvelle formation de jugement (5ème et 6ème chambres réunies) qui a eu l’occasion de juger que : « Le paragraphe 4 de l’article 6 de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998 doit être regardé comme produisant des effets directs dans l’ordre juridique interne » (CE 15 novembre 2021 Association Force 5 et autres n° 434742, mentionné dans les tables du recueil Lebon sur ce point).
Rendu à propos de l’épique affaire de la centrale de production d’électricité de type cycle combiné à gaz à Landivisiau, ce revirement de jurisprudence est susceptible d’entraîner des évolutions significatives s’agissant du principe de participation du public dans le domaine environnemental.
2.
Avant cette décision, la jurisprudence de la Haute juridiction administrative, en matière d’effet direct de la convention d’Aarhus, était contenue quasi-intégralement dans la décision du 06 juin 2007 Commune de Groslay dont il ressortait que : « Si les paragraphes 2, 3 et 7 de l’article 6 de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement faite à Aarhus le 25 juin 1998 produisent des effets directs en droit interne, ces stipulations ne régissent la participation du public au processus décisionnel en matière d’environnement que pour les activités particulières mentionnées à l’annexe 1 à cette convention, laquelle n’inclut pas les documents d’urbanisme visant la protection des populations exposées aux nuisances du bruit au voisinage des aérodromes. Pour les activités particulières autres que celles énumérées à cette annexe, la convention laisse à chaque État, par des règles de droit interne, le soin de définir les mesures d’application nécessaires.,,b) Les stipulations de l’article 6 paragraphes 4, 6, 8 et 9 et des articles 7 et 8 de cette convention créent seulement des obligations entre les États parties à la convention et ne produisent pas d’effets directs dans l’ordre juridique interne » (CE 06 juin 2007 Commune de Groslay n° 292942, publié au recueil Lebon sur ce point).
Le partage alors tracé par cette décision entre les stipulations de la convention d’Aarhus produisant des effets directs (article 6 & 2, 3 et 7) et celles dépourvues d’un tel effet (article 6 & 4, 6, 8 et 9, articles 7 et 8), reposait principalement sur un critère purement rédactionnel.
En effet, comme le relevait M. Yann Aguilla dans ses conclusions lues dans cette affaire : « Vous pourriez également étendre cette position à propos de plusieurs autres paragraphes de l’article 6 de la convention, les paragraphes 6, 8, et 9, et à propos de l’article 7. Ces stipulations utilisent en effet des formulations du type « Chaque Partie veille à... » ou « Chaque Partie prend les dispositions pour que... », lesquelles, conformément à votre jurisprudence habituelle, vous conduisent à refuser de reconnaître un effet direct à ces articles » (Extrait des conclusions de M. Yann Aguilla sous CE 06 juin 2007 Commune de Groslay – « L’application anticipée des plans d’exposition au bruit, AJDA 2007 p. 1527).
Ce même rapporteur public évoquait par ailleurs, quelques lignes plus loin, ses doutes quant à cette ligne jurisprudentielle et plaidait pour une refonte de la grille d’analyse de l’effet direct des traités internationaux et tout particulièrement pour la convention d’Aarhus.
3.
Ses interrogations trouveront une réponse dans la décision d’Assemblée Gisti rendue le 11 avril 2012, par laquelle le Conseil d’État a fait significativement évoluer la grille d’analyse s’agissant de l’effet direct des traités internationaux. Désormais « sous réserve des cas où est en cause un traité pour lequel la Cour de justice de l’Union européenne dispose d’une compétence exclusive pour déterminer s’il est d’effet direct, une stipulation doit être reconnue d’effet direct par le juge administratif lorsque, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale du traité invoqué, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, elle n’a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers. L’absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les États parties comme sujets de l’obligation qu’elle définit » (CE Ass. 11 avril 2012 GISTI n° 322326, publié au recueil Lebon sur ce point).
Suite à cette jurisprudence et à l’abandon de l’hégémonie du critère rédactionnel, un réexamen des stipulations de la convention d’Aarhus ayant un effet direct devait être réalisé, comme préconisé par M. Alexandre Lallet dans ses conclusions lues sous cette décision GISTI : « Le réexamen s’impose d’autant plus que la ligne de partage que vous avez tracée, par votre décision Commune de Groslay précitée, entre les stipulations de l’article 6 de la convention d’Aarhus auxquelles vous avez reconnu un effet direct (paragraphes 2, 3 et 7), et celles auxquelles vous l’avez déniés (4, 6, 8 et 9), obéit parfaitement au critère purement rédactionnel que vous avez eu tendance à privilégier, avant que votre décision GISTI n’y remette bon ordre » (Extrait conclusions de M. Alexandre Lallet sous CE Ass. AA avril 2012 GISTI p. 4).
Une partie de la doctrine, elle aussi, plaidait pour ce réexamen : « Enfin, son application par le juge administratif dépend de son effet direct. Or le Conseil d’État pratiquait un découpage chirurgical de ses dispositions, en reconnaissant un effet direct aux paragraphes 1, 2, 3 et 7 de l’article 6, tandis qu’il déniait toute invocabilité aux articles 6 § 4, 6 § 6, 6 § 8, 6 § 9, 7, 8, 9 § 3 et 9 § 5. Il résultait de cette jurisprudence que « les articles les plus importants pour conférer à la participation du public une réelle influence sur la décision, à savoir les articles 6 § 4, 6 § 8 et 6 § 9, ne sont pas dotés d’effet direct ». Mais ce problème est en passe de connaître une évolution favorable. Sous l’effet de la redéfinition des critères de l’effet direct par l’arrêt d’Assemblée du 11 avril 2012, GISTI et FAPIL, le Conseil d’État a récemment reconnu l’effet direct de l’article 6 § 9 de la convention d’Aarhus. Rien n’interdit d’envisager un semblable revirement pour les paragraphes 4 et 8 de l’article 6. Comme nous allons le voir, l’intervention des juridictions est d’ores et déjà à l’origine d’une amélioration sensible de la définition du droit de participer à l’élaboration des décisions intéressant l’environnement » (A. Van Lang, Le principe de participation un succès inattendu, les nouveaux cahiers du Conseil Constitutionnel n° 43 avril 2014 - https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/le-principe-de-participation-un-succes-inattendu).
4.
Les juges du Palais Royal ont alors pris leur temps.
Certes, il y a eu, quelques temps après la jurisprudence Gisti une avancée remarquable avec la reconnaissance, toujours par l’Assemblée du Conseil d’État, de l’effet direct de l’article 6 & 9 de la convention d’Aarhus : « Les stipulations du paragraphe 9 de l’article 6 de la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement faite à Aarhus le 25 juin 1998 produisent des effets directs en droit interne » (CE Ass. 12 avril 2013 Association Coordination Interrégionale Stop THT et autres n° 342409, publié au recueil Lebon sur ce point).
Mais en dehors de cette avancée, les formations de jugement moins solennelles du Conseil d’État, n’ont pas engagé d’évolutions significatives.
Encore récemment, les mêmes 5ème et 6ème chambres réunies du Conseil d’État avaient réaffirmé, à propos de l’effet direct de l’article 6 & 4 la jurisprudence Commune de Groslay : en jugeant que « 11. Enfin, les requérants ne sont fondés à invoquer, au soutien des moyens dirigés contre les modalités d’organisation de la concertation, ni les stipulations du § 4 de l’article 6 de la convention d’Aarhus du 25 juin 1998, lesquelles créent seulement des obligations entre les États parties à la convention et ne produisent pas d’effets directs dans l’ordre juridique interne » (CE 19 novembre 2020 Commune de Val-de-Reuil n° 417362, mentionné dans les tables du recueil Lebon sur un autre point).
5.
Il est désormais acté que l’article 6 & 4 est d’effet direct et qu’il peut être invoqué « lorsqu’il s’agit de décider d’autoriser ou non des activités proposées du type de celles énumérées à l’annexe I » de la convention.
Ce revirement de jurisprudence peut alors être qualifié d’important dans la mesure où l’article 6 & 4 contient des exigences très précises sur les modalités de la participation du public.
En effet, selon cette stipulation : « chaque Partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c’est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence ».
Cette stipulation vise alors à donner un caractère effectif au droit de participation du public, en le faisant démarrer dès le début du processus décisionnel.
Aujourd’hui, encore trop souvent, la consultation du public a lieu en fin de procédure (enquêteur publique, mise à disposition du public…), à un stade où il n’est bien souvent plus possible de faire modifier un projet, si ce n’est très à la marge.
Cette jurisprudence se situe alors dans le sillage des recommandations du Conseil général de l’environnement et du développement durable, qui dans un rapport d’octobre 2021 intitulé « Modernisation de la participation du public et des procédures environnementales », plaidait également pour une intervention du public, dès l’initiative du projet.
6.
Mais cette décision porte peut-être en germe, une autre évolution, pour ne pas dire, révolution.
En effet, outre les activités mentionnées dans l’annexe n° 1 auquel fait référence l’article 6, la convention d’Aarhus comprend un article 7 relatif au principe de participation du public en ce qui concerne les plans, programmes et politiques relatives à l’environnement.
Il ressort alors de cette stipulation que : « chaque Partie prend les dispositions pratiques et/ou autres voulues pour que le public participe à l’élaboration des plans et des programmes relatifs à l’environnement dans un cadre transparent et équitables, après lui avoir fourni les informations nécessaires. Dans ce cadre, les paragraphes 3, 4 et 8 de l’article 6 s’appliquent ».
Ainsi, dans l’hypothèse où l’article 7 serait reconnu par le Conseil d’État comme étant d’effet direct, ce qui au regard de la nouvelle ligne jurisprudentielle actuellement en cours, n’est très vraisemblablement qu’une question de temps, il en résulterait que les principes de l’article 6 & 4 seraient alors potentiellement applicables à un très grand nombre de plans et programmes.
En effet, les stipulations de l’article 7 ne semblent retenir comme critère que le fait qu’ils soient relatifs à l’environnement. Le champ des possibles est alors extrêmement large et un très grand nombre de plans pourrait être soumis à cette stipulation.
7.
Comme il est possible de le constater, le principe de participation du public, est sans doute aujourd’hui en train de vivre un changement de paradigme.
En obligeant à permettre au public d’intervenir beaucoup plus en amont, à un moment où « toutes les options et solutions sont encore possibles », le principe de participation va très vraisemblablement gagner en effectivité.
Ce renforcement va également permettre de renforcer la légitimité du processus de participation.
L’application directe de la convention d’Aarhus commençant à faire consensus au sein du Conseil d’État, il est très probable qu’une formation plus solennelle (Section voire Assemblée) viennent prochainement dresser un tableau exhaustif en matière d’effet direct de la convention d’Aarhus et mette enfin au placard l’obsolète décision Commune de Groslay.