Partie II : constat des pratiques d’entreprises
A partir des règles de droit - qui sont muettes sur les pauses cigarettes, les employeurs gèrent la situation de manière différente. Les situations sont aussi très différentes entre PME et grands groupes, chaîne industrielle et bureaux tertiaires.
On peut donc rencontrer les cas suivants :
Un règlement intérieur et des consignes d’hygiène et sécurité,
voire des rappels dans le contrat de travail qui restreignent ou interdisent purement et simplement de fumer durant le temps de travail sans autoriser le salarié à quitter son poste pour sortir fumer à l’extérieur.
Cette approche permet à l’employeur d’exercer son pouvoir disciplinaire en cas de non respect des consignes de travail par le salarié : il peut prononcer une sanction et même une mesure de licenciement, dans les cas les plus graves ou de récidive.
Quid de la validité de cette attitude extrême, sauf cas d’activités très spécifiques, à l’heure où la jurisprudence reconnaît à tout salarié un minimum de droits personnels sur le lieu de travail (par exemple, l’usage modéré du téléphone ou des emails ou d’Internet lié à l’urgence ou aux contraintes de la vie quotidienne, même lorsque l’employeur a formellement interdit tout usage personnel de ces outils) ?
Une organisation du temps de travail par l’employeur avec des pauses fixées, donc un encadrement patronal des pauses : ces dispositions sont licites si elles concernent tous les salariés et non pas les seuls fumeurs, ce qui revient à dire qu’elles concernent les pauses en général et pas les "pauses cigarettes" spécifiquement. Par conséquent, tous les salariés ont droit aux mêmes temps de pause, ils doivent donc prendre ces pauses, y compris les non fumeurs.
La règle dégagée par l’arrêt de la Cour de cassation du 15 février 2011 s’appliquant (voir article précédent : "pauses cigarettes (I)"), la pause n’est pas rémunérée et elle est décomptée de la durée de travail. Concrètement, le salarié qui badge à l’entrée dans l’entreprise devra « débadger » durant la pause.
S’agissant de dispositions collectives qui concernent les conditions de travail, elles sont au préalable soumises à l’information et à la consultation des représentants du personnel (CHSCT et comité d’entreprise).
Enfin, nombre d’employeurs ne prescrivent aucune règle : les salariés fumeurs sortent fumer plus ou moins à leur guise et sans « débadger ».
A noter que, principalement dans les grandes entreprises, des actions de sensibilisation à la nocivité du tabac et des aides au sevrage subventionnées par l’employeur sont déployées. Le salarié reste libre d’y recourir.
Ces mesures sont au préalable soumises à l’information et à la consultation des représentants du personnel (CHSCT et comité d’entreprise).
Et la jurisprudence ?
La jurisprudence doit « dire le droit » dans ce domaine, puisque la Loi ne le fait pas. Elle intervient au coup par coup, en fonction de chaque affaire et les faits ont donc à chaque fois toute leur importance. Il en résulte une construction désordonnée et parcellaire, concentrée sur les abus de pauses cigarettes et les désordres qu’ils entraînent dans les entreprises.
Les décisions de Cour de cassation récentes examinées montrent que, le plus souvent, le licenciement du salarié n’intervient pas uniquement en raison de ses pauses cigarettes. Celles-ci :
d’une part, occasionnent un dysfonctionnement de l’entreprise ou du service (exemple : une animatrice radio sort fumer et laisse l’antenne vacante, ce qui se traduit par des « blancs » dans les programmes à des moments où elle aurait dû intervenir dans le cadre de ses fonctions : Cass. soc. 23 juin 2010, n° 09-41906) et,
d’autre part, se conjuguent avec d’autres reproches pour aboutir à former un motif réel et sérieux, voire grave, de licenciement (exemple : Cass. soc. 9 mars 2011 (n°09-43520)).
Dans cette affaire, le salarié a été licencié pour faute grave pour avoir abandonné son poste à la suite d’une altercation avec son supérieur pour le motif qu’il avait quitté sans autorisation ses fonctions d’agent de sécurité pendant son service, pour une courte pause cigarette. Même en ayant pris soin d’organiser son remplacement par un collègue, la Cour approuve les juges d’appel qui ont retenu la faute grave pour sanctionner l’abandon de poste et pas seulement la pause cigarette.
En tout état de cause, l’employeur qui dénonce un abus des pauses cigarettes dommageable à l’entreprise doit le prouver en démontrant la réalité et la durée des pauses cigarettes, ainsi que le dommage qui en est résulté pour l’entreprise.
Il s’agit d’une question de faits appréciée souverainement par les juges du fond, d’où la jurisprudence actuelle qui, aux mêmes dates, dans un cas, condamne le salarié pour abus, et dans l’autre, ailleurs, sanctionne l’employeur pour excès de sévérité dans sa sanction disciplinaire… D’où le constat d’une insécurité juridique tant pour les employeurs que pour les salariés… jusqu’au verdict.https://www.village-justice.com/art...