Privatisations et cessions d’actifs : démêler le vrai du faux.

Par Christian Renaud.

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Explorer : # privatisations # entreprises publiques # cessions d'actifs # régulation

Le sujet de la vente des actifs de l’Etat est politiquement très sensible en France, avec le refrain lancinant de l’abandon des « bijoux de famille ». Le projet de cession de la participation de l’Etat au sein du groupe Aéroports de Paris (ADP) est le dernier en date à avoir réveillé de telles craintes injustifiées.

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L’idée était dans les cartons de campagne d’Emmanuel Macron : afin de financer son fonds pour l’innovation et pour l’industrie à hauteur de 10 milliards d’euros sans emprunt ni création d’impôt, l’Etat allait se délester de certains de ses actifs. En dépit des rumeurs, le mystère resta entier sur les nominés, jusqu’à la présentation en Conseil des ministres du projet de loi Pacte en juin 2018 : aux côtés d’Engie et de la Française des Jeux, l’Etat compte désormais se séparer de tout ou partie de ses actifs dans le groupe ADP, l’entreprise gestionnaire des aéroports parisiens, Orly et Roissy pour les deux plus fameux d’entre eux.

Mais à chaque fois que l’Etat entend vendre une partie de ses actifs au sein de certaines sociétés, les opposants alertent sur les risques de démembrement de l’outil économique français et sur l’abandon au secteur privé des investissements réalisés à partir de fonds publics. Au-delà de l’image déplorable du secteur privé que cela traduit dans l’esprit de certains, ces arguments se heurtent à la réalité de la majorité des entreprises publiques : à l’exception de certains monopoles ou de fonctions intrinsèquement liées au domaine régalien ou à celui des services publics, la plupart appartient de toute façon déjà au champ des entreprises de droit privé. Mais en la matière, compte tenu de la diversité des statuts et des amalgames possibles, des clarifications s’imposent.

En fait, seuls les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) sont de droit public. Ces sociétés ne sont pas cotées sur le marchés des titres et n’ont pas de capital. Ces entreprises ont généralement pour fonction d’assurer une mission de service public, qui ne peut être confiée à une entreprise privée soumise à concurrence. En France, ce statut englobe, pour les plus connues, la SNCF, la RATP, la Monnaie de Paris et la Banque publique d’investissement, mais aussi des musées, des instituts, des domaines fonciers…

Les EPIC sont en général en charge d’un monopole, plus ou moins lié à un service public et correspondant parfois à des missions non rentables. C’est parce que la SNCF est un EPIC qu’elle peut continuer d’assurer les liaisons sur certains tronçons non rentables dans une logique d’aménagement du territoire ; une entreprise privée soumise à concurrence ne pourrait pas soutenir durablement ce type d’engagement, et délaisserait rapidement ces opérations non rentables.

La situation des EPIC peut toutefois évoluer, notamment sous la pression de la législation européenne qui tend à ouvrir à la concurrence de plus en plus de secteurs. C’est ainsi une menace qui plane de longue date au-dessus de la SNCF Mobilités, la branche en charge du transport des voyageur de la SNCF, avec une ouverture prévue à la concurrence à partir de 2019 : d’ici à 2021, le monopole dans les services ferroviaires de transport de voyageurs en France aura disparu. Cela n’interdit pas la présence d’un EPIC parmi les concurrents, mais les autorités compétentes devront s’assurer que cela ne constitue pas une distorsion de concurrence. Or, si en théorie un EPIC peut s’endetter sur le dos de l’Etat (c’est le cas de SNCF Réseau d’ailleurs), ce n’est pas possible pour une entreprise de droit privée. Il est donc peu probable qu’une telle différence puisse perdurer longtemps sans créer une distorsion de concurrence.

Hors EPIC, toutes les autres entreprises détenues au moins partiellement par l’Etat sont donc bien des entreprises publiques, mais de droit privé : une partie du capital est détenue par des personnes morales ou physiques privées. Elles sont donc déjà de fait partiellement privatisées pour la plupart. Au sens strict, seuls les EPIC devraient être considérées comme des entreprises véritablement publiques : dans tous les autres cas, l’Etat se comporte comme un actionnaire comme un autre, même s’il est majoritaire. Si privatisation il y a, elle a bien en réalité lieu lorsqu’un EPIC se transforme en société anonyme (SA), tels la Poste en 2010, France Télécom en 1996 ou Aéroports de Paris en 2005.

Il existe toutefois deux catégories d’entreprises publiques que l’on pourrait qualifier d’intermédiaires, et qui sont précisément sources de confusion : Entre l’EPIC et la SA standard, il faut distinguer d’une part les sociétés de droit privé, mais dont le capital appartient à 100% à l’Etat, et les sociétés d’économie mixtes (SEM), celles dont 50 à 85% du capital sont détenus par une ou plusieurs personnes publiques, l’État, une collectivité territoriale, ou tout autre établissement public.
Dans la première catégorie, on peut citer Nexter, ex-GIAT Industrie, le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies ou encore l’Imprimerie Nationale. Dans la seconde catégorie figurent entre autres jusqu’à maintenant le groupe ADP, la Française des jeux ou encore Gaz de Strasbourg.

Pour donner une idée des confusions possibles, il faut souligner que jusqu’en 2018, Engie est considérée comme une entreprise publique, sachant que l’Etat est l’actionnaire majoritaire avec près de 33 % du capital. Mais plus de 60% du capital sont bien aux mains d’investisseurs privés dans cette entreprise… publique. On privatise donc bien des entreprises qui restent publiques pour autant. La suite de l’histoire, cela s’appelle une simple cession d’actifs.

Parler de la situation du groupe ADP comme d’une énième privatisation est donc aujourd’hui anachronique : l’Etat a déjà privatisé à ADP en 2005 lors de l’abandon du statut d’EPIC, tout en restant majoritaire au capital. Il fait aujourd’hui le choix de se retirer en cédant tout ou partie de ses parts, après avoir modifié la loi l’obligeant jusque-là à détenir au moins 50% du capital d’ADP.

C’est tout l’objet des dispositions de la loi Pacte sur ce sujet. L’Etat considère désormais que la gestion des aéroports - comprenant la perception des redevances aéroportuaires, la gestion des parking, des hôtels et des boutiques entre autres - ne relèvent pas d’une mission de service public devant être assurée par un monopole d’Etat.

Avec un certain bon sens, l’Etat considère désormais que la voie de la règlementation sera bien plus efficace pour garder sous contrôle les activités aéroportuaires que la simple présence au capital.

C’est aussi la conviction de Bruno Lemaire sur ce sujet : « Nous allons garantir par la loi, par les règlements, un nombre de rotations aériennes qui sera le même que celui qui existe aujourd’hui », a-t-il ainsi expliqué peu de temps après l’annonce de la cession.
« Je crois que la régulation est la meilleure façon d’assurer le contrôle de l’Etat sur des actifs stratégiques », avait déjà précisé Bruno Le Maire quelques temps auparavant. Sachant que la cession ne changera rien aux périmètres des missions de la police aux frontières ou des douanes, l’argument est tout à fait recevable.

Christian Renaud
Spécialiste consommation, communication, concurrence

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