Une Justice contractuelle
Inspirée des pratiques nord américaines de droit collaboratif, la procédure participative est une nouvelle procédure de règlement des litiges, qui met au cœur du litige l’avocat [2]. Ce modèle alternatif (ou participatif façon 2.0 ?) lui confère un rôle central d’impulsion, afin de parvenir à une solution consensuelle. Cela en vue de s’affranchir de la pratique prétorienne.
Ce mode opératoire est d’ailleurs un vœu largement exprimé dans le livre blanc du Conseil National des Barreaux (CNB), plaidant pour une justice négociée afin de placer « les citoyens acteurs de la résolution de leurs litiges » [3].
La procédure participe est matérialisée par un contrat spécial institué par le législateur par la loi du 22 décembre 2010, au titre des Modes Alternatifs de Règlements des Conflits (MARC), avec la volonté affirmée d’une déjudiciarisation de certains contentieux, sans pour autant modifier le système inquisitorial français.
La prééminence de la loi sur la volonté des parties, selon le droit continental, qui souffre davantage l’immixtion du juge dans le contrat rendue possible au nom de l’ordre public expression de l’intérêt général et supérieur, subit dès lors une entorse où le contrat prévaut comme cela se rencontre en common law.
Ceci se rapproche étrangement de la procédure dite de « discovery » aux termes de laquelle les parties au procès se mettent préalablement d’accord par convention, sans intervention du magistrat, sur les pièces et témoignages à présenter le cas échéant ultérieurement à ce dernier.
Le juge exclu des procédures de droit collaboratif
L’article 2062 du Code civil dispose que « la convention de procédure participative est une convention par laquelle les parties à un différend qui n’a pas encore donné lieu à la saisine d’un juge ou d’un arbitre s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur différend ».
Il s’agit véritablement d’un mode de règlement extrajudiciaire des litiges.
Ce n’est qu’a posteriori que le juge sera éventuellement saisi pour homologuer – en tout ou partie - l’accord écrit des parties ayant mis fin à leur différend. En effet, seul un juge, détenteur de l’imperium, a le pouvoir de conférer autorité de la chose jugée. Et dans la mesure où le juge confère la force exécutoire, il doit néanmoins procéder à un contrôle de la régularité formelle de l’acte, ainsi qu’à sa conformité à l’ordre public.
Dans les pays de Common law, la procédure de discovery (ou pre-trial discovery) est une phase d’investigation de la cause préalable au procès. L’objectif est de garantir davantage d’égalité et de justice entre les parties, et d’abréger un procès en permettant l’élimination de certains points qui ne sont pas véritablement contestés.
Ainsi aux Etats-Unis le juge n’intervient qu’a posteriori également, avec un rôle d’ « arbitre » neutre et passif, chargé de veiller au respect des règles visant à assurer l’équilibre entre les parties.
La « pêche aux preuves »
Pour la doctrine française, « les procédures de discovery sont extrêmement violentes et obligent les parties à diffuser toutes sortes d’informations, bien au-delà de la simple communication de pièces » (…) avec également l’obligation pour l’avocat de mettre à disposition des documents « y compris ses notes manuscrites » [4]. Ce faisant, dans sa phase précontentieuse, la procédure est « terrorisante » compte tenu de la quantité de renseignements transmis, permettant à la partie adverses de faire la preuve de certains agissements engageant la responsabilité de son auteur. C’est la raison pour laquelle, alors qu’à la différence de la procédure participative française qui prévoit un accord concerté, la procédure américaine aboutit régulièrement à une transaction (financière), bien que les parties n’y soient pas contraintes (sauf la menace d’un procès retentissant).
Ainsi, au sein de cette phase d’investigation de la cause préalable au procès, étape indispensable à la recherche de preuves, chaque partie a l’obligation de divulguer à l’autre partie tous les éléments de preuve pertinents au litige dont elle dispose, y compris ceux qui lui sont défavorables (ce qui constitue la principale différence avec la procédure participative), et ce par différents moyens.
La procédure de discovery trouve son origine dans la volonté de délimiter l’objet du litige, de multiplier les sources d’éléments de preuve, de réduire les coûts et d’accélérer la résolution des litiges.
Par conséquent, l’instauration d’une procédure participative est un témoin supplémentaire de la progression du droit coutumier devant l’effacement progressif du droit continental.
A défaut de changer le système inquisitoire en système accusatoire, il est introduit un mode de résolution des litiges extrajudiciaire, sans intervention du juge et strictement conventionnel.
Cela induit mécaniquement la convergence des systèmes français et anglo-saxons, avec la prise en considération des inconvénients pratiques de chaque système.
Il demeure toutefois la question non résolue en droit français de l’administration de la preuve comme développée ci-dessus, dont le coût est très élevé dans un pays de Common law. Le seul frein reste financier ou va-t-il conduire à terme à une Justice à deux vitesses ?
Discussions en cours :
Excellent article !
Cher Confrère,
Je trouve votre article très intéressant, tout particulièrement en ce qu’il a le mérite d’analyser et de comparer un pan de notre réglementation procédurale à un élément de common law qui demeure encore assez méconnu dans notre système continental.
Cependant, je trouve dommage de tenter de réduire la procédure de "Discovery" américaine à une sorte de "contractualisation" procédurale.
Pour ce que j’en ai vu au sein d’un cabinet d’avocats américain, cette procédure, si elle est en effet très contrôlée par les avocats des parties concernées, correspond plutôt à tous les moyens mis en oeuvre par les diverses parties pour rassembler les éléments nécessaires pour établir la preuve de leurs prétentions : dépositions de témoins, attestations (les fameux "affidavits"), constats sur place (qui peuvent en effet être contradictoires), rassemblement de divers documents, etc.
Je n’ai jamais vu un juge obliger l’avocat que j’assistais, ni aucun avocat adverse à produire ses notes. En revanche, il est déjà arrivé que certaines parties soient contraintes de produire certaines pièces par actes judiciaires.
Quant à l’admissibilité des preuves, elle était le cas échéant débattue devant le Tribunal et tranchée par le juge. Je me souviens par exemple de la transcription partielle d’une déposition de témoin qui a été rejetée par décision judiciaire parce qu’elle avait été "retouchée" par un avocat en vertu de règles de procédure applicable.
Je suis parfaitement d’accord avec vous sur le fait que traditionnellement dans les pays anglo-saxons, les parties ont tendance à beaucoup plus laisser aux parties la conduite des procédures, et à transiger. Pour ma part, je pense que c’est culturel.