Initiée par une réflexion souhaitée dès octobre 2014 par le Premier président de la Cour de cassation, la commission de réflexion sur la réforme de la Cour de cassation a déposé au mois d’avril 2017 un rapport qui envisageait les évolutions possibles dans le traitement des pourvois.
Parmi les propositions de cette commission, de longs développements étaient consacrés à la perspective d’un « filtrage », qui conduirait à une restriction de l’accès à la Cour de cassation, conçu comme un moyen de permettre à celle-ci de réduire le volume de son activité pour approfondir le traitement des affaires les plus importantes et recentrer la juridiction sur sa mission normative (interprétation du droit, unification de la jurisprudence et garantie des droits fondamentaux), jugée prioritaire sur sa mission régulatrice de contrôle de la légalité des décisions des juges du fond.
A la suite de ce rapport, le Premier président de la Cour de cassation a transmis à la ministre de la Justice une proposition de texte qui reprenait de manière isolée le principe d’un filtrage des seuls pourvois en matière civile. Nous avions manifesté notre opposition de principe à ce projet dans un communiqué commun.
Ces dispositions n’étaient finalement pas intégrées au projet de loi de programmation de la justice alors en cours d’examen et la ministre de la Justice missionnait un groupe de travail présidé par Henri Nallet pour mener une réflexion pour « une réforme ambitieuse et partagée du pourvoi en cassation ».
L’objet de ce projet est d’instaurer un mécanisme de régulation des pourvois afin de permettre à la Cour de cassation de remplir efficacement son double rôle d’éclairage de la norme et d’harmonisation de la jurisprudence.
Actuellement, l’obligation qui est la sienne de traiter, chaque année, plus de 30.000 pourvois en matière civile, ne lui permet plus d’assurer son office de cour supérieure avec la lisibilité et la réactivité nécessaires.
Et ce d’autant plus qu’elle est soumise à l’influence toujours plus forte des juridictions européennes qui, au travers de leur mode de contrôle du respect des droits fondamentaux, l’invitent par voie de conséquence à adapter sa propre technique de cassation.
L’introduction d’un filtrage à la Cour de cassation, concomitamment à l’adaptation du mode de contrôle, répond au souci d’accorder toute l’importance qu’il convient à la garantie des droits fondamentaux. Elle vise aussi à établir une véritable priorité dans le traitement et l’examen des recours.
En effet, parmi les très nombreux pourvois dont la Cour est saisie en matière civile chaque année, les trois quarts sont voués à l’échec, parce qu’ils ne présentent pas de moyen sérieux de cassation, le justiciable tentant trop souvent d’obtenir devant un troisième juge ce qu’il n’a pu convaincre le premier juge et le juge d’appel de lui accorder.
L’utilisation dénaturée du pourvoi apparaît ainsi, dans ces cas-là, comme une tentative d’échapper au cours normal de la justice.
C’est pourquoi, loin de remettre en cause le droit à l’égal accès de tous au juge de cassation, le filtrage apparaît bien au contraire comme le procédé nécessaire pour établir une égalité véritable entre les justiciables devant la Cour, en garantissant à tous ceux dont la cause est sérieuse un traitement identique, à l’exclusion des pourvois reposant sur des moyens infondés, dont le rejet est inéluctable, et qui détournent la Cour de cassation de sa mission naturelle.
L’économie du projet élaboré par la Cour de cassation est simple : introduire le filtrage des pourvois par la voie d’une demande d’autorisation qui sera appréciée à la lumière de critères alternatifs fondés sur l’intérêt que présente une affaire pour le développement du droit, l’unification de la jurisprudence, ou bien encore la préservation d’un droit fondamental auquel il serait gravement porté atteinte.
Il s’agit par là de permettre à la Cour de cassation de sélectionner, sur la base d’une analyse préalable des principaux arguments présentés à leur appui, les pourvois justifiant un examen approfondi en considération des critères ainsi retenus.