La responsabilité civile du notaire en 2025.

Par Gildas Neger, Docteur en droit.

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Explorer : # responsabilité civile # notaire # faute professionnelle # devoir de conseil

A l’origine, faut-il le rappeler, le notaire n’est qu’un scribe, un secrétaire (Rois, Ed. ER, Curtius, IV, XXII, 3, p.220 : «  Saphan (…) qui ert uns maistrus notaries del temple »). En 2025, la fonction notariale s’est considérablement transformée : le notaire est un officier ministériel investi d’une mission d’autorité publique. À ce titre, sa responsabilité est essentielle et peut être civile, pénale ou disciplinaire [1]. Cet article se concentre sur la responsabilité civile, qui demeure, dans la grande majorité des décisions, le principal terrain de contentieux.
Article actualisé par son auteur en mai 2025.

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Fondements et conditions de la responsabilité civile.

Les obligations du notaire, du seul fait de son statut, justifient la rigueur du régime de responsabilité. Officier ministériel dont les actes font foi jusqu’à inscription de faux, il n’a pas droit à l’erreur. La mise en œuvre de cette responsabilité suppose la réunion de trois conditions classiques : la faute, le préjudice et le lien de causalité, conformément à l’article 1240 du Code civil [2] : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

La masse conséquente des actes notariés, alliée à un droit de plus en plus complexe, rend la faute notariale plus fréquente. Cette « profession tournée vers l’avenir » (109e congrès des notaires de France à Lyon, discours de C. Taubira, Garde des Sceaux) a vu son niveau d’accès élevé au grade de master, mais la compétence ne se décrète pas  : elle se forge dans l’expérience et la rigueur quotidienne.

L’appréciation de la faute notariale : du « bon notaire » à la jurisprudence contemporaine.

La jurisprudence est de plus en plus sévère à l’égard des notaires. La faute est appréciée in abstracto en considération du « bon notaire », officier ministériel normalement diligent [3]. Tout comportement divergent est sanctionnable. Cependant, la notion de diligence reste subjective et évolutive, dépendant des attentes de la société et du contexte juridique.

Jurisprudence récente : sévérité et précisions.

Cass. 1re civ., 10 juillet 2024, n°23-18.141 : le notaire commet une faute en authentifiant une convention illicite, notamment en matière de prestation compensatoire. La cour rappelle que le préjudice certain prime sur la perte de chance et impose une réparation intégrale.

Cass. 1re civ., 2 avril 2025, n°23-18.930 : la cour affirme que le devoir de conseil du notaire est absolu et s’étend à toutes les conséquences juridiques, fiscales et patrimoniales de l’acte. Le notaire doit prouver qu’il a informé ses clients de manière complète, notamment par des échanges écrits.

Cass. 1re civ., 27 mars 2024, n°22-13.041 : en matière de partage judiciaire, le juge peut renvoyer les parties devant le notaire pour instruire certaines contestations, renforçant ainsi le rôle du notaire dans la gestion des litiges successoraux.

Le devoir de conseil : une exigence renforcée et documentée.

L’acte notarié, acte authentique, engage lourdement le client. Le notaire doit délivrer à son client l’intégralité des conséquences qui naîtront de l’acte, quelles que soient les compétences du client [4].

L’impartialité s’impose : il ne saurait accepter un acte qui néglige les intérêts d’un client occasionnel au profit d’un client habituel [5].

Le devoir de conseil, aujourd’hui qualifié d’absolu, implique une information complète sur les conséquences juridiques, fiscales et patrimoniales de l’acte. La jurisprudence impose une traçabilité accrue : le notaire doit archiver ses conseils, privilégier les échanges écrits et s’assurer de la compréhension des parties. Ce devoir ne disparaît pas même si l’acte est gratuit ou si le notaire n’en est que le correcteur [6].

L’intervention et la défausse du notaire.

Le notaire engage sa responsabilité dès lors qu’il participe à la rédaction d’un acte, conférant l’authenticité par sa signature et son sceau. Il doit s’assurer que les parties comprennent pleinement la portée de leurs engagements. Hors cas de force majeure ou mensonge avéré du client, il ne saurait s’exonérer. Même dans ces hypothèses, s’il apparaît qu’il avait connaissance d’un risque ou qu’il aurait pu informer ses clients en anonymisant les éléments confidentiels, sa responsabilité peut être retenue.

Critères et illustrations de la faute notariale.

L’omission d’une formalité essentielle constitue une faute [7]. Il sera également mis en cause s’il omet de vérifier les origines d’un immeuble, la situation hypothécaire du bien, la présence de servitudes… La vérification « a minima » du bien en vente s’impose. Au-delà, le devoir de conseil impose d’informer sur tous les risques  : par exemple, le risque de non-remboursement d’un prêt [8].

Même en l’absence d’obligation de réaliser certaines formalités, le notaire doit informer ses clients de leur utilité et des démarches à accomplir [9]. La charge de la preuve de l’absence de faute incombe au notaire [10].

La preuve et le lien de causalité : évolutions récentes.

La jurisprudence récente confirme que le lien de causalité entre la faute et le préjudice est présumé dès lors que le manquement au devoir de conseil est établi, sauf preuve contraire. La prescription de l’action est de cinq ans à compter de la révélation du dommage, ce qui permet d’intégrer les préjudices différés. La chambre mixte de la Cour de cassation [11] a précisé que le point de départ de l’action récursoire du notaire contre un autre professionnel court à compter de la condamnation définitive du notaire.

Responsabilité pour perte de chance : précisions et limites.

La faute non intentionnelle suffit à engager la responsabilité civile du notaire, mais le préjudice doit être certain. La réparation intégrale n’est due que si, mieux informé, le client aurait effectivement pu éviter le dommage ou obtenir un avantage équivalent.

Responsabilité en cas d’erreurs de rédaction ou de vices dans les actes.

Les erreurs de rédaction peuvent avoir des conséquences juridiques et financières lourdes. La jurisprudence impose au notaire de vérifier la situation hypothécaire, la conformité des titres, la présence de servitudes, etc. [12]. Le devoir de conseil s’étend à l’information sur les risques et opportunités économiques [13].

Face à la complexité croissante du droit immobilier, la profession mise sur la formation continue renforcée, la clarification législative des obligations et l’usage d’outils technologiques innovants (intelligence artificielle, blockchain) pour limiter les erreurs.

Limites et exonérations.

Le notaire peut s’exonérer en cas de force majeure, faute de la victime ou fait d’un tiers. Les clauses limitatives de responsabilité sont nulles. La responsabilité peut être contractuelle ou délictuelle selon la qualité dans laquelle il agit.

Responsabilité fiscale et nouvelles obligations.

Depuis 2023, la vigilance fiscale du notaire est renforcée  : il doit s’assurer du paiement des droits et taxes, signaler toute opération suspecte et conseiller sur les conséquences fiscales des actes. Les décisions récentes sanctionnent sévèrement les manquements à ces obligations, notamment en matière de déclaration de plus-value immobilière ou de droits de succession.

Responsabilité disciplinaire et perspectives.

La réforme de l’exercice en société du notariat (ordonnance n°2023-77 du 8 février 2023, décret n°2024-873 du 14 août 2024) impose des structures plus transparentes, excluant les sociétés de capitaux classiques, afin de renforcer la sécurité juridique et la responsabilité collective. La médiation notariale et les procédures disciplinaires complètent le dispositif de contrôle et de réparation.

Illustrations pratiques (2024-2025).

Cass. 1re civ., 29 mai 2024, n°23-15.327 : le notaire n’engage pas sa responsabilité dès lors qu’il a informé les parties de manière claire et loyale sur les conséquences d’une promesse de vente, et que le préjudice allégué n’est pas caractérisé.

Cass. 1re civ., 2 avril 2025, n°23-18.930 : la cour valide la démarche du notaire qui, par des échanges écrits et répétés, a permis à la cliente de se déterminer en connaissance de cause lors d’un partage successoral complexe.

Cass. 1re civ., 10 juillet 2024, n°23-18.141 : la cour retient la responsabilité du notaire pour avoir authentifié une convention illicite, causant un préjudice certain à la cliente.

Conclusion : une responsabilité accrue, une vigilance de chaque instant.

En 2025, la responsabilité civile du notaire s’inscrit dans un cadre normatif et jurisprudentiel renforcé. Le devoir de conseil, la traçabilité des échanges et la vigilance sur la validité des actes sont au cœur de la sécurité juridique. La jurisprudence impose au notaire une rigueur absolue et une anticipation permanente des risques, dans l’intérêt de la protection des clients et de la sécurité des transactions. Les notaires doivent conjuguer expertise, pédagogie et déontologie pour répondre à l’exigence de confiance que la société place en eux.

Gildas Neger
Docteur en Droit Public

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Notes de l'article:

[1Cf. Responsabilité des notaires, Jeanne de Poulpiquet, Dalloz Référence.

[2Ancien art. 1382.

[3CA Lyon, 1ʳᵉ chambre, 31 mai 2001, Juris Data, n°01-144758.

[4Cass. 1re civ., 28 novembre 1995, n°93-15.659.

[5Cass. 1re civ., 14 février 1950, Bull. Civ. I n°44.

[6Cass. 1re civ., 16 février 1994, n°91-20.463.

[7Cass. 1re civ., 6 février 1979, n°77-15.232.

[8Cass. 1re civ., novembre 2000, n°96-21.732.

[9Cass. 1re civ., 26 novembre 2002 ; CA Paris, 7 septembre 1999.

[10Cass. 1re civ., 25 février 1997.

[11Cass. Chambre mixte, 19 juillet 2024, pourvoi n° 22-18.729.

[12Cass. 23 janvier 2008.

[13Cass. 14 mars 2000.

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Discussions en cours :

  • Dans cet article vous n’évoquez que la responsabilité civile du notaire vis à vis de son client. Mais je suis curieux de connaitre la responsabilité civile du Notaire dans le cas précis suivant :
    - je suis propriétaire d’un terrain et un usurpateur le vend à quelqu’un à mon insu. le vendeur et l’acquéreur se rendent chez un notaire pour instrumenter l’acte de vente. Le Notaire ne fait aucune vérification sur l’origine du bien mis en vente et établi un acte de cession à titre définitif. Devant la garantie que lui procure l’acte notarier, l’acquéreur demarre ses travaux sur mon terrain. Malheureusement pour lui, je suis au courant du demarrage des travaux, et il est atrait par mes soins devant le tribunal en expulsion et destruction.
    - puis-je être également en droit de poursuivre le notaire en dommages et intérêts pour avoir failli à ses obligations ?

    • par HETEAU , Le 3 août 2015 à 00:06

      En effet, le notaire a fait des erreur graves a savoir : il m’a vendu un hangar garage sur un passage commun a plusieurs datant de 1822. Et a semble t-il revendu ce même garage a mon voisin. de plus il a créé dans une autre de mes propriétés, un autre passage commun pour ces mêmes personnes me nuisant terriblement, et donnant a plusieurs personnes le droit de transformer cette parcelle en parking devant mes portes que je ne peux ouvrir a cause des véhicules ! les dites personnes ayant transformés leurs garages en maison d’habitation. Il leur a aussi donné partie de la parcelle devant m’appartenir,Le notaire ayant refusé d’inscrire cette parcelle sur mon acte d’achat ,mon vendeur n’a pu obtenir que la dite parcelle inscrite dans son acte d’achat me soit pas vendue. En vertu d’actes antérieur à 1956. J’ai fait vérifier ces dires par un géomêtre ces actes n’existent pas. Que faire, la chambre des notaires prétend que le notaire ne répond pas.la police judiciaire peut-elle faire quelque chose ?

  • Bonjour,
    En mars 2013 j’ai trouvé un acheteur pour ma résidence de Yamaska. Le Notaire de mon acheteur me convoque pour me dire que je ne possède pas les titres d’un des lot identifiè sur mon certificat de localisation et sur l’acte notarié de juillet 2006. Le notaire lors de l’achat en 2006 n’a pas fait selon moi la recherche des titres et j’ai subit plusieurs problèmes lors de la vente de ma propriété. Le Notaire est il responsable des problèmes que nous avons éprouvés ?

    Merci !

    Jacques Leblanc

  • par mohammad boulaghmane , Le 1er novembre 2013 à 01:06

    j’ai une recherche sur la responsabilité du notaire mémoire du fin d’étude de master est ce que vous pouvez cher professeur me idée pour trouvé quelque chose relative a se sujet merci

  • Comment devenir un notaire dans le système français lorsque vous avez un diplôme de droit dans le système américain ?

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